mercredi 27 octobre 2021

Merci Mona Ozouf !...

Rencontré hier, au hasard d'un zapping sur la chaine Histoire, le documentaire "Les identités de Mona Ozouf" : un véritable moment de grâce en ces temps désolants de précampagne un peu folle.

Le document date de 2020 et Mona Ozouf, solaire nonagénaire, y parle dans une langue claire et pure de ses identités : la première est bretonne, grâce à ses parents militants régionalistes ; puis les études et les rencontres (Furet, Leroy-Ladurie, Agulhon, Jacques Ozouf qu'elle épousera...), sa carrière et son oeuvre de philosophe et surtout d'historienne. Le plus remarquable est sans doute son approche de la diversité, du particulier et de l'universel, qui pose la question de l'enracinemennt et de l'émancipation de l'individu. Elle le fait, du haut de son grand âge, avec une hauteur de vue et une mesure magnifiques, sans anathème ni sectarisme.

Mais elle demeure, de par son histoire personnelle, très critique vis-à-vis du jacobinisme français, qui a cru remplacer le vide du corps du roi par le slogan de la République "une et indivisible". Elle avait lors du bicentenaire, avec François Furet, émis une critique de la Révolution française que certains ne leur ont jamais pardonné. Et aujourd'hui encore, en défendant l'Ecole et la République, elle revendique une authentique identité bretonne et légitime le sentiment régionaliste.

Quand on voit la forme prise ces jours-ci par les diverses postures autour des questions identitaires ou communautaristes, la parole de Mona Ozouf a le mérite de vous réconcilier avec l'idée d'appartenance et d'enracinement culturel, et surtout de témoigner de l'existence de l'intégrité et de l'intelligence.
Ce documentaire est disponible sur Youtube. Ne le manquez pas.

vendredi 22 octobre 2021

Succès littéraires ministériels (Lol)

On a coutume de dire qu'en France écrire un livre vous pose son homme, ou sa femme bien sûr ; de tout temps les politiques ont usé de l'artifice. Laissons de côté ceux qui, dotés de réelles qualités littéraires ont écrit pour l'Histoire (De Gaulle, Mitterrand...) et convenons que pour la grande majorité l'écriture, par des nègres le plus souvent, était un acte de com'.

Tout le monde y trouvait son compte, même les éditeurs : quand on était un haut responsable dans un parti conséquent, celui-ci garantissait l'achat des quelques milliers d'exemplaires qui assuraient quelque bénéfice. Personne ne lisait le bouquin, mais peu importe.

A en croire un article du site ActuaLitté, les choses ont semble-t-il changé, au vu des ventes de l'année (source Edistat) réalisées par nos ministres (20 % du gouvernement vient de publier un livre). Si les titres de G. Darmanin ou B. Le Maire, parus en début d'année obtiennent des chiffres respectables, respectivement de 5000 et 21000 exemplaires, les temps sont plus difficiles pour leurs collègues : le livre commis en juin de l'an passé par A. Pannier-Runacher s'est vendu à 287 exemplaires. Le ministre JM Blanquer a profité de la rentrée pour sortir un ouvrage qui malgré une publicité quasi-institutionnelle en est à... 620 ex. Toujours dans la série "Rions un peu", n'oublions pas E. Wargon et ses 75 exemplaires et l'innénarrable M. Schiappa qui culmine à l'heure qu'il est à ... 64 exemplaires.

Que peut-on en déduire ? N'étant pas dans le secret des contrats, il m'est difficile d'apprécier les nouvelles moeurs. Un éditeur de seconde zone peut s'illusionner (et encore) de la carte de visite, mais pas des maisons comme Gallimard, Stock ou Calmann-Lévy, qui n'ont évidemment jamais cru à la réussite commerciale de ces publications. Comment rentrent-elles dans leurs fonds ? Mystère, mais le tout aurait une odeur de (gros) compte d'auteur que je ne serais pas surpris. Pour ce qui est des nègres, les cabinets ministériels peuvent offrir de la main-d'oeuvre.

