vendredi 30 décembre 2022

2022, pour fermer le ban...

Longtemps je me suis résigné de bonne heure, et ce n'est pas la fin d'année que nous vivons qui sera de nature à me requinquer. Ou, plus sérieusement, elle n'avivera pas beaucoup de regrets. Même s'il est encore un peu tôt pour tirer un bilan de cette année écroulée, ce sont bien les constats négatifs qui se sont accumulés.

Ainsi, en réaction à Poutine, c'est toute la culture russe qui a été vouée aux gémonies ; ainsi, ce sont de nombreuses polémiques qui se sont abattues sur le monde de la BD ; bien sûr, les débats autour du récent prix Nobel de littérature n'ont pas contribué à relever le niveau des échanges ; bien sûr chaque camp a déploré les initiatives de censure du camp d'en face, néocons contre woke ; bien sûr... la liste est longue.

Et pour finir l'année avec panache, Houellebecq, as du marketing, a trouvé le moyen de refaire le buzz en stigmatisant les musulmans. On a beau savoir les medias gourmands et la Grande Mosquée de Paris pas forcément désintéressée dans l'affaire, on regrettera que l'écrivain ne s'en tienne à sa seule plume plutôt que de faire de l'animation dans les prétoires.

Bref on aura compris que 2022 ne me laissera pas trop de souvenirs nostalgiques. Ce qui laisse plus facilement espérer que 2023 sera meilleur ? ya pas de raison... En attendant, bonne fin d'année.

jeudi 15 décembre 2022

Prix Nobel, prolongations... suite

Le duel Ernaux-Houellebecq se poursuit, par le biais de thuriféraires plus ou moins autorisés et plus ou moins opportuns, mais c'est ainsi. Et, par le plus grand des hasards, il m'est revenu en mémoire un échange dans une librairie où je dédicaçais je ne sais plus lequel de mes ouvrages. Avec un lecteur dédicataire, nous avions devisé des mérites comparés de Marcel Aymé et de Céline, entre autres considérations sur la littérature du milieu du XXème siècle. Ce fut une très belle rencontre, peut-être la plus intéressante de toutes celles que mes dédicaces ont permis. Mais pour en revenir à ces deux auteurs, nous étions tombés d'accord pour dire que ce qui donnait plus de charme à M. Aymé qu'à Céline c'était finalement l'humour : Aymé avait de l'humour là où Céline avait de la bile.

Considérons aujourd'hui Ernaux et Houellebecq : si les livres du second, aussi noirs puissent-ils être parfois, témoignent toujours de cet humour qui les rend plus aimables, je défis par contre quiconque de trouver la moindre once d'humour dans les écrits et les propos d'Annie Ernaux. Il y a peu à parier que cela lui vienne désormais : si le Nobel a tranché en sa faveur, la postérité pourrait bien choisir Houellebecq.

mardi 13 décembre 2022

Prix Nobel : prolongations...

Annie Ernaux a donc reçu le Prix Nobel de littérature. Mais la chose continue à faire des remous : sa rivalité ultime avec Michel Houellebecq a fracturé le pays en deux clans, comme aux plus belles heures d'Anquetil et de Poulidor. Ou plutôt il semble bien que la division recoupe celle de la politique d'antan, avec nolens volens Ernaux puisant à gauche et Houellebecq moissonnant à droite.

Ce constat est attristant, car il ne reconnait pas les avis qui s'émancipent de leur faction (et dont l'Histoire montre qu'ils ont souvent raison) ; et surtout il tend à prouver qu'une récompense pourrait ne se justifier que par le postulat et l'engagement politiques, ce qui dévalorise le travail de l'auteur primé. Restent quand même, en l'occurrence pour le Nobel 2022, une opposition fondamentale : d'aucuns fustigent l'écriture névro-nombriliste de Ernaux (autofiction, complexe de classe et féminisme), attribuant à Houellebecq une dimension plus globale et mieux fouillée, voire visionnaire. Et le camp d'en face salue les combats de la nobelisée et pourfend les dérives réactionnaires de son challenger. Dans les deux cas on peut faire mieux comme argumentation.

A chacun de se faire sa propre opinion, si possible face à la seule aune littéraire. On peut quand même sourire en entendant Annie Ernaux reprocher à Houellebecq non seulement ses idées mais "son écriture plate" qui le rend "facile à  traduire", et qui expliquerait son succès planétaire. Ce n'est pas la première fois qu'un hôpital se fout de la charité, mais à ce point-là c'est rare, et notre Prix Nobel en devient mesquine et grotesque.

vendredi 9 décembre 2022

L'Etat, l'art, la culture... Exemple.

Il est injuste de dire que notre Etat jacobin n'est qu'omniscient, omnipotent et ventripotent : il est aussi incompétent. Exemple, en juin dernier, suite au déménagement d'Agro Paris Tech (Inrae, etc...) du chateau de Grignon, le ministère de l'Agriculture organise la vente aux enchères du vieux mobilier. Celui-ci est stocké, nous dit le Canard enchainé, dans un "grenier" qui rebute les deux agents de France Domaines venus l'expertiser : ceux-ci se contenteront de quelques photos "de très mauvaise qualité"...

Evalués comme étant banalement "de style" par FD, vingt sièges sont mis à prix à 170 euros, et l'enchère atteint 6240 euros. Problème, les bergères une fois dépoussièrées vaudraient, selon les spécialistes, entre 300 000 et 500 000 euros : ce sont d'authentiques Louis XVI signés Sené. Autre exemple : une console mise à prix 40 euros, vendue 2250, se retrouve quelques semaines plus tard à Drouot où elle en vaut 13 000. Il s'est trouvé quelques amateurs plus perspicaces, ou mieux informés, pour trouver le bon filon.

Autre info simultanée, j'apprends que la Délégation régionale des Affaires culturelles d'Occitanie a enfin un nouveau directeur. C'est heureux : sans compter les contractuels et les stagiaires, ils étaienet 264 fonctionnaires à l'attendre.

Je note cela simplement car ce sont deux infos du même jour ; sinon ça n'a sans doute rien à voir.

mercredi 23 novembre 2022

Déni et lecture, commerce et culture

Jeanne Seignol est youtubeuse, c'est vous dire si elle est moderne. A en croire le site Actualitté, elle anime une chaine Youtube consacrée aux livres et à la lecture. Fort bien. Désireuse de faire parler d'elle (c'est en général le but de cette activité) elle s'attaque à un supposé lieu commun (réactionnaire selon Actualitté) qui consisterait à dire que les jeunes ne lisent plus, et consacre à cela un documentaire de 35 mn. Aussi s'attend-on à ce qu'elle ne manque pas d'arguments.

