samedi 30 septembre 2017

Culture et budget 2018

Voilà donc pour 2018 le budget du ministère de la Culture (ou de l'administration de la culture) "conforté" dans ses ressources, quand d'autres ministères sont obligés de réduire la voilure. Ces ressources sont de 10 milliards d'euros, y compris les 1.6 milliards de dépenses fiscales, entendez les cadeaux et exonérations accordés à des investisseurs étrangers (ou pas) qui viennent réaliser des projets dans notre beau pays.
On notera la (légère) augmentation pour certains services, Patrimoine et création artistique notamment, Monuments historiques, etc... Réjouissons-nous donc.Tout cela est rendu possible par le prélèvement de 36 millions sur l'enveloppe allouée à l'audiovisuel public. Gageons donc, si on fouille de ce côté-là, qu'il reste encore de bonnes marges de manœuvre pour le futur.
Comme toujours dans ces budgets ministériels, il vaut mieux être du sérail pour comprendre la nature de ces services et l'impact financier concret des dotations nouvelles. Comme la présentation de ces budgets répond davantage à des impératifs de communication que de clarté pédagogique, il convient de rester prudent...
On notera aussi le coup de pouce au "Soutien aux artistes et aux modèles français de diversité culturelle", mais je ne sais trop quoi en penser. On remarquera aussi l'inévitable objectif de "l'accès pour tous à la culture", parfaitement démagogue mais sympathique pour peu que l'on y croit, dont on craindra juste qu'il ne bénéficie à ceux qui n'en ont pas (trop) besoin, ainsi qu'à quelques marchands de produits dont la nature culturelle risque d'être parfois difficile à cerner.
Quoiqu'il en soit, l'an prochain tout ira mieux. Puisqu'on nous le dit...

dimanche 17 septembre 2017

Joan Bodon, simplement.

Je m'en vais vous parler de Joan Bodon, Jean Boudou en français. Bodon, évidemment ! diront ceux qui le connaissent. Les autres, c'est-à-dire presque tout le monde, se gratteront le crâne, submergés de perplexité... Il faut dire que Joan Bodon est un écrivain de langue occitane, né en Rouergue en 1920 et mort en Algérie en 1975.
Romancier, conteur, poète, JB n'est pas qu'un monument de la littérature d'oc, il est un des plus grands écrivains français du XXème siècle. Lointain parent de Balzac par sa mère (elle-même conteuse), sans doute nanti de quelques chromosomes communs avec Honoré, il impose une plume d'exception, faite de terroir, d'histoire, d'humanité, d'imaginaire, de fantastique.
"Parle de ton village et tu seras universel", disait l'écrivain sarde Francesco Masala... La matière première de l’œuvre de Bodon (outre une langue qui, n'en déplaise à un certain jacobinisme, est exceptionnelle) est un matériau de petit rural de la rivière Viaur qui, déployé par le talent de l'auteur, touche à l'universel. Je parle de terroir, mais on est loin de l'école de Brive ; la trame du récit de JB est celle de tout un chacun, n'importe où sur la planète : son œuvre est unique mais universelle, modeste dans son essence mais riche et sublime dans sa transcendance. Le Rouergue a été pour Bodon ce que le sud américain a été à Faulkner.
J'ai relu récemment une correspondance entre Joan Bodon et Enric Molin (Henri Mouly), figure du félibrige "moderne" du XXème siècle, et rouergat lui aussi, correspondance qui s'étend sur près de trente-cinq ans. Bodon y illustre un éternel manque d'assurance, d'estime de soi, de verticalité dirait-on aujourd'hui. Ses tâtonnements sont ceux d'un jeune auteur, d'un jeune paysan (devenu instituteur), d'un jeune aveyronnais attaché à sa langue et déjà perdu dans un siècle qui fut difficile à bien des égards. Ses lettres, depuis la guerre jusqu'à sa mort, témoignent du combat pour la langue, pour la littérature, pour une Occitanie alors moribonde. On trouve dans ses propos d'inévitables contradictions et quelques scories de l'époque : attirance pour le communisme, mais pas forcément pour les communistes, palinodies des militants minoritaires, postulats anarchistes et intérêt pour les Chantiers de jeunesse, etc... Mais il y a quelque chose de touchant, pour ne pas dire dramatique, à suivre la souffrance d'un auteur qui ne peut encore savoir la dimension que l'histoire lui reconnaitra...
On a dit à son propos que c'était lui qui aurait mérité le Prix Nobel, plutôt que Mistral ; d'abord ils ne sont pas contemporains, et plutôt que d'opposer les deux génies de la langue d'oc, il est bon de noter la complémentarité, pour cette histoire, entre le chantre de la latinité provençale et le romancier-conteur du Ségala. Mais cela situe le niveau  de l’écriture du second, qui serait aujourd'hui une célébrité s'il n'avait été marginalisé, sinon ostracisé, par sa fidélité à la langue maternelle.
Alors découvrez Joan Bodon, si vous ne le connaissiez pas, ou relisez-le. Rien à voir avec la production germanopratine d'à présent. Je préviens que je ne l'ai lu qu'en version originale occitane, et ne peux donc garantir les versions françaises. Mais même si la richesse de la langue d'oc en était absente, l’œuvre n'en demeure pas moins celle d'un des plus grands écrivains français du XXème siècle...

mercredi 6 septembre 2017

Salon d'été...

Les salons du livre de l'été, surtout dans les univers ruraux, ont ceci de plaisant qu'ils sont toujours surprenants. On y fait les rencontres habituelles : authentiques amateurs de littérature, faux amateurs, discoureurs à l'inculture crasse, auteurs potentiels, velléitaires ou auto-proclamés, consommateurs branchés de médias, etc...
Ces salons sont souvent intégrés à des manifestations plus vastes, foires, expositions ou autres, ce qui élargit la palette sociologique des visiteurs. Ces salons sont aussi plus sincères ; on n'y trouve pas, à quelques exceptions près, de ces exaspérantes prétentions de (sous)-préfecture, qui seraient si amusantes si elles n'étaient si tragiques. Mais au contraire défile devant votre étal, au cœur du flux, une riche galerie de personnages plus ou moins attachants : paysans taciturnes, hurluberlus variés, ratés en mal d'écoute, farfelus borderlines, et j'en passe...
Les uns sont gentils, d'autres non ; certains sont instruits, d'autres pas. Venus en vadrouille, par désœuvrement, par curiosité ou par intérêt pour la grande manifestation locale, ils observent vos livres avec attention, ou perplexité, ou répulsion, ou envie. Parfois une conversation s'entame, qui vire court ; d'autres fois, l'individu à tête d'idiot de village se révèle bien plus cultivé qu'il ne paraissait, et il peut témoigner de certaines connaissances ou sensibilités qu'il n'a guère l'occasion de partager le reste du temps...
Qu'on ne s'y trompe pas : il y a aussi bien sûr des "gens comme tout le monde", ou plus exactement des gens qui ne répondent pas au profil habituel du lecteur qui court les salons, mais qui s'expriment, écoutent, échangent, et même qui achètent ! De ces gens qui vous font rentrer chez vous, le soir, un peu plus riche... d'humanité !