mardi 25 octobre 2016

A Lapointe

Y a-t-il encore un intérêt à fustiger l'inculture des grands media et à déplorer la crétinisation galopante qu'ils infligent ? Sûrement pas, mais bon... 
Ce midi, sur une chaine publique nourrie de notre redevance et à une heure de grande écoute, c'est un reportage sur la ville de Pézenas (Hérault) qui est diffusé. L'accent est mis sur les artisans de la cité, qui au demeurant est remarquable, dont on vante les oeuvres et la bonne entente : le touriste se chasse en meute. Comme souvent sur cette chaine, le commentaire se veut promotionnel, et on évoque ce(ux) que la ville peut compter de célèbre : on évoque donc en quelques phrases Jean-Baptiste Molière, qui "aurait" séjourné à Pézenas à de nombreuses reprises. Admirez le conditionnel (dont on aimerait comprendre la raison) et la condescendance.
Par contre, pas le moindre mot sur l'autre immense artiste de Pézenas : Bobby Lapointe, qui lui naquit et mourut ici. Mais, me direz-vous, qui connait encore Bobby Lapointe ? Ainsi oublie-t-on un des meilleurs virtuoses de la langue française de tous les temps... Le seul chanteur que je puisse réécouter ad libitum, car chaque audition ou lecture fait entendre un nouveau jeu de mot, une contrepèterie nouvelle..., dont la densité au mètre carré est phénoménale, voire incalculable. Aussi désopilant que complexe ("From two to two to two two"...) mais un régal perpétuel.
Oui, mais qui connait encore Bobby Lapointe ?

jeudi 20 octobre 2016

Des vessies et Dylan terne...

Pardon pour ce titre calamiteux, mais il était trop tentant et pas trop élitiste, comme il sied aux temps qui sont les nôtres...
Nous avons donc, comme chaque année, un nouveau Prix Nobel de littérature, et l'on sait que le récipiendaire en est Bob Dylan. On se souvient des cris d'orfraie qui avaient salué en 1997 celui attribué à Dario Fo, qui était un acteur et, très accessoirement, un dramaturge. Sans doute cette attribution ne méritait-elle pas toute l'indignité qui s'abattit sur elle (l'homme était de grand talent), mais force est de constater qu'il ne reste pas grand-chose aujourd'hui de ce Nobel là...
On peut aimer Dylan, l'auteur-compositeur-interprète, qui est sans conteste une référence mondiale et historique, au talent rare. Et ses textes sont de qualité. Mais peut-on extraire un texte d'une chanson, l'apprécier indépendamment d'une musique, voire d'une interprétation ? On peut affirmer sans l'ombre d'une hésitation que Dylan est un poète, mais pas que c'est un homme de l'écrit. Il eut fait un grand Prix Nobel de la Chanson, si celui-ci existait.
Ce Prix Nobel ne me gêne pas (et il vaut bien celui de Le Clezio), mais il sent trop le marketing. Ce choix est plutôt consensuel, voire populaire, mais gageons que le temps viendra bientôt où il n'en restera rien.

dimanche 9 octobre 2016

Nostalgie interdite

Voilà quelque temps, et même quelques années, que je ne vous avais entretenu de madame Sophie Delassein. La journaliste de l'Obs, connue comme aussi généreuse et complaisante envers ses amis que perfide avec les autres, écrit cette semaine un billet sur le nouvel album de Vincent Delerm, chanteur que j'aimais bien avant de le perdre de vue et d'ouïe.
La journaliste, donc, n'a jamais reculé devant la tartufferie. Ici, elle affirme tout d'abord, horresco referens, que "le chanteur peine à vivre avec son temps", ce qui en langage contemporain vaut condamnation aux galères. Elle trouve à l'album "un parfum de violette un rien désuet", -désuet, rendez-vous compte !- qui pousse à la légitime défense :"les références incessantes au siècle dernier sont anxiogènes, à la longue."...
Pauvre Sophie Delassein, agressée jusqu'à l'angoisse par des chansons de Delherm... mais ne faisons pas trop d'honneur à la plumitive qui se caricature si bien elle-même, et posons la question : est-il encore permis aujourd'hui de conserver par devers soi quelque sympathie pour le passé ? a-t-on le droit de préférer, par exemple, le XXème siècle au XXIéme ? Peut-on, en matière de littérature populaire, préférer Balzac ou Dumas à Lévy ou Pancol ? Est-il autorisé de privilégier Céline par rapport à Houellebecq ? Gide à la foultitude des écrivaillons invertis contemporains ? Zola à BHL ? Ou, tout simplement, le vieux monde qui, avec ses tares et avec nos morts, portait l'humanité, au lieu des calembours anthropologiques qu'on nous inflige présentement ?
Durant trois siècles, on nous a seriné, non sans raison certes, que l'avenir était devant nous, et que l'avenir valait progrès, et que le progrès passait par la modernité. Aujourd'hui, l'injonction veut que tout ce qui est moderne est forcément progrès.
Qui croit encore à ce qui ressemble de plus en plus à des sornettes ? Trop de  gens sans doute, mais cela est un autre grand débat. Quant au pauvre Delerm, qu'il se rassure : tout créateur, surtout mélancolique, est par définition en dehors de la doxa dominante.