Première salve : une étude du Centre national du Livre/Ipsos conclue que 93% des 7-25 ans lisent, et même que parmi eux 82% y prennent du plaisir ; au passage, on déduira que 9% aiment se faire du mal, mais bon... Et surtout, deuxième salve, cette étude bat en brèche celles du Ministère de la Culture, beaucoup moins enthousiastes. Mais notre youtubeuse a tout compris : c'est parce que le ministère ne prend pas en compte la lecture des BD et des mangas. Dans ce cas, évidemment...

J'avais relevé ici-même, en juin2021, que le Pass-culture macronien avait surtout profité aux mangas, qui représentaient 71% des achats. Mme Seignol a peut-être raison d'affirmer que les jeunes lisent plus qu'on ne croit, si sa propre analyse se veut être une étude marketing : oui, les jeunes, outre quelques livres, consomment des BD et des mangas. Seulement, a-t-on envie de lui expliquer, quand les "réactionnaires" disent que les jeunes ne lisent plus, leur idée de la lecture est quelque peu différente : pour eux, lire n'est pas acheter ou tenir entre les mains un objet de papier avec des pages numérotées et une couverture cartonnée, c'est accéder à un contenu qui éclaire le savoir, l'évasion, la culture, l'esprit critique, l'ouverture aux autres, la conscience de soi, et toute sorte de choses qui émancipent l'individu dans sa rencontre avec le monde. Je ne doute pas que certaines BD ou mangas soient de qualité, mais je ne pense pas que cette émancipation soit leur fonction première.

On ne sait trop s'il faut imputer cette tendance actuelle à esquiver le fond des problèmes (ou à faire semblant de ne pas comprendre, ou à repeindre le réel) à un déni systématique (surtout à gauche) ou à une simple stupidité. Mais le meilleur est pour la fin, constatant que la lecture de ces produits est le fait des jeunes de familles modestes : "Le fait que les pratiques des classes sociales les moins favorisées ne soient pas valorisées ne me semble pas anodin." Ben voyons.

samedi 19 novembre 2022

Debray, Nora, quand les dinosaures pensaient...

Ils ont pensé, écrit, débattu... et vécu : 90 ans pour Pierre Nora, 80 pour Régis Debray. Ils n'ont pas toujours été amis, loin s'en faut, mais ils ont fini par le devenir ; l'un, issu d'une famille de droite gaulliste, a entamé un parcours de révolutionnaire, avant de se ranger sous les ors du mitterrandisme et du sérail germanopratin. L'autre, issu d'un famille juive de gauche modérée, a fait oeuvre d'historien et d'éditeur dans le même sérail, n'a pas refusé les honneurs et a logiquement fini à l'Académie française. Longtemps opposés, ils se sont rapprochés voilà plus de trente ans : peut-être se sont-ils simplement rencontrés, autour d'une certaine idée de la culture et de la réflexion.

Réunis chez leur éditeur Gallimard pour le Figaro (du 14 novembre), les deux complices rompent encore quelques lances, avant de se souvenir des décennies flamboyantes, quand Paris où ils s'activaient était la capitale mondiale de la pensée. Et d'évoquer, entre autres figures, Duby, Furet, Ozouf, Foucault... Les intellectuels de l'époque étaient animés par une tradition humaniste et littéraire, par un rapport au civisme et au collectif (révolution ou sens de l'Etat) et par l'apport déterminant des sciences humaines (psychologie, histoire ou linguistique) à la science tout court. Quels qu'aient été ses résultats, la pensée fleurissait.

On attendait donc le grand soir, et ce fut Internet. Et avec lui l'individualisme, l'inculture et le cynisme. L'image a supplanté l'écrit, le tweet a valeur de conférence, l'émotion prime sur la raison et l'influenceur a remplacé le penseur. Le tout sur fond de matérialisme consumériste et d'ignorance.

Au delà des différences de vue qui perdurent entre Nora et Debray, ils font tous deux le même constat, celui d'un siècle révolu, pour ne pas parler de civilisation. Quand planaient les valeurs de l'imprimerie, la culture et l'éducation, quand la politique commandait encore à l'économie, quand la conscience de l'humain résistait à une rationalité de pacotille et de tiroir-caisse... Et oui, bien souvent, c'était mieux avant. Lisez l'article en question, vous comprendrez pourquoi.

mercredi 9 novembre 2022

Goncourt 2022 : marketing, affairisme et politique...

D'année en année, le Prix Goncourt se révèle être ce qu'il est : une (grosse) affaire, de moins en moins littéraire et de plus en plus financière, mondaine et foutraque. Le Prix 2022 a été attribué à Brigitte Giraud, au bout d'un psychodrame qui risque de laisser des stigmates : deux groupes irréductibles se sont affrontés pendant 14 tours de scrutin, jusqu'à ce que la voix du Président, comptant double, ne décide du bénéficiaire du jackpot. Et pourtant... le cafouillage demeurera complet.

Les tractations préliminaires avaient accouché d'une dernière liste de quatre auteurs : Guiliano da Empoli, Cloe Korman, Makenzie Orcel et Brigitte Giraud. Mais le livre de C. Korman, Presque soeurs, est tombé ces derniers jours dans la tourmente d'une polémique inconcevable pour un Prix. Exit Korman. L'écriture de Orcel est, de l'avis général, talentueuse mais trop ardue et trop absconse pour en faire un bon (c'est-à-dire grand public et rentable) Goncourt. Exit Orcel. Restent donc da Empoli et Giraud. Le Président Decoin a énoncé l'an passé un principe sien qui consiste à écarter du Prix un ouvrage déjà primé, afin que la distribution puisse valoriser deux livres au lieu d'un seul : or da Empoli a déjà obtenu le prix de l'Académie française. Certes, rétorquent les partisans de ce dernier, mais ce n'est pas contraire aux statuts, qui par contre réclament de récompenser une oeuvre d'imagination, et le livre de Giraud n'en est pas vraiment une. Balle au centre.

