mardi 27 mars 2018

André Dupuy, adishatz l'amic

C'est avec sa modestie habituelle qu'André Dupuy s'en est allé, voilà quelques jours. Pourtant son travail et son oeuvre mériteront bien plus que la discrétion qui accompagnent sa disparition.
Ce fils de paysans de Lavit (82) se découvrit très tôt gascon et occitan et décide à seize ans de se faire historien. Les hasards de la vie en ce temps là firent obstacle à la poursuite des études, ce qui ne l'empêcha pas de devenir dès 1965 le premier éditeur occitan indépendant, avec Lo libre occitan ; il publia notamment les Contes de Bladé, Lo libre de Catoia de Boudou, Nové granet de Gélu, Tibal lo garrel de Delluc... Excusez du peu.
L'affaire tourna court au bout de quelques années, mais l'oeuvre se poursuivit avec L'Histoire chronologique de la civilisation occitane, ou La petite encyclopédie occitane, et bien d'autres titres qui à défaut d'être adoubés par l'establishment universitaire rencontrèrent un large public. L'âge venant, il se refit éditeur avec La Lomagne pour demain, qui depuis vingt ans publie Les cahiers de la Lomagne et fait un remarquable et large travail d'études.
L'oeuvre accomplie est immense, et je ne doute pas que, au moins en Gascogne, elle ne soit reconnue à sa juste valeur. Quant aux qualités humaines de ce petit homme pétillant et érudit, tous ceux qui l'ont connu savent qu'elles étaient de celles que l'on rencontre rarement, y compris le courage pour relater l'Histoire passée et contemporaine de Lavit. Peut-être ne lui manquait-il que les défauts que notre époque demande pour ce que l'on nomme réussir.
Je l'avais rencontré dans ma jeunesse, à propos de l'un de ses livres, puis revu à la faveur de mes années passées en Lomagne. Je l'avais revu plus récemment, et durablement, dans un contexte professionnel. Il était de ceux qu'on ne pouvait qu'aimer, et qu'on ne pourra oublier. Ses livres, que j'ai sous les yeux prennent du coup, au milieu de ma tristesse, une dimension particulière. Adishatz, l'ome...

jeudi 22 mars 2018

F.X. Testu : D'esprit, d'estoc et de taille !

Il est des moments de plaisir durables, comme par exemple ce livre de François-Xavier Testu, "Le bouquin des méchancetés et autres traits d'esprit", paru chez Bouquins/Robert Laffont : 1184 pages d'humour et d'esprit, de férocité aussi, et finalement d'allégresse.
Ce livre récréatif est plein d'érudition, ce qui ne gâte rien ; il recense les vacheries que des générations ont pu proférer sur leurs contemporains. Propos méchants ou narquois, rarement tendres mais complices. La férocité ne vaut, ou ne fait mouche, que si elle est drôle. Il n'y a pas ici ces biles crachées ou ces narcissismes écorchés qui nourrissent les invectives que s'envoient parfois de nos jours des chroniqueurs en mal de buzz. Ce sont des saillies de l'esprit, davantage que de la méchanceté ; des assauts d'esprit polémique, davantage que de l'animosité.
Glanées entre les siècles XVI et XX, en Europe et ailleurs, ces formules hilarantes sont généralement assassines. La férocité d'un Clémenceau ou d'un Churchill est bien connue, et il est difficile d'y survivre. Alors, bien sûr, dans ces 1200 pages certaines piques s'avèrent d'un niveau inégal, comparées au ton et au niveau général, mais l'ouvrage se lit d'un trait, oserait-on dire s'il n'était aussi imposant.
Ce livre est aussi celui d'une époque, et l'auteur le saisit très bien, qui n'était pas obligatoirement consensuelle. Les protagonistes qui s'emplâtraient pouvaient d'ailleurs être les meilleurs amis du monde. Mais même dans ce cas, il serait à présent suicidaire de lancer de telles flèches acérées, quand la communication la plus racoleuse impose à tout propos de se couvrir la tête de cendres...
Le passé permettait de s'invectiver férocement, mais avec élégance et, in fine, beaucoup d'humanité et d'altruisme. Aujourd'hui on hashtag-balance sous le manteau : voilà pourquoi notre époque est grande ! Mais si on croit encore aux forces de l'esprit et aux coups de pied au cul qui ne se perdent pas,il reste permis d'espérer dans ces fustigations flamboyantes...

