lundi 24 septembre 2012

R. Millet, J. Daniel et l'horreur

Bonne chronique de Jean Daniel, dans le NO du 20 septembre, au cœur de son (excellent) éditorial, à propos de "l'affaire" Millet.
Même s'il est obligé de souscrire à une relative solidarité éditoriale, J. Daniel affirme "ne pas être toujours du côté des procureurs", et surtout présente les positions de Richard Millet avec une certaine subtilité et leur applique une analyse étayée. Certes il est en désaccord, et ramener le livre de RM à une fascination pour l'horreur est sans doute un peu réducteur, mais la concession qu'il fait sur les effets d'un multiculturalisme mal préparé est courageuse, et rare dans cet hebdomadaire.
Quoi qu'il en soit, il est agréable d'entendre un son intelligent dans le tumulte ambiant, où il apparait chaque jour davantage que les contempteurs de Millet ne l'ont ou bien jamais lu, ou bien jamais compris. Dans les deux cas, la modestie s'imposerait.

mardi 11 septembre 2012

Millet-Le Clézio, le sabre ou le goupillon

Si vous suivez la chose littéraire ou éditoriale, vous n'ignorez rien de la tempête du moment : l'horreur de Richard Millet. Et, désormais, la réponse de JMG Le Clézio.
Celui que je considère (et je suis loin d'être le seul) comme le meilleur écrivain français contemporain (je parle de Millet) s'est fendu d'un "Eloge littéraire d'Anders Breivik" (Ed° PG de Roux) qui, cette fois enfin, fait scandale. Cela faisait quelque temps que RM exacerbait son narcissisme à se présenter comme idéologiquement infréquentable, mais personne ne voulait faire de ce brillant éditeur (deux Goncourt en cinq ans) un écrivain maudit. Alors, horresco referens, il a fait l'éloge de l'indéfendable : bingo ! L'opération marketing est réussie, mais qu'en est-il de l'exigence nécessaire à la validité de toute littérature politique ?
R. Millet a écrit un pamphlet, qu'il présente comme une "provocation à réfléchir et à penser" ; or non seulement on ne tolère guère plus cela, mais Breivik le nazillon aux 76 victimes n'est guère de nature à servir quelque cause humaine que ce soit. Autant les idées de Millet sur la décadence de l'Europe, sur l'islamisation ou sur le multiculturalisme, et quoiqu'on puisse penser de celles-ci, offrent de la matière à débat, autant lier celles-ci à la tuerie d'un abruti sanguinaire n'est guère recevable, et c'est cela qui dérange.
Pour autant, cela c'est sur la forme requise de l'argumentation ; pour ce qui est du fond, et ici il s'agit de littérature, je revendique une fois de plus le droit au pamphlet, comme expression hors normes du débat d'idée, sans que les prétoires viennent décider de qui est libre et qui ne l'est pas.
Mais voilà que dans le N.O. de ce 6 septembre, c'est JMG Le Clézio, excusez du peu, qui vient dire ce qu'il faut penser de l'immonde.
Je n'ai jamais beaucoup aimé l'oeuvre de Le Clézio, élégante mais sirupeuse d'un politiquement correct de sacristie protestante. Remarquez, c'est ce qu'il y a de mieux pour obtenir un Nobel de littérature, et il l'a eu. Reste que pour répondre à Millet, il reste égal à lui-même.
RM est certes "plus connu comme éditeur que comme écrivain", JMG est lui, assurément, connu (Lévy ou Musso  aussi...), ce qui lui donne selon lui le droit de contester la liberté d'écrire et de publier ce pamphlet. Rien que ça. Et de s'interroger sur la "corruption de la pensée contemporaine". Et de faire le parallèle avec "l'idéologie nauséabonde" (quelle richesse de vocabulaire) des années 30, et les couplets ordinaires sur l'antisémitisme, l'islamophobie, la chrétienté réactionnaire ... "Tout cela peut devenir une pathologie, comme chez Breisvik", assène t-il doctement. Sauf que celui-ci a été reconnu responsable. Ecrire que "le multiculturalisme est déjà une question caduque", que "les flux migratoires sont à l'origine de la race humaine (la seule race)" ou que l'inter-culturel est l'avenir, ne semble pas exempt de fainéantise intellectuelle.
Certes, il dit fort justement, dans l'inévitable parallèle avec Céline (quelle richesse de réflexion) qu'il ne suffit pas d'être provocateur pour avoir du génie. Mais suffit-il, en l'occurrence, de tartiner avec les idées consensuelles, les images ou les émotions à la mode pour être un grand écrivain ? Une fois sa leçon de morale achevée, JMG est-il sûr que son succès ne doive rien à certaines formes de corruption de la pensée contemporaine ?