Et c'est ainsi que le vote bloqué à cinq voix contre cinq va durer jusqu'au quatorzième tour. Il se murmure que les deux clans irréconciliables se seraient récemment créés à propos d'une manifestation du jury Goncourt au Liban, sur fond d'antisémitisme d'un ministre libanais qui avait dissuadé du déplacement la moitié de ce jury. A ma droite, Ben Jelloun, Assouline, Rambaud... A ma gauche Decoin, Claudel, Schmitt... Quoi qu'il en soit, tous les arguments y passent : parité, diversité, etc... Et Brigitte Giraud dispose d'un argument massue : c'est une femme. Peu importe que l'écriture soit blanche, le style plat, la construction facile.

Moitié par élimination, moitié par argutie réglementaire (la voix qui compte double), c'est donc Brigitte Giraud qui sera le Prix Goncourt 2022 : de quoi relancer des ventes très modestes jusque là. Mais à moins que le jury ne se recentre enfin sur la qualité au lieu du politiquement correct, la bataille de 2022 risque de faire saigner encore longtemps.

dimanche 6 novembre 2022

Académie française : fauteuils en stock, petit prix

Clémenceau affirmait qu'il est ici bas deux choses parfaitement inutiles : la prostate et le Sénat. Il eut pu, sans férocité particulière, y rajouter l'Académie française. Aussi estimable et prestigieuse que soit cette institution, de décès en décès elle se retrouve aujourd'hui avec cinq fauteuils à (re)pourvoir, et cela n'est pas une sinécure.

Tenons-nous en au seul fauteuil numéro 19 (celui de Jean-Loup Dabadie), qui accueillit, parmi d'autres postérieurs, ceux de Boileau ou de Chateaubriand. On votait ces jours-ci pour désigner un heureux élu, sachant que la majorité absolue nécessaire à l'élection est de 13 voix. Et là, patatras ! le plus populaire des candidats a culminé, au quatrième tour, à 11 voix, contre 8 à son challenger, comme on ne dit pas à l'AF. Bref, les Immortels en place sont sévères vis-à-vis de ceux qui postulent.

Précisons à ce stade que les deux impétrants étaient Benoit Duteurtre et Frédéric Beigbeder. On peut comprendre les réserves des académiciens. Une première tentative vaine avait eu lieu en mai dernier, avec comme candidats Olivier Barrot et Frantz-Olivier Giesbert. Déjà on pouvait imaginer la perplexité des hommes en vert.

Peut-être notre Académie française devrait-elle s'interroger sur les vocations qu'elle suscite, et surtout sur celles qu'elle ne suscite pas de la part d'écrivains ou d'hommes de lettres reconnus. Les blessures narcissiques, dans une époque qui en compte tant, ne suffisent plus toujours à légitimer une candidature. Et encore moins à porter la langue française.

mardi 25 octobre 2022

Matzneff (II) : caramba, encore raté !...

...ou faux départ. Suite du billet précédent : Gabriel Matzneff sortait un livre chez La nouvelle librairie ("hussard en littérature, identitaire et patriote en politique"), sous les huées.

Mais voilà que l'éditeur en question jette l'éponge, ou du moins suspend sine die la publication. Passent encore les dégradations de la façade (les extrêmes sont habitués à ce genre d'arguments), mais les menaces de mort à l'encontre du personnel ont eu raison du projet.

Encore une fois, on ne versera pas de pleurs sur les infortunes de Matzneff et encore moins sur celles de l'extrême-droite. Je ne suis pas sûr non plus qu'il n'y ait dans ces affrontements que des férus de littérature. Mais, quoi qu'il en soit et une fois de plus, se démontre la déliquescence de nos moeurs présentes : l'expression non consuelle devient de plus en plus difficile.

vendredi 21 octobre 2022

Matzneff des fous, ou le bal des faux-culs

Gabriel Matzneff est un bon client pour un certain journalisme. Deux ans après le témoignage de Vanessa Springora (Le consentement) sur la "pédophilie" de l'auteur, la bête bouge encore et publie un nouveau livre. Et les cris d'orfraie montent d'un peu partout.

Dans Bibliobs, c'est Elisabeth Philippe qui se lâche. Et de dénoncer les "agissements pédocriminels" (il serait peut-être opportun d'attendre les décisions de justice), "l'indécence" ou la "poisseuse ironie" qui émanent du livre de Matzneff, un "gloubi boulga rance". Elle conteste le satut de "paria" dont se pare celui-ci qui, dit-elle, fut longtemps "toléré par le monde médiatico-littéraire". Sur ce plan-là au moins elle n'a pas tort, mais on se permettra de lui faire remarquer que le mot toléré est faible, et que pour cette tolérance il y eut de belles maisons, parmi lesquelles le Nouvel Obs n'était pas la dernière... Et comme Elisabeth Philippe, dès qu'il s'agit d'émettre une idée (généralement dans l'air du temps ou des lobbies à la mode) n'est coutumière ni de nuance ni de légèreté, elle étale un argument définitif pour exécuter Matzneff : il est édité par un éditeur d'extrême-droite. Avec en prime cette conclusion dont on est prié de ne pas rire : "C'est donc un tout petit monde qui se tient la main dans cette entreprise".

Ce n'est peut-être pas faux. Rappelons simplement que depuis deux ans et suite à la pression exercée par les amis de Mme Philippe, Matzneff n'est ni édité ni même commercialisé par ses éditeurs historiques et se retrouve tricard un peu partout. Le petit monde qui lui tenait la main jadis, comme dirait la journaliste, ne le reconnait plus ; cela restreint singulièrement le champ des possibles en matière d'édition : ce sont ceux qui l'ont chassé qui lui reprochent d'être passé à l'ennemi...

Alors certes, Gabriel Matzneff peut ne pas susciter beaucoup de compassion, et il n'aura pas la mienne. Mais la tartufferie hypocrite qui lui tombe dessus pour que les savonaroles de la profession se refassent une virginité ne mérite pas non plus beaucoup  de considération.

vendredi 7 octobre 2022

Ernaux, ça devait arriver, mais...

Ca y est, c'est fait. Le Nobel de littérature échoit à Annie Ernaux. Ni une surprise (voir mon billet précédent), ni une évidence. Ecrivain de talent, auteur reconnu (à condition d'aimer l'autofiction, l'impudeur et l'écriture blanche), chantre de la mémoire collective des différentes classes sociales.