A moins que l'influence, au  moins supposée, des gens de pouvoir ne suscite des convoitises de la part des éditeurs, qui espèreraient ainsi un renvoi d'ascenseur ? Allons donc...

mercredi 20 octobre 2021

Rentrées moroses

Peut-être la morosité se banalise-t-elle, depuis plus de dix-huit mois que le pays vit au jour le jour, peut-être que la rentrée est toujours, presque par définition et depuis l'enfance, plutôt maussade, mais l'an deux mille vingt et un est particulièrement pesant. Pourtant la vie continue, et il faut continuer à com-mu-ni-quer.

La rentrée littéraire est-elle d'une platitude rare ? Mais non, on nous inonde de commentaires sur la "résilience" de la lecture et des librairies, revenues de l'enfer, à coûts de pourcentages inattaquables : méfions-nous des pourcentages, ces outils pour communicants dont on ne retient que le leurre agité alors qu'on ignore la construction qui le définit. Bref tout irait bien, si ce n'était ces innombrables témoignages qui me viennent du monde réel et qui démentent les affirmations officielles.

Le secteur culturel, considéré plus largement, est au bord de l'effondrement, où des pans entiers menacent de s'écrouler. Même la ministre de tutelle reconnait "une rentrée en demi-teinte" ; les festivals qui perdurent n'ont aucune visibilité ; les cinémas affichent une baisse de fréquentation de 25 % ; le théâtre, très émietté, est plus difficile à appréhender mais va encore plus mal.

A défaut de déni pur et simple, on évoque des raisons de circonstances : les gens ont peur d'être contaminés, le télétravail freine la mobilité, et bien sûr, concernant le théâtre, le harcèlement et les violences sexistes qui ont secoué ce petit monde sont dévastateurs. Sans oublier Bertrand Cantat. De l'hygiène et tout ira mieux

Certes, en y regardant de plus près, les fortunes sont diverses, et la mutation qui s'observe aurait été plus longue à s'opérer si la crise "sanitaire" (terme un peu restrictif, non ?) n'était passée par là. Mais il faudra désormais, nous dit-on rue de Valois, "réinterroger nos pratiques culturelles"...

Bref, on aura compris qu'en réalité, derrière le rideau de fumée destiné à apaiser, l'Apocalypse de la Pensée approche à grands pas.

mercredi 6 octobre 2021

Lectures : Campagne, de Matthieu Falcone

Premier titre relaté de mes lectures automnales : Campagne, de Matthieu Falcone (Albin Michel). Ce roman nous plonge dans un village de la France profonde (en fait en Dordogne) ; d'une part, quelques ruraux, vieux ou bien enracinés, et d'autre part quelques citadins posés là de fraiche date, sans racines mais pleins de certitudes contemporaines, qui vont organiser une grande fête participative et inclusive, avec choc des cultures et drame à la clé. Ceux qui ont l'habitude de me lire comprendront l'intérêt que j'ai pu porter à ce livre...

On l'aura compris, le livre traite des chocs liés à l'urbanisation du monde rural d'aujourd'hui, et derrière cela des heurts entre les vieilles cultures et les idées ou comportements à la mode. Et plus encore du télescopage entre la représentation de la nature éternelle et l'idée plus moderne ou fantasmée que s'en fait l'homme du 21ème siècle.

Le livre est une satire, avec sans doute quelques caricatures, mais c'est la loi du genre ; quelques pages sont un peu plus politiques, et évidemment ce ne sont pas les meilleures. Et on regrettera peut-être quelques longueurs évitables.

Il n'empêche que cette ode à la terre, aussi féroce et rugueuse soit-elle parfois, est un monument d'humanité et de tendresse. Falcone connait bien la campagne, il sait en parler et il sait l'écrire. Ce genre d'ouvrage, juste, profond, généreux et bien écrit se faisant de plus en plus rare, ne laissez pas passer celui-là...