jeudi 15 mars 2018

Jourde, les noirs, le carnaval

Dans la série "Modernités hasardeuses", autrement nommée "Marchons joyeux sur ces admirables pavés qui nous mènent à l'Enfer", ou bien "Ce qu'un peu de culture pourrait éviter", voici ce qu'il advint il y a peu au carnaval de Dunkerque. Au beau milieu de diverses manifestations était programmée une "Nuit des noirs", incitant à se grimer en noirs. On sait que le principe du carnaval, ainsi qu'en atteste toutes les coutumes, vise à brouiller les identités et les classes, sous les masques, et qu'à ce seul titre il est un modèle de transgression et, de la part des "grands", un modèle d'humilité...
Ce principe fondateur semble ignoré du CRAN (Comité représentatif des associations noires) et d'une "Brigade anti-négrophobie" (ça existe) qui, tout à leur business, n'ont pas laissé passé l'occasion de déposer plainte pour racisme, sur fond de "crime contre l'humanité"...
Il est délicat de commenter ce genre d'initiative, d'une part parce que, hélas, le racisme existe et doit être plus que jamais combattu, et d'autre part parce que l'exercice est juridiquement périlleux. Je renverrai donc à un formidable billet de Pierre Jourde sur son blog à Bibliobs (bibliobs.nouvelobs.com) il y a quelques jours (février 2018, "Les noirs contre le carnaval") : "Je rougis de la bêtise des gens dont je partage les idées" clame-t-il avant une brillante démonstration sans complaisance à propos de diverses initiatives de ce type d'association, dont certaines sont plus méprisantes pour les noirs que Tintin au Congo... Notamment quand ils militent pour écarter la culture générale, prétendument discriminante, des concours d'entrée dans la Fonction publique. C'est dommage, un peu de cette culture générale les aurait éclairé sur la signification du carnaval.
La virulence de Jourde à l'égard de sa cible est féroce, et serait risquée pour un autre que lui. On sait qu'il est père de deux enfants métis, et même d'ascendance très cosmopolite, et son cri du coeur est aussi un sursaut pour que ses enfants soient respectés en tant qu'hommes et non en tant que matière première à disposition de quelques professionnels de l'intimidation, aussi bêtes que méchants. Le propos de Jourde redonnera du souffle à ceux qui entendent combattre le racisme par idéal et non par intérêt.

jeudi 8 mars 2018

Vue du foie et vue de l'esprit

Nous évoquions il y a peu Madame Buzyn et sa croisade anti-vin. Depuis, le Président de la République a jugé utile, en plein salon de l'agriculture, de témoigner de sa consommation, midi et soir, du sang de Bacchus. Madame Buzyn a même essayé de mettre un peu d'eau... dans son eau, ce qui ne change rien au goût de celle-ci, donc passons. Mais ces derniers jours une cohorte de médecins professionnels de l'addiction remonte au créneau pour soutenir leur ministre de tutelle, seule selon eux au milieu d'un gouvernement qui "nie les évidences scientifiques", et qui de ce fait est plus ou moins coupable de 50 000 morts par an, dont il ne pourra dire "qu'il ne savait pas"... A ce propos, il serait intéressant de totaliser le nombre de victimes, par an, de toutes les sources de mort, maladies et accidents, car on aurait vraisemblablement un chiffre dépassant la population française...
La tribune des mandarins est joliment intitulée "Vue du foie, le vin est bien de l'alcool". Nul ne contestera l'affirmation, mais je fais d'instinct partie des gens qui, à tout prendre, préfèrent une vue de l'esprit à une vue du foie, les capacités pensantes de ce dernier restant à établir. Plus sérieusement, sauf à considérer la démarche des carabins comme purement opportuniste ou instrumentalisée, on la trouvera attristante. 
On peut en effet, en sacrifiant à Bacchus, boire du vin ou boire de l'alcool. La nuance est affaire de culture ou de civilisation, ou d'esprit, choses également immatérielles et peu scientifiques qui ne peuvent être dans l'air du temps ; mais on sait que l'Histoire et la Science ne font pas toujours bon ménage, les paris sont donc ouverts...

lundi 5 mars 2018

Un livre en moins, une victoire en plus...

Continuons, à la suite du billet précédent, dans la série des modernités ambiantes. Ainsi donc, 100 000 pétitionnaires.e.s viennent d'avoir la peau d'un livre qui ne leur plaisait pas. Les éditions toulousaines Milan avaient publié, dans une de leurs collections "Les pipelettes", un fascicule "On a chopé la puberté", autour de quatre personnages de BD sensé.e.s représenter quatre gamines aux prises avec la puberté. Le livre, dont le seul titre illustre le ton, entendait dans un style décalé et humoristique dédramatiser cet instant de la vie.
Que croyez-vous qu'il arriva ? En trois jours, plus de 100 000 signataire.e.s, nous dit-on, ont fait céder Milan, reprochant le sexisme des propos. "Ta poitrine ressort davantage si tu te tiens droite", et quelques autres aphorismes du même tonneau où le second degré fait plus qu'affleurer, signifiaient pour les harpie.e.s internautes "être à disposition sexuelle" ! Personnellement, et même si je ne corresponds pas vraiment aux critères du public visé, j'ai eu davantage l'impression d'une rigolade de cour de récré que d'un ouvrage d'enseignement ou de maintien...
Peut-être pourrait-on faire confiance à nos enfant.e.s, qui ne sont pas idiot.e.s, et parler de la puberté sans adopter des postures de pintade. Certes, il faudrait de la part des parent.e.s, et des mères en particulier, un minimum de maturité, et cela tend à se perdre. Par ailleurs, l'humour et le style du bouquin ne le prédisposaient pas à la postérité, et on sait que le second degré est très risqué dans notre moderne époque. Mais le plus grave est bien que, au nom de grands principes et de droits souverains fantasmés, quelques dizaines de milliers d'imbécile.e.s, faute d'identité affirmée et d'arguments pour débattre, ont sauté sur l'occasion de pilonner un livre.