Soit. Mais aussi étendard d'un politiquement correct contemporain qui n'est sans doute pas étranger à sa reconnaissance officielle. Sans doute utile pour pourfendre les inégalités sociales ou promouvoir les droits des femmes, son activisme politique, aussi légitime soit-il, est évidemment plus discutable ; ses élans mélenchonistes sont prompts à jeter le déni sur les problèmes qui dérangent, ou à lui faire dire des phrases définitives. Sa production littéraire, présentée par ses thuriféraires comme "sans concession", est de plus en plus marketée dans ce sens : il suffit de lire, au lendemain de son Prix, la prose de ses soutiens militants...

Tout cela après tout est de la politique, dira-t-on, et à chacun ses idées. Certes. Mais il me souvient que, voilà dix ans, Mme Ernaux prit la tête d'une pétition demandant le licenciement de Richard Millet par Gallimard, et son blacklistage comme écrivain et comme éditeur. Ce qu'elle obtint. Autant combattre le fascisme supposé de Millet pouvait se justifier, autant sa mort sociale relevait juste d'un maccarthysme gauchiste.

Après son élection, Annie Ernaux se sent désormais "investie d'une grande responsabilité", pour lutter dit-elle contre les injustices de classe et de genre... Peut-être vaudrait-il mieux qu'elle se considère simplement comme une grantécrivaine.

vendredi 30 septembre 2022

Le Nobel, Houellebecq et les bookmakers

Le Prix Nobel de Litérature sera décerné le 6 octobre. Et, comme avant chaque évènement soumis à incertitude, les bookmakers britanniques s'enflamment. C'est à la fois amusant et instructif. Ainsi, on trouve cinq auteurs français en bonne position. Est-ce toujours pour de bonnes raisons ? on ne sait trop...

Parmi les outsiders, deux grandes vieilles dames : Maryse Condé et Hélène Cixous. Toutes deux ont une oeuvre de qualité, internationalement reconnue ; mais ce sont aussi deux militantes, l'une autour de la cause créole et de la négritude, l'autre des causes féministes et de genre. Non que leur militantisme soit à blâmer, mais on n'oserait jurer aujourd'hui que leur talent d'auteur soit le seul qui motive cet état de nobélisable.

A l'inverse, on trouve au 7ème rang des favoris l'excellent Pierre Michon. Monument de discrétion, l'auteur creusois a, depuis les Vies minuscules, produit une oeuvre unanimement saluée où la langue est reine. Les amateurs de vraie littérature se réjouiront de cette reconnaissance.

Restent les deux poids lourds, dont Michel Houellebecq qui est en pole position, comme on dit outre-manche. Il est incontourable : réac mais recordman des ventes, et son oeuvre visionnaire rythme depuis un quart de siècle la littérature contemporaine. L'évolution narcissique du personnage -chanteur, comédien- pourrait être critiquée, mais peut-être est-ce un atout supplémentaire ?

Reste enfin Annie Ernaux, en 5ème position. Auteur de talent, en tout cas traduite internationalement. Encensée par un certain monde, et de bons livres malgré de récentes publications calamiteuses. Mais -et hélas ce sera peut-être son meilleur atout- militante de toutes les idées à la mode, comme Le Clezio en son temps...

Regretterons-nous un jour Bob Dylan ?

dimanche 25 septembre 2022

Livre et tarif postal : une farce française

La France d'il y a quarante ans accoucha d'une bonne idée : le prix unique du livre. Celle d'aujourd'hui se prépare à en pondre une mauvaise : le prix obligatoire pour l'envoi d'un livre. En obligeant à un affranchissement minimum de trois euros, le but de la mesure est d'empêcher Amazon ou la Fnac d'offrir un envoi quasi-gratuit, ce que les libraires indépendants ne peuvent financer. Ou du moins de rétablir un peu d'équilibre, ce dont on veut bien se réjouir mais qui avec un peu de réflexion risque bien de se révéler une tartufferie.

Qui peut croire que la maneuvre ramènera en librairie l'acheteur qui commande sur internet ? Déjà il y a les ruraux qui habitent à plusieurs dizaines de kilomètres d'une librairie ; ensuite il ya les gens qui ont des soucis de mobilité, handicapés ou personnes âgées, qui n'iront pas courir le centre-ville. Sans compter les actifs dont l'agenda n'est pas extensible. Et les étudiants face à des ouvrages uniquement disponibles sur le net.  Augmenter les frais de port n'aura pas d'autre effet que de les amener à lire moins. Est-ce d'ailleurs bien sûr que ce soit le seul tarif qui a écarté une part de la clientèle des librairies ? J'ai personnellement fréquenté nombre de ces libraires : j'en ai rencontré des remarquables, des moins remarquables et des franchement imbuvables... La posture du conseiller-littéraire-qui-promeut-les-livres-super-dont-on-ne-parle-dans-le-commerce, fréquemment mis en avant, est bien souvent une supercherie ; car le libraire est fatalement soumis aux lois du commerce, et sa vitrine comme son stock est essentiellement garni par les Prix littéraires et les têtes de gondole.

Chez eux comme ailleurs, on manque de place, physiquement et financièrement, notamment pour les petits éditeurs indépendants, ceux pour qui les plate-formes susnommées et internet assurent une visibilité commerciale indispensable, en plus de leurs propres ventes directes. Car qu'on le veuille ou non, la distribution -du diffuseur au libraire- tend à les marginaliser loin des rayons... Et tout cela mis bout à bout aboutira à moins de lecteurs et de lecture, comme si la tendance actuelle ne suffisait pas, et à une pression supplémentaire sur la production de qualité. Seuls les best-seller industriels tireront leur épingle du jeu.

Bref, cette mesure corporatiste conçue entre professionnels sous l'égide de quelques fonctionnaires n'a oublié qu'une chose : l'avis des clients. Chose fréquente dans ce pays. Et comme à l'ordinaire dans la tradition française, on en mesurera bientôt la démagogie, puis l'inefficacité, et enfin les effets pervers.

samedi 17 septembre 2022

Lectures : L'homme peuplé, de Franck Bouysse

Ne cherchez pas ce titre sur les listes des Prix : ni le Goncourt, ni le Renaudot, ni le Femina, ni le Médicis, ni... Malgré de bonnes critiques qui l'ont accueilli, les lois du marketing ont du passer par là. Mais pour ce qui est de la littérature, l'homme peuplé, de Franck Bouysse (Albin Michel), mériterait bien une distinction. Il témoigne du talent et de la maturité d'un auteur qui fait son oeuvre, ou plutôt qui creuse son sillon...

