mardi 26 juin 2018

Maigret, contemporain ou presque...

Le polar a toujours été un classique de la littérature populaire. Et c'est souvent à ce titre qu'il a été décrié, car il faut bien reconnaitre que littérature populaire n'est pas toujours synonyme de qualité, et aujourd'hui pas davantage qu'hier.
Il est au moins un auteur qui contredit le propos : Georges Simenon, avec bien sûr sa série des Maigret. Lui même parlait des Maigret comme de la semi-littérature, ses autres oeuvres se voulant plus exigeantes. Pourtant, avec le recul, on lui reconnait désormais que même ses polars étaient ce qu'on peut appeler de la vraie littérature, et notamment une part de la vie des hommes à son époque.
J'ai relu ces derniers temps les onze titres recensés dans Les essentiels de Maigret, paru il y a quelques années chez Omnibus. Et je confirme que la "semi-littérature" de l'époque n'a rien à envier à beaucoup d'auteurs contemporains très respectables. L'univers feutré du commissaire, son environnement qu'on a tendance à voir en noir et blanc, ses émotions discrètes (moins réacs qu'on ne l'a dit à propos de Simenon), ses personnages, très travaillés, en rupture de ban ou carrément marginalisés, les complexités familiales ou sociales, tout cela vous fait lire.
Mais il faut bien reconnaitre que le personnage de Maigret n'est pas, loin s'en faut, contemporain, et ne saurait répondre au prototype moderne de l'enquêteur protestant et écolo qui sévit désormais. Et qui plus est, horresco referens, Maigret piccole : une bière, ou deux, ou trois, chaque fois qu'une émotion particulière l'assaille ; un verre de blanc, ou deux, ou trois, à chaque interrogation ; un verre de fine (rarement plus, reconnaissons-le) quand il faut marquer le moment. Ca ne le rendrait d'ailleurs pas impopulaire, mais la morale ambiante, qui n'a pas grand-chose à voir avec ce que pense le vulgum pecus, l'interdirait à tout éditeur doué de raison commerciale...
Raison de plus pour savourer cet acquis de la littérature française.

mardi 19 juin 2018

Lecteurs de sensibilité

Restons dans la veine du billet précédent. Saviez-vous qu'il existe des "lecteurs de sensibilité" ? Non pas des sensibilités de lecteur, ça c'est aussi vieux que l'écrit, mais bien des lecteurs de sensibilité. S'agit-il de lecteurs dotés d'une sensibilité spécifique, s'interroge l'incrédule, ou des gens sensés "lire" cette sensibilité ? Toujours est-il qu'il existe des groupes, soi-disant représentatifs d'une "sensibilité" -entendez une communauté- qui lisent un livre en projet, et qui selon qu'ils agréent, ou non, ce projet décident de la parution ou du pilonnage de l'ouvrage. C'est aussi simple que cela.
Pas besoin d'être un gourou du marketing pour comprendre la motivation de l'éditeur qui soumet son projet ; ou même pour l'auteur dudit projet, qui entend puiser parmi ces avis de quoi "parfaire" son oeuvre... Pas besoin non plus d'être anthropologue pour comprendre l'instrumentalisation communautariste qui va censurer (si vous disposez d'un autre mot, je suis preneur...) la production littéraire. De tout temps celle-ci n'a existé, lorsqu'elle était de qualité bien sûr, qu'en privilégiant la création et le courage, voire la transgression, au détriment du marketing consensuel et vendeur. Imagine-t-on H. Beecher-Stowe interroger les esclavagistes avant d'écrire La Case de l'Oncle Tom ? Steinbeck demander leur avis aux propriétaires terriens avant Les raisins de la colère ? Mauriac tâter les avis de la bourgeoisie bordelaise ?
Au delà de cette dimension politique, il y a peut-être plus grave encore, c'est la dictature émotionnelle et parfaitement immature qui prévaut désormais : la où l'adulte réfléchit, globalise, relativise, contextualise (en un mot discrimine, pouvait-on dire il n'y a pas si longtemps) l'enfant réagit avec ses tripes du moment, et rarement en connaissance de cause. J'évoquais ici même il y a peu ce livre des éditions Milan, On a chopé la puberté, livre qui fût pilonné à la demande de 148 000 féministes pétitionnaires, alors que l'ouvrage culminait à 4 000 ventes...
Pour l'heure, la pratique est nord-américaine, mais on sait qu'il faut de moins en moins de temps à la vieille Europe pour bénéficier des avancées étatsuniennes. Vieille Europe qui a elle-même ses usages, plus ou moins larvés, qui aboutissent au même résultat. L'insipide gagne du terrain, et avec lui le littérairement correct.

