jeudi 25 juillet 2024

Culture et ruralité, un oxymore contemporain ?

 Le Ministère de la Culture s'est trouvé en 2024 un nouveau thème de communication, cette fois en direction de la ruralité, via son Printemps de la Ruralité. Avec une grande concertation nationale (25 000 participants, nous disent les chiffres officiels) pour "renforcer la place de la culture au sein des territoires ruraux", à travers "une vision globale pour la redynamisation des territoires ruraux", afin que "se réinvente dans les campagnes un service public de la culture". Derrière ces propos qui fleurent bon nos administrations parisiennes, il conviendrait tout d'abord de définir ce qu'est la ruralité (33 % des français selon l'INSEE, 18.5 % selon l'INED...) voire ce qu'est la culture. Et ensuite de faire attention aux bonnes intentions qui pavent l'enfer.

La politique publique a comme ambition d'une part de renforcer l'offre en direction de nos campagnes, et d'autre part de soutenir l'expression d'une culture issue de la ruralité. Que les manifestations culturelles existantes délaissent la campagne, que la culture y soit reléguée au second plan, voire marginalisée, nul n'en disconviendra. Mais notre ruralité est-elle ce "désert culturel" que les citadins trompettent un peu partout ? Bien sûr que non : on y trouve des artistes, des troupes de théâtre, des créateurs, des comédiens, des auteurs, etc... qui font vivre ou revivre la création et le patrimoine, la tradition et la modernité.

Le véritable problème est ailleurs : voilà déjà quelque temps qu'une certaine intelligentia parisienne et jacobine, de gauche mais pas que, a décrété que la culture se  devait d'être avant-gardiste et que ce qui émanait de nos campagnes était trop enraciné, pas assez mondialisé, pas assez coloré, pas assez métissé, pas assez déconstruit. Dès lors l'avenir s'annonce moins radieux que ne le proclament nos DRAC. Car le renforcement de l'offre -amener en ruralité les formes habituelles de la culture qui sévit en milieu urbain- risque fort de n'être qu'une vulgarisation de plus et une étape supplémentaire de la grande colonisation centralisatrice que nous connaissons depuis si longtemps. Le phénomène des néo-ruraux a déjà largement illustré le problème, qui après avoir quitté la ville s'empressent d'installer à la campagne ce qu'ils viennent de fuir, et qui s'autoproclament volontiers cultureux en mission dans le déjà évoqué désert culturel des culs-terreux.

Je crains donc qu'un renforcement institutionnel du phénomène ne soit largement contre-productif pour l'expression d'une véritable culture issue de la ruralité. J'entends déjà les bonnes âmes qui entendront me rassurer. Et justement, dans ce pays qui entend ressembler de plus en plus à sa caricature, c'est ce qui me fait peur.

jeudi 18 juillet 2024

Benoit Duteurtre, bien trop tôt...

 Il était romancier, essayiste, critique d'art, musicologue... On le connaissait aussi pour sa chronique hebdomadaire sur France-Musique, son commentaire du Concert du Nouvel An, ses articles dans Marianne, le Figaro ou ailleurs. Ce descendant de bonne famille (celle de René Coty) un peu dandy, beaucoup mondain aurait du finir à l'Académie française, mais celle-ci lui ferma ses portes par deux fois. Et puis en cette mi-juillet 2024, à 64 ans, il nous a quitté : le coeur avait ses raisons.

Quel que soit le thème de ses écrits, on pouvait ne pas être d'accord avec lui, et cela m'arrivait assez souvent. Mais toujours on pouvait goûter le ton Duteurtre, et son élégance de chaque instant, une étonnante alchimie de nostalgie, d'humour, d'ironie, où l'érudition et l'insolence frappaient juste. Souvent corrosif, parfois cruel, peut-être injuste mais toujours élégant, ce bretteur aux allures de dandy détaché (la marque des gros travailleurs) donnait à ses écrits une altitude et une saveur qui emportait l'adhésion ou a minima incitait au débat.

Etait-ce ce que l'on appelle "l'esprit français" ? Je ne sais pas; toujours est-il qu'en nos temps si modernes où l'Assemblée nationale ressemble souvent à une récréation d'ados mal élevés, où écrire la liste des commissions en y glissant quelques slogans politiques peut vous valoir le Nobel, lire ou écouter Benoit Duteurtre était un moment de grâce. Fugit tempus, disions-nous...

jeudi 4 juillet 2024

Années 30

 S'il est une période de l'histoire à laquelle il est de bon ton de se référer à tout propos, c'est bien les années 30. Malheureusement ceux qui le font semblent n'en avoir pour vision qu'un cliché un peu sommaire. Pour avoir commis trois ouvrages dont l'ancrage historique se situe dans ladite période (Aveyron Croatie, la nuit ; Mona Lisa ou la clé des champs ; Les Saints des derniers jours, tous trois chez l'Harmattan) je considère pour ma part que ces années furent exceptionnelles, pour le meilleur et pour le pire.

Ainsi le 21 juin 1935 s'ouvrit à la Mutualité le 1er Congrès des Ecrivains pour la défense de la culture. Rien d'historique me direz-vous, si ce n'est qu'il y avait là André Gide, André Malraux, Berthold Brecht, Heinrich Mann, Robert Musil, Aldous Huxley, Boris Pasternak, HG Wells, Paul Nizan, Tristan Tzara, André Chamson, Jean Guéhenno, André Breton, et bien d'autres ; Maxime Gorki et Romain Rolland étaient excusés. Non loin de là s'exhalait le soutien d'Aragon, Saint-Exupéry, Eluard, Desnos, Maïakovski, Max Ernst, Prévert, Garcia Lorca, et tant d'autres pour lesquels l'histoire a été peut-être injuste.

Et tout cela avant même que n'arrivent à Paris les intellectuels chassés de leurs pays, qui viendront d'Allemagne, d'Italie, d'Espagne, de Russie.

L'intitulé du congrès suffit à expliquer l'enjeu qui planait sur l'occident en ces années de feu. Ce qui est remarquable c'est qu'à l'exception de quelques grands noms "de droite", l'essentiel de la littérature française et européenne de l'époque est là. L'intelligence se mobilise, dans un contexte vert-de-gris, pour sauver la culture. Et pour combattre le fascisme.

Mais je me demande bien pourquoi j'écris tout ça aujourd'hui...