Car, par origine et par nature, Franck Bouysse est un écrivain rural. Ses racines, sa sensibilité, son style et les petits détails rustiques qui émaillent le récit prouvent son authenticité. Mais, fût-il corrézien, ce n'est pas un écrivain de "terroir" dans la tradition de l'Ecole de Brive. "Parle de ton village et tu seras universel", proclamait Tolstoï : c'est ce que fait le livre de Bouysse. Le pitch, autour de deux personnages : un écrivain en panne d'inspiration s'enferme dans la vieille maison qu'il vient d'acheter dans la campagne limousine, qui l'accueille sans enthousiasme, et se heurte à la présence d'un voisin paysan, marginal, taciturne, guérisseur, sorcier, plus ou moins jeteur de sorts... A partir de là, quelques détails finement mouchetés construisent peu à peu une atmosphère et une narration dramatique.

C'est un vrai roman, bien écrit, bien "senti", maitrisé, ambitieux, avec ce qu'il faut de digressions et d'universalité. Mais le style de Franck Bouysse évoque celui des conteurs de jadis, comme le Limousin en comptait tant. Et ce que le critique contemporain analyse comme du fantastique et de l'irrationnel surgit tout droit d'une certain tradition orale rurale, plus riche de symboles que franchement inquiétante. Le surnaturel, les fantômes, l'onirisme sont parfois un peu déroutants mais ils sont l'univers de cette terre. L'ambiance est âpre, le réel est rude mais c'est le réel.

Le livre de Bouysse échappe aux modes et à la péremption. Il est le fruit d'un auteur qui s'impose et dont le style est une signature. Avec ou sans Prix littéraire, il faut lire L'homme peuplé.

vendredi 9 septembre 2022

Goncourt, l'éthique et le toc...

Nous y sommes : rentrée littéraire oblige, l'emballement vers les Prix de novembre secoue le Landernau germanopratin. Et l'Académie Goncourt publie sa première liste de 15 titres. Avec une surprise, veut-on nous faire croire : pas de Virginie Despentes, dont les gazettes nous inondent depuis des semaines et qui est donc déjà le best-seller de cette rentrée. Cela a pour premier effet d'écarter Grasset du plus fameux des Prix, mais on peut supposer que tout cela a été bien négocié... Surprise très relative au demeurant, car on voyait mal cette rebelle institutionnelle concourir à un prix dont elle était membre du jury voilà encore deux ans.

Mais il fallait que cette éviction soit vendue comme un signe de moralisation ; régulièrement secoué par des polémiques, le jury était contraint d'introduire de "l'éthique" dans ses pratiques. Et, au cas où on nourrirait un doute, deux autres décisions viennent enfoncer le clou de manière définitive : d'abord les membres du jury qui chroniquent dans les médias devront s'abstenir de critiques concernant les ouvrages sélectionnés, afin de ne pas influencer leurs collègues. C'est pas fort comme mesure, ça ? Et tenez-vous bien, ce n'est pas tout : seront inéligibles au Prix les ouvrages des conjoints, compagnons et proches parents des membres dudit jury... Pour mieux comprendre, voir sur ce blog "Tambouille et Goncourt-bouillon" du 28 septembre 2021.

Il n'est rien dit sur les liaisons informelles, celles qui pimentent la vie de notre petit monde parisien, ses coucheries, ses dîners en ville et ses renvois d'ascenseurs. Mais celles là seront toujours difficiles à appréhender. Et de toute façon on sait depuis longtemps à quoi s'en tenir sur l'organisation des prix. Business is business, mais gardons espoir : il devrait bien se trouver, loin du barnum médiatique, quelques bons titres à lire...

mardi 30 août 2022

Savonarole(s)

Il n'y a pas trois mois de cela, je vous entretenais de la propension actuelle à vouloir éclairer le monde, de gré ou de force. Aujourd'hui, c'est Pen America, vieille organisation littéraire américaine qui défend la liberté d'expression, qui nous informe que 137 projets de loi, visant dans les écoles à "protéger les élèves lors de discussions sur les identités raciales ou sexuelles" sont à l'étude, principalement dans les états du Sud, ce qui laisse à penser qu'ils viennent des extrémistes conservateurs. Sont par exemple bannies des écoles la Bible (!) ou la BD sur Anne Franck. Mais en face on n'est pas en reste, en invoquants les mêmes raisons identitaires, sauf que là on se réfère à la culture woke, la cancel culture ou l'intersectionnalité ; et en Allemagne, par exemple, c'est Winnetou le petit Apache qui est dans le collimateur, sur fond de redface et de "préjugés coloniaux"...

Evidemment, dans chaque camp, on entend combattre la "bien-pensance" imputée à ceux d'en face, et on s'estime légitime à museler l'Autre, avec une similitude chaque jour un peu plus sinistre si on connait un peu l'Histoire. Tout au plus peut-on distinguer une censure d'extrême-droite qui vise le fond et qui interdit, face à une censure d'extrême-gauche qui vise la forme et qui empêche de parler autrement qu'elle, et entend réécrire cette Histoire. Maigres différences, donc...

Il n'y a pas si longtemps on aurait pu simplement en appeler aux Lumières, pour affronter ces tendances qu'il faut bien appeler fascisantes, quelle que soit leur origine. Mais ces Lumières, bien instrumentalisées, sont-elles encore une référence efficace ? Peut-être, espérons le, mais...

mercredi 17 août 2022

Lectures : Sandor Marai, l'étranger d'alors...

1926, un jeune docteur en philosophie hongrois débarque à Paris. Etranger, il évolue avec d'autres étrangers, dans un monde dont Montparnasse est l'épicentre : il y a là d'authentiques génies, artistes promis à une célébrité à venir, et de vrais escrocs qui exploitent le dernier arrivé. Notre héros survit tant bien que mal, avant de découvrir la culture d'une France plus profonde (la Bretagne).

