vendredi 29 mars 2019

Truffaut, Critiques et temps qui passe...

Il est beaucoup question de François Truffaut dans la presse de ces jours-ci, avec la réédition chez Gallimard de ses Chroniques (1954-58), chroniques constituées de critiques, souvent au vitriol, sur un bon nombre de réalisateurs de la période. Avant de devenir un grand réalisateur, Truffaut fut un critique à la plume acérée, impitoyable et doué, parfois génial, souvent injuste, toujours inscrit dans la culture de ces années là, flinguant allègrement le cinéma commercial et, surtout, "bourgeois".
Mais si j'évoque ces critiques, c'est moins pour le fond que pour la forme. On qualifie aujourd'hui le Truffaut critique de féroce, impitoyable, incendiaire, caricatural, outrancier et j'en passe. Et si la critique, au delà de l'analyse de fond, c'était aussi cela, une forme de pamphlet où l'élégance de l'expression vient enfoncer l'oeuvre visée tout en élevant le propos ? Et il y faut sa part d'outrance, de férocité et de mauvaise foi, dont d'ailleurs personne n'est dupe et qui crée même une atmosphère de complicité entre protagonistes. Truffaut ne s'y montre ni injurieux ni calomnieux, et il ne flatte pas la sottise populaire.
A présent, en des temps qu'on voudrait apaisés (mais où le refoulé revient régulièrement au galop) on ne supporte guère que la médiocratie et le consensus mou. Et là où nous avions jadis un langage ou une écriture fleuris et le duel si le sens de l'honneur s'en mêlait, nous vivons aujourd'hui sous le sabir des communicants et les procès systématiques. Sans doute ce qu'on nomme Progrès.

mercredi 20 mars 2019

Salauds de pauvres (d'esprit)...

Acte XVIII, ou je ne sais plus combien, de cette queue de comète du mouvement nommé Gilets jaunes. Au bout de quatre mois d'une insurrection pour débutants, l'intéressant mouvement initial en est réduit à une mobilisation qui ne remplirait pas un stade de Ligue 1. Pourtant cette micro-agitation, excitée par trois ou quatre têtes-à-claques, suffit à pourrir la vie et l'économie française, grâce à une radicalisation violente.
Les ultras s'en prennent aux symboles, nous dit-on. Certes. Mais quelqu'un peut-il m'expliquer la logique militante qui se niche derrière la destruction des kiosques à journaux ? Ces kiosques, qui datent du second Empire, appartiennent au patrimoine parisien ; on y trouve la presse, populaire ou savante, les tabloïds, les programmes télé, les grilles de sudoku, les revues coquines... dans lesquels chacun trouve ce qu'il veut. Quant aux kiosquiers, dont le nombre d'heures de travail dissuaderait n'importe quel Gilet jaune, ils sont juste des travailleurs pauvres : leur taux horaire est parfaitement ridicule, mais eux travaillent, et sans emmerder personne. Alors pourquoi ?
Faut-il voir dans ces autodafés de blaireaux une attaque de la démocratie, à travers la destruction d'une presse qui reste la meilleure illustration de celle-ci ? Faut-il y voir une jouissance mauvaise à voir brûler livres et journaux, en référence aux autodafés d'une autre époque ? Faut-il y voir simplement une revanche de frustrés sur ce papier rappelant une scolarité douloureuse ?
Je crains que, quelques soient les explications si tant est qu'il y en ait, il ne faille y trouver qu'une pauvre pulsion de crétins impuissants, pervers et incapables de lire. Et que ces ceux-ci arrêtent de s'abriter derrière un mouvement qui valait mieux que ça. Et que les Gilets jaunes, s'il en reste, prennent enfin leurs responsabilités, s'ils savent ce que c'est.