mercredi 13 juin 2018

Un patrimoine mal Loti

Vous n'êtes pas sans savoir que le Loto du Patrimoine, initié par Stéphane Bern, a retenu 18 projets de rénovation de lieux de patrimoine. Parmi ceux-ci, la maison de Pierre Loti à Rochefort en Vendée : c'est d'ailleurs là que devrait se rendre Emmanuel Macron pour célébrer le Loto. Même si l'étoile de Pierre Loti a un peu pâli depuis ses funérailles nationales en 1923, l'auteur de Pêcheurs d'Islande ou de Ramuntcho demeure un classique de la littérature française de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. Qu'un Président de la République rende ainsi hommage à la fois à un auteur grand voyageur et au patrimoine pouvait sembler sympathique.
Las ! Les écrivains qui voyageaient au XIXème siècle et qui écrivaient à ce sujet auraient dû se méfier, et prévoir qu'un gros siècle plus tard leurs écrits seraient soumis à la rétroactivité de la morale du XXIème. Loti écrivait sur les Turcs, les Juifs, les Arméniens comme on le faisait en ce temps-là, avec des mots de ce temps-là, avec les situations de ce temps-là. Et cela ne plait pas aux thuriféraires de l'anti-racisme d'aujourd'hui, et les hautes consciences morales que sont l'Union des Etudiants juifs, le Conseil des Organisations arméniennes ou ce qu'il reste de SOS-Racisme regrette le choix d'Emmanuel Macron et entendent empêcher la restauration du musée de celui qui fût aussi, rappelons le au passage, un vrai dreyfusard. Que s'écroule sa maison.
On ne s'attardera pas sur les motivations de ces "antiracistes"-là, unilatéralement autoproclamés et prompts à faire feu de tout bois pour interpréter l'Histoire de France, fût-ce au prix de contorsions anachroniques, et la faire commencer avec leur venue au monde. Mais on s'alarmera quand même de leur perpétuelle volonté d'interdire à tout va, dès lors que quelque chose ne leur convient pas...

mercredi 6 juin 2018

Y a pas de quoi rire...

Le même jour, le grand quotidien de la région Occitanie, La Dépêche du Midi, a relaté deux affaires qui (pré)occupent nos tribunaux, dont on connait le surmenage, les sous-effectifs et toussa. 
La première affaire est jugée à Agen : on a vu un quidam, possesseur d'un cheval, grimper derrière celui-ci sur un seau, et s'agiter bizarrement pendant une demi-heure, aux dires des témoins qui l'ont dénoncé. Lui peine à convaincre en disant qu'il répétait un numéro de voltige, toujours est-il qu'il est inculpé de "sévices sexuels sur un animal"... Le cheval a-t-il porté plainte ? non, mais il est des institutions et des "militants" (du latin militare) qui savent ce qui est bien et ce qui est juste...
Non loin de là, à Cahors, l'affaire est encore plus grave : un immonde adulte de 45 ans a abusé, toujours sexuellement, d'une jeunesse de 14 ans. "Qu'on me le chasse, qu'on me le fouille, et qu'on me luy coupe les couilles." eût clamé Blot de Chauvigny au siècle XVII. C'était peut-être une solution, malheureusement la chose n'était pas possible : l'adulte est une solide rombière, et l'outragé un garçon. Le garçon a-t-il porté plainte ? que nenni, il montra même une certaine assiduité à revenir chez l'outrageuse jusqu'à ce que sa famille (sa mère ?!) s'en aperçoive... Hashtag balance ta truie ?
Alors voilà : le temps n'est pas loin où quand deux hominidés (pour prendre le cas le plus courant) sexués homme et femme auront la bagatelle en tête ils seront bien inspirés d'amener avec eux leurs avocats, qui au pied du lit surveilleront, noteront, vérifierons, mesurerons, prélèverons... La sexualité est une chose trop grave pour qu'on la laisse aux sentiments ou aux turpitudes.
On aura compris que l'intimité ne survivra pas au droit, un des nouveaux noms de la morale. Surtout quand s'en mêlent, en vrac, diverses minorités auto-proclamées opprimées. Et, entends-je déjà, pourquoi deux individus ? pourquoi pas trois, ou quatre, ou plus ? Et pourquoi un homme et une femme ? Pourquoi pas deux, ou trois, ou quatre hommes ? Pourquoi pas deux, ou trois, ou quatre femmes ? Pourquoi pas avec Biquette la chevrette ? Helmuth le berger allemand ? Porcinet tout rose ? L'âne Martin ? Ou avec notre cheval agenais ? Et puis, pourquoi le mariage pour tous ne serait-il pas vraiment pour tous ? Hein, pourquoi ?
J'arrête avant d'ajouter mon nom à la rubrique des palais. Mais mettre en parallèle sémantique Droits de l'Animal et Droits de l'Homme expose à des choses bien moins rigolotes. Quant à la sexualité, est-il encore possible de la considérer comme affaire de gens responsables que rien, ni aucun texte, n'oblige à se justifier ? L'intimité déjà évoquée est une chose dépassée, quand l'exhibitionnisme est la meilleure source de buzz ; mais c'est désormais l'Altérité qui est rejetée : pourquoi l'autre aurait-il le droit d'être différent de moi, clame le contemporain...