Telle est la trame du livre de Sandor Marai, Les étrangers, paru en 1931. Ce récit initiatique est, derrière le propos romanesque et la peinture du Paris des années 20, une réflexion sur l'exil, qui marquera toute la vie et l'oeuvre de Marai. L'intérêt du livre est d'être largement autobiographique et rédigé presque à chaud ; il est sincère et à l'abri du pathos des auteurs contemporains, qui permet à la fois d'apparaitre généreux et de bien vendre. Il raconte une autre époque, d'avant la société de consommation, la règlementation du travail et la multiplication des travailleurs sociaux. On y vit pauvre et on y trouve le petit boulot (on ne disait pas alors petit) qui empêche de mourir de faim : ce n'est certes pas la panacée, mais c'est devenu presque impossible depuis.

Certes, en ce temps là comme aujourd'hui, l'autochtone est méfiant, parfois hostile. Mais la société fonctionne, de façon souterraine souvent, et elle "accueille" mieux qu'aujourd'hui, avec une résilience qui fait des miracles quotidiens. On ne l'idéalisera pas comme modèle, mais elle peut nous faire réfléchir sur les modes d'accueil actuels en redessinant l'exil dans toute sa complexité, celle qui a marqué Marai.

Avant-guerre, cet exil portait en lui les barbaries du XXème siècle, malgré la vitalité de cette société qui sortait de la grande boucherie. Mais notre société d'aujourd'hui, sclérosée et arc-boutée sur la culpabilité par défaut, augure-t-elle de mieux ?

mardi 2 août 2022

Debray, prémonitions et imbéciles...

J'ai souvent eu l'occasion, sur ce blog d'évoquer Régis Debray et ses analyses. Qu'il s'agisse de révolution, de frontières, de laïcité, de médiologie ou de la marche du monde, sa pensée a su avec constance remettre l'église au centre du village, selon l'expression consacrée. Et s'il n'échappe pas toujours à ce narcissisme qui fait les intellectuels contemporains, il a pensé le dernier demi-siècle avec hauteur et perspicacité, quand tant d'autres pataugent dans une vacuité que les écrans ne parviennent plus à masquer. Et, juste pour le plaisir, je rappellerai ce qu'il écrit de l'engagement : "L'intellectuel engagé, un oxymore qui cache au pire un imposteur, au mieux un comédien."

La preuve de sa prééminence : c'est dans une série consacrée par le Figaro aux intellectuels dans la guerre, et relatant parmi d'autres la vie de R. Debray, que j'ai découvert ce qu'il écrivait dans une correspondance : "Quiconque ne comprend pas que l'unification économique et technique de la planète Terre ira de pair avec l'accentuation de ses particularités nationales, quiconque ne saisit pas cette étonnante dialectique, qui est le tissu de notre présent, il est grand temps qu'il passe une fois pour toutes pour un imbécile."

Etait-ce le résultat de sa réflexion ? Celui d'une prémonition intuitive ? Toujours est-il qu'il écrivait cela... en 1969 ! Et on n'aura donc pas la cruauté de compter le nombre d'imbéciles, passés, présents ou à venir, que sa plume talentueuse révèle...

Et, de plus, il avouait à l'époque préférer Brel et Brassens aux Beatles.

vendredi 29 juillet 2022

Culture, nature, imposture...

Quelques jours après leurs collègues londoniens, des activistes italiens de Ultima Generazione ont collé leurs mains sur un tableau de Botticelli, au nom de leur lutte pour le climat. On les nomme activistes, car on ne sait s'il conviendrait de dire écologistes, climatistes, apocalyptiques, ou autre... Toujours est-il que ces jeunes gens aux avis tranchés et aux méthodes médiatiques font parler d'eux et obtiennent ainsi le but recherché, en mettant mal à l'aise tout esprit sensé.
D'abord parce qu'ils affirment tirer leurs arguments de vérités scientifiques et dès lors s'estiment légitimés pour imposer leurs vues : les dernières expériences de ce type de postures remontent aux années trente du XXème siècle, en Allemagne et en URSS. Ce qui devrait les faire réfléchir, s'ils possédaient une once de culture historique. Ensuite parce que, probablement sans s'en douter, ils posent un débat plus fondamental d'une opposition entre nature et culture. Certes, de la même façon que la lutte relative au climat est concevable, une disputatio sur les rapports culture-nature peut être intéressante. Malheureusement notre époque est devenue brutale, et l'on prend soin de caricaturer l'avis contraire avant d'argumenter contre, et l'attaque de ces extrémistes contre la nature devient une attaque contre l'esprit critique, cet esprit critique qui serait si utile en nos temps modernes, ne serait-ce que pour réhabiliter la modération, l'esprit de synthèse et l'altérité.
Peut-être après tout la nature n'est-elle qu'un prétexte pour ces activistes soucieux de déconstruire le passé, ou peut-être s'agit-il simplement d'une manifestation névrotique de l'immaturité, un peu terroriste, de certains ados prompts à  trépigner quand les autres ne leur cèdent pas sur le champ. Quoi qu'il en soit, il y a de grandes channces que ce nihilisme aussi fascisant que prépubère n'augure rien de bon...

lundi 18 juillet 2022

Livre et sévices publics

Il est de bon ton, dans tous les medias, de contribuer à l'esprit de vcances qui sied à la période en conseillant des "lectures". Le site de France 3 Occitanie n'échappe pas à la règle. Hélas.

Précisons d'emblée que je n'ai rien contre France 3 Occitanie, qui voilà quelques années offrait mes livres comme récompense de concours. Précisons aussi que je comprends très bien que cette littérature de vacances soit, comment dire, plus populaire, plus facile ou "d'évasion", selon le terme consacré : on peut y trouver des ouvrages respectables.

Mais là, la "chroniqueuse littéraire" autoproclamée qui sévit dans une émission du matin ne craint pas la caricature ; ses trois livres "chargés d'émotion", bien sûr, et qu'il conviendrait de lire sont : un produit signé Guillaume Musso ("un écrivain incontournable"), et deux titres étasuniens dont le seul titre fleure bon la vénérable collection Harlequin : "Un jour" et "L'amour continue". Il est vrai, nous dit-elle, que "la couverture nous invite à découvrir le livre". Face à un tel argument, on ne peut que s'incliner.

Ces prescriptions de tête de gondole ne mériteraient aucun commentaire si nous n'étions sur un médium de service public, celui-là même qui ces jours-ci défend bec et ongles sa redevance audiovisuelle. On pourrait quand même attendre de l'argent public qu'il serve une autre ambition.

mardi 5 juillet 2022

Lecture : Plateforme, plus de vingt ans après...