lundi 18 mars 2019

Delbourg, fils de chamaille

Le dernier titre de Patrice Delbourg, Fils de chamaille (Le Castor astral) est un ouvrage comme on en fait peu : il n'est pas bâti sur l'idée sirupeuse du consensus moderne. C'est même l'image d'un ring, posé sur une couverture de livre, qui décore celle-ci. Et la suite est un long combat de poids lourds.
A ma gauche, Aimé Ratichaud, à ma droite Gaetan Malinois. L'un est un vieil auteur has-been, d'origine prolo, amateur combatif de langue et de littérature. L'autre est un jeune économiste promu éditeur, fils de bonne famille, genre start-uper, qui ne jure que par les chiffres. Pas forcément original comme pitch, mais ça le devient lorsque s'opposent les caractères. Au pragmatisme cynique du jeune blanc-bec se heurte la misanthropie atrabilaire, grincheuse et lyrique du vieil auteur pour qui, disons-le, le lecteur a plutôt tendance à prendre partie. Et on s'embarque pour 300 pages de franche engueulade.
Vieil auteur à la dérive qui a hérité de sa mère (la "chamaille") un caractère de cochon, et qui mène le bal d'un pugilat verbal picaresque et d'un dialogue de haute volée. Dialogues outranciers, hystériques, déjantés, d'une parfaite mauvaise foi, dignes d'un capitaine Haddock des meilleurs jours, dans un déluge de vocabulaire comme on n'en trouve plus... Il se trouvera bien quelque pisse-froid pour regretter qu'il faille souvent avoir recours au dictionnaire (et un bon), qu'on y trouve quelques ficelles houellebecquiennes, ou que sur 300 pages c'est longuet. Mais le numéro de Delbourg est une virtuosité d'écriture, de style et d'érudition, qualités d'une littérature en perdition.
Au delà de l'écriture on appréciera, du moins pour ceux qui connaissent un peu le milieu, la peinture un rien pamphlétaire du monde de l'édition et du livre, ses difficultés, ses travers et ses hypocrisies ; du narcissisme des auteurs jusqu'au consumérisme du lecteur en passant par le double, ou triple, ou... des professionnels ou des critiques, personne n'en sort indemne, sans que le moindre jugement ne soit prononcé, même si le fond de la pensée de l'auteur ne laisse guère de doute...
Pour en revenir à la littérature, le livre de Patrice Delbourg, qui ne cache pas ses références à Flaubert, brasse large et vise juste. Loin d'être facile à consommer, il s'appuie sur l'humour, l'érudition et... l'expérience. C'est un objet littéraire difficilement classable, mais qui réconforte par sa dimension profondément humaine, loin du consensus et de ce qu'on nomme objectivité.

lundi 4 mars 2019

E.E. Schmitt ou l'éloge de la daube

Dans l'Obs de cette semaine, l'excellent David Caviglioli relate une expérience intéressante, celle de son immersion dans un happening que précise le titre de son article : "Les leçons d'écriture de Monsieur Schmitt". Car c'est bien Eric-Emmanuel Schmitt qui propose, par officine interposée, une masterclass, un séminaire, un cours de littérature, appelez ça comme vous voudrez. Le principe commercial : faire croire à tous les scribouillards en mal d'inspiration ou d'édition que tout va devenir simple. Moyennant entre 100 et 500 euros ils bénéficient des propos d'un gros producteur littéraire (on peine à écrire écrivain) de première force. Et le succès est énorme, nous dit-on.
Mais l'intérêt essentiel de l'article tient dans sa conclusion. Caviglioli observe, à juste titre, que le marché du roman est "commercialement dominé par de mauvais romans. Par des écrivains qui écrivent mal." Et de citer quelques noms, comme Marc Lévy, et de penser très fort à d'autres, dont le susnommé Schmitt. Et il observe qu'en comparaison un musicien classique à succès est quelqu'un qui sait jouer, un cavalier émérite est quelqu'un qui sait chevaucher, et même un chanteur de niaiseries (ça s'est vu) dispose d'un minimum de talent d'interprétation. Il semble bien qu'il n'y ait qu'en littérature que le médiocre accompagne  le succès avec autant de constance.
Les éditeurs de best-seller ne s'en plaignent pas ; on a coutume de dire, à propos du Prix Goncourt (pas le pire), que c'est l'ouvrage qu'achètent les gens qui n'achètent jamais de livre pour les offrir à des gens qui n'en lisent jamais : peut-être y a-t-il là une explications de marketing, quant à la demande du grand public et  la prescription médiatique. Quoi qu'il en soit, le constat de Caviglioli, pour amer qu'il soit, est difficile à contester...