vendredi 28 décembre 2018

Vent mauvais

A chaque jour suffit sa peine. J'évoquais ici même la semaine dernière le coup de blues que me donnaient les Gilets jaunes, dont la radicalisation, inversement proportionnelle à la quantité des troupes, me semblait de mauvais augure. Et depuis rien n'est venu me rassurer.
Pas plus tard que ce matin, on apprend que des GJ ont tenté de pénétrer dans le fort de Brégançon. Pas le lieu le plus symbolique de la République, mais... Hier, un dénommé Chalençon (la cédille est de trop) leader auto-proclamé du mouvement dans le Vaucluse (Maréchal vous revoilà ?) annonçait "la guerre civile inévitable" et appelait l'armée à destituer Macron et à prendre le pouvoir. Quelques jours auparavant, c'était le général Tauzin, président d'un groupuscule incertain, qui affirmait que les militaires pouvaient beaucoup apporter en politique (le sens politique des militaires est en effet bien connu). Au début du mois c'est un certain Drouet qui appelait les GJ à marcher sur l'Elysée et à y rentrer... Bref les appels au putsch se font à visage découvert. Et je ne parle même pas des intimidations vis-à-vis des journalistes, symptôme toujours sinistre.
J'ignore la représentativité de ces jean-foutre, et ne la surestime pas. J'aimerais toutefois que des voix s'élèvent du mouvement pour désavouer ces propos, mais je n'en entends guère, pas plus que face aux violences. Et que de telles outrances, venant peut-être d'individus dont la culture historique est voisine de zéro ou au contraire de porte-flingues qui savent très bien ce qu'ils disent, que ces outrances donc ne mobilisent pas plus de réaction, dans un monde prompt à s'indigner à tout propos, me laisse l'impression que souffle un vent mauvais. Peut-être parce qu'on veut éviter de leur faire de la publicité, peut-être parce qu'on finit par s'habituer à l'éventualité, rien ne vient rappeler à ces olibrius ce que sont la loi et la raison.
J'ai déjà dit ce que le mouvement a apporté d'expression démocratique, et le bien-fondé de ses critiques. Malheureusement, l'Histoire a moultes fois démontré que, quand on en appelle à la démocratie directe, on aboutit généralement à une administration très directe mais rarement démocratique. Tiens, à ce sujet, j'aimerais bien savoir le temps qu'aurait duré cette jacquerie des GJ face à l'armée au pouvoir...

jeudi 20 décembre 2018

RIC, gilet jaune et coup de blues...

Naguère, lorsqu'on sondait le français moyen en lui demandant s'il était favorable à l'ouverture des magasins le dimanche, il répondait oui avec enthousiasme à 78%. Dans la même enquête (pour le compte d'Entreprises et Carrières si ma mémoire est bonne), à la question "Etes-vous vous-même d'accord pour travailler le dimanche ?", le même français, très moyen en l'occurrence, répondait non à 84%...
Alors quand j'entends aujourd'hui ce même français des rond-points réclamer à cor et à cri le référendum d'initiative citoyenne (RIC) pour pouvoir décider à la place des élus démocratiquement mandatés et donc administrer en temps réel ce pays, une certaine perplexité m'habite...
Citoyen méprisé, c'est vrai, et consommateur frustré, le gilet jaune moyen (ce qui ne veut rien dire étant donné l'extrême diversité de ce mouvement disparate) tape du pied dans la fourmilière et entend satisfaire enfin ses envies et ses émotions. Habitué à la zapette de la télé (téléréalité surtout, pour certains) le consommateur a remplacé le citoyen. Et il entend infliger un diktat permanent, au gré de ses humeurs et de ses contradictions, à des élus forcément trop payés et pourris, à l'élection desquels il n'aura même pas participé. On évoque parfois la dictature des sondages, mais celle du RIC interdira la notion de durée, toujours nécessaire pour obtenir des résultats, et plus encore celle d'impopularité, dont l'Histoire a souvent démontré qu'elle était bien souvent indispensable pour construire.
Bref, et sans contester la légitimité d'un mouvement très représentatif des malaises de la France périphérique, je succombe au doute face à ce qui pourrait ressortir de cette jacquerie, au demeurant largement animée par ceux qui entendent annuler le deuxième tour de la dernière présidentielle. Qu'il faille faire évoluer les modes de gouvernance et le fonctionnement démocratique est une évidence, et elle relève de l'urgence. Qu'il y ait un problème de pouvoir d'achat et de reconnaissance est une autre certitude. Mais, sans faire l'éloge de la complexité, il n'est pas faire injure aux manifestants que de leur demander d'activer quelques neurones pour comprendre certaines complexités. Ah j'oubliais, le consommateur (dont le nom commence si mal, comme disait le duc d'Orléans des conservateurs) a remplacé le citoyen... On patientera donc avant de faire le moindre bilan.

lundi 3 décembre 2018

Mélange des genres, confusion des esprits

La mode, on le sait, est au mélange. Des idées, des races, des générations, des genres, ou du genre, on ne sait plus trop... Ici même, voila quelques années, je m'interrogeais sur la pertinence de l'attribution du Prix Nobel de Littérature à Bob Dylan au titre de sa qualité "poétique". Non que je critique le chanteur, dont le talent se passe de commentaire, ou que je doute de son évidente dimension poétique, mais outre que le Nobel me semblait se redorer le blason avec un prix grand public, il m'apparaissait incongru et risqué de mélanger les genres : aux chanteurs les récompenses pour chanteurs, aux écrivains les honneurs littéraires...Et le silence assourdissant que Dylan offrit en réponse à un Prix qu'il n'allât même pas recevoir situait bien le quiproquo.
Un débat de même nature a agité récemment le landerneau littéraire hexagonal, à propos de l'excellent livre de Philippe Lançon "Le lambeau" (Gallimard) dont une lourde rumeur faisait déjà, entre autres récompenses, l'incontournable Goncourt 2018. Le jury du Goncourt s'est peut-être un peu cabré sous la pression, mais il a pu rappeler que, statutairement, il ne pouvait récompenser du "Goncourt du roman" qu'une oeuvre d'imagination : c'est ce qui avait déjà écarté le Tristes tropiques de Lévi-Strauss en 1955, ou le Alias Caracalla de Daniel Cordier en 2013. Pierre Assouline s'explique d'ailleurs très bien à ce sujet dans le numéro de décembre de Service Littéraire.
Il s'est trouvé, bien sûr, nombre d'objections face à ce propos de l'institution, propos peut-être trop simple pour le consommateur-lecteur contemporain. Pourtant, peut-on considérer l'attentat contre Charlie-Hebdo comme un événement imaginaire ? la renaissance d'un blessé grave, au prix de dix-sept opérations et des mois de calvaire, comme une oeuvre de fiction ? un récit d'auto-fiction ? un témoignage de mentir-vrai ?...
Non, il est des cadeaux qu'on ne fait pas aux assassins.