Plateforme est paru en 2001. Qu'en disait-on à l'époque ? Michel Houellebecq était déjà célèbre, après Extension du domaine de la lutte (1994) et Les Particules élémentaires (1998). Il avait déjà inventé son style, un style dans lequel la critique de ce début de siècle voyait surtout le sexe et la provocation, le cynisme et un peu d'humour, et le diagnostic d'une société finissante. Houellebecq original, certes, et perspicace, sans doute, mais plombé par un style blanc et la facilité de la provoc... Et, comme souvent, on voyait le doigt davantage que ce qu'il montrait.

Plus de vingt ans plus tard, relire Plateforme permet de situer dès cette date la dimension qu'allait prendre l'auteur, dont c'est sans conteste l'oeuvre la mieux maitrisée. Y éclatent son talent prémonitoire et sa finesse d'analyse d'une société malade, pour ne pas dire agonisante. Quelques personnages noyés dans l'industrie touristique éclairent la déliquescence d'un monde où ni l'entreprise ni l'individu  ne sont capables d'élaborer du sens. Quant à l'attentat islamiste évoqué à la fin du livre, il a été pensé par MH un an avant le World Trace Center...

Les vingt années passées ont fait oublier les critiques pudibondes de l'époque ; quant au sens du marketing de l'écrivain, il a fait plus fort depuis. Pour ce qui est de la trame de l'ouvrage, la compétition économique (et sexuelle) promue sous forme de subversion, le temps n'a fait que conforter les thèses de Houellebecq.

Si Plateforme est le meilleur livre de celui-ci, il est aussi celui qui illustre de façon éclatante la dimension visionnaire du trublion des lettres. Depuis il y a eu du bon et du moins bon, mais la stature de Michel Houellebecq s'est imposée.

jeudi 23 juin 2022

Sylvie Germain, symptôme de notre modernité

Son nom n'est pas toujours en tête de gondole, mais Sylvie Germain est reconnue comme un écrivan de qualité, orfèvre de la langue et auteur d'une belle bibliographie. Aussi était-il logique que sa prose figure un jour au bac de français. Patatras ! Nombre de jeunes impétrants l'ont trouvé trop complexe, et ont tenu à le faire savoir sur leurs réseaux dits sociaux...

On ne s'attardera pas ici sur le dégueulis qui s'y est répandu. Nous n'aurons pas non plus la mesquinerie de leur faire remarquer que, au vu de leurs tweets et autres éructations, leur éventuelle mauvaise note en français n'est pas toute imputable à S.G. Disons simplement que les appels à la haine ou au viol, ressorts habituels de l'expression juvénile, y sont bien représentés.
Si on lit l'extrait de Jours de colère (1989) proposé à l'épreuve, on observe juste qu'il est très beau, sans mot compliqué ni concept ardu. Un peu trop rural, peut-être, pour ces hordes mais sans complexité particulière. C'était pourtant trop. Et l'auteur a pu, en réponse, stigmatiser "l'immaturité, la haine de la langue et le refus de l'effort" d'une partie de cette jeunesse prompte à la victimisation et rebelle à toute frustration.

Une simple polémique de plus, dira-t-on ? Ni Sylvie Germain ne la méritait, simple prétexte, ni un bac au demeurant parfaitement inutile, mais c'est un autre débat. S'en prendre aux institutions ne suffit plus, il faut désormais du sang, fût-il virtuel, surtout quand il coule de quelqu'un plus dégrossi que la racaille. Bref, on en est là, et les petits fachos analphabètes qui sortent leur smartphone quand ils entendent le mot culture semblent avoir un bel avenir.

vendredi 10 juin 2022

Eclairer le monde, de gré ou de force...

Dans le droit fil du billet précédent, la version étasunienne n'est pas non plus des plus encourageantes, d'autant que les dérives n'épargnent aucun camp. Si ces camps -démocrates et républicains- sont d'accord sur une chose, c'est sur la nécessité de nettoyer les programmes scolaires, que pour des raisons diamétralement opposées ils ne trouvent pas à leur goût, et d'y censurer notamment la littérature.

Dans le collimateur de la droite néoconservatrice, l'éditeur Barnes et Noble, est attaqué en vertu d'une vieille loi de Virginie qui permet à tout un chacun d'attaquer un livre pour obscénité s'il s'y trouve "un intérêt lubrique pour le sexe" ou "manquant de valeur littéraire, artistique, politque ou scientifique sérieuse", définition qui, on en conviendra, est objectivement assez aléatoire.

Dans le viseur du camp démocrate, ou plus précisément de sa sensibilité woke et LGBTQ, les ouvrages "d'un autre temps", c'est-à-dire décrétés trop genrés, racistes, hétéro-normés, patriarcaux, etc...

C'est ainsi que dans 3000 écoles, 1600 livres ont été retirés des rayons et des programmes.

Bref, on  l'aura compris, l'humanisme éclairé progresse.

mercredi 8 juin 2022

Ukraine, livres et vieux fantômes...

"Plus ça change, plus c'est la même chose", dit communément le peuple. D'ailleurs, pourquoi cela changerait-il, car si l'Homme apprenait de ses erreurs et de ses turpitudes le paradis serait sur terre depuis belle lurette. Sans remonter aux calendes grecques, voilà trois siècles que les Lumières éclairent le monde de leurs valeurs de liberté, de fraternité et d'intelligence... Et pourtant l'Histoire bégaie, l'ouverture d'esprit balbutie.
Ainsi en Ukraine, les vieux réflexes reviennent. On peut comprendre sans mal que ce pays éprouve quelque rancune à l'égard de la Russie de Poutine, mais cela peut-il expliquer qu'il faille, comme annoncé par une responsable, retirer des bibliothèques Dostoïevski et Pouchkine, par exemple, coupable à ses yeux de "messianisme russe" et en tant que tels responsables de l'impérialisme de ce pays ? Cette initiative "dans un premier temps" sera suivie d'autres, notamment le retrait des bibliothèques de 100 millions d'exemplaires de livres russes et leur remplacement par des productions ukrainiennes. Et de demander aux salons du livre occidentaux de boycotter les délégations russes, au profit de stands ukrainiens vides... On clame urbi et orbi qu'il faut non pas gagner la guerre mais gagner la paix, encore conviendrait-il pour cela de pouvoir penser.

Bref, progressisme ou pas, l'Histoire voit les causes produirent les mêmes effets. Les rencontres entre idéologie politique et littérature ont rarement engendré des suites heureuses, où que ce soit et singulièrement du temps de l'Union soviétique, pour nous en tenir à l'Est. Et on nous dit que même chez nous, en ce moment, des militants bien intentionnés verraient bien une organisation de la production littéraire et culturelle plus conforme à leurs idées... Finalement, je pardonnerai aux ukrainiens.

jeudi 2 juin 2022

Miracle célinien

Est-ce un miracle ? Est-ce la force de l'évidence ? L'effet du temps qui passe ? On ne sait, toujours est-il que la dernière production de Céline est unanimement saluée. Guerre est un manuscrit volé à l'auteur à la Libération, "perdu de vue" pendant trois quarts de siècle avant de réapparaitre en 2021 et d'être publié illico par Gallimard.
Manuscrit ponc, c'est-à-dire ouvrage non terminé, non relu, non définitivement construit. Et pourtant... Tout le monde s'accorde à saluer la qualité du livre, et à en conclure qu'une telle qualité pour un ouvrage non fini relève du génie. Ce qui ne surprendra pas les céliniens, mais les autres ?

Oh certes il y a bien souvent le préalable requis sur l'abject Céline, les pamphlets, tout ça... Mais il semble enfin admis qu'il soit possible de dissocier l'homme et l'écrivain, ce que certains ont si longtemps refusé, pour s'en tenir à l'oeuvre.

Devrait survenir bientôt la suite des autres parutions de ces "nouveaux" manuscrits : la première a suscité une certaine impatience. Quoi qu'il en soit, et que mes amis proustiens ne m'en veuillent pas, avec Guerre Louis-Ferdinand Céline s'est imposé encore davantage comme le plus grand écrivain du XXème siècle.

vendredi 27 mai 2022

Claude Michelet, la terre et la plume...

Claude Michelet s'en est allé, et avec lui les dernières palombes. Ce fils de ministre qui avait choisi la terre, comme il l'a écrit, aura marqué le monde du livre du XXème siècle, en réhabilitant le roman populaire. Ecrivain et paysan, auteur à succès et brebis galeuse.

Après avoir écrit pour expliquer sa propre histoire -La terre qui demeure, J'ai choisi la terre,...- il connait le succès auprès du grand public avec Des grives aux loups en 1979, suivi de Les palombes ne passeront plus l'année suivante. Remettant à l'ordre du jour la littérature populaire du XIXème siècle, il s'attire la condescendance, pour ne pas dire le mépris, du monde germanopration mais est plébiscité par les nostalgiques encore dotés de gènes ruraux, c'es-à-dire de nombreux français. Et si son oeuvre est de qualité, c'est que Michelet sait écrire mais aussi labourer, réparer un tracteur ou panser une vache, donnant ainsi une réelle crédibilité à ces "romans de terroir", comme dit la critique, davantage sans doute que ne le feront ses imitateurs.

Au delà de ses succès, il devient le principal fondateur de "l'école de Brive", avec d'autres talents (Peyramaure, Bordes,...) et avant que le genre ne se détériore avec les sempiternelles bluettes d'auteurs de sous-préfecture. Pour autant, et même si la gloire a passé, Claude Michelet aura marqué son temps ce qui, n'en déplaise à ses contempteurs, n'est pas donné à tout le monde. Saint-Libéral tiendra longtemps la dragée haute à Saint-Germain.

mercredi 25 mai 2022

Lecture : L'ai-je bien descendu ? de François Bazin

J'ai eu l'occasion, à moultes reprises, de faire sur ce blog l'éloge du pamphlet. Aussi me suis-je précipité sur le livre du journaliste François Bazin L'ai-je bien descendu ?, recueil de textes au vitriol, pépites de l'assassinat littéraire en politique. Ce livre, parus chez Bouquins et sous-titré "Les politiques dans le viseur des écrivains", est une somme de 380 pages où l'on retrouve les grands virtuoses de la plume empoisonnée, depuis Barbey d'Aurevilly jusqu'à Patrick Besson ou Yann Moix.

Si le calembour est la fiente de l'esprit qui vole, selon le mot de Hugo, le pamphlet est lui l'éructation de la conviction mâtinée de l'esthétique du style. Car il n'y a de bon pamphlet que bien écrit : l'élégance y sied bien à la violence. La violence sans l'élégance serait déplorable, le style sans virilité raterait sa cible. Or un bon pamphlet ne peut rater sa cible : Hugo a définitivement détruit Napoléon  III (Napoléon le petit), Jean Cau a blessé Mitterrand, Jean-Edern Hallier  a exécuté Giscard (Colin froid)... Il y faut bien sûr de l'injustice, de l'outrance et de la mauvaise foi, mais on ne s'attaque jamais qu'à des puissants.

Pour en revenir au livre de Bazin, on y retrouve notamment avec plaisir, parmi cinquante autres auteurs et outre ceux déjà cités, Pierre Boutang, Jacques Laurent, François Mauriac, Stéphane Denis (qui signa Manicamp), Françoise Giroud et bien sûr un des plus grands, Léon Daudet... Certes, pour goûter la prose, il convient parfois de se replonger dans l'Histoire de l'époque et de connaitre certains tenants et aboutissants, le politique et le pamphlétaire ainsi que leurs rapports.

Aussi s'en vient-on une fois de plus, à l'heure de la politique contemporaine, à regretter que l'usage du pamphlet soit passé de mode et que les plumes, comme tant d'autres choses, se soient aseptisées. En ces temps électoraux, on se plait à imaginer ce qu'un Daudet, par exemple, eût tiré d'un Macron, d'une Le Pen, d'un Mélenchon, pour ne s'en tenir qu'à eux... Il est vrai que l'ère des tribunaux est venue et que les polémistes n'ont plus le courage d'un Rochefort ("L'homme aux vingt duels et aux trente procès") envoyé au bagne...

jeudi 19 mai 2022

Debray, Tesson : des moments d'un autre temps...

Il est parfois des moments de grâce, qui suspendent le temps et qui balayent les scories du présent contemporain, qui rassurent sur la pérennité de l'intelligence non artificielle. Ainsi la rencontre Régis Debray-Sylvain Tesson, organisée par le Figaro, qui en relate l'essentiel dans son numéro du 16 Mai dernier.

Que retenir de cet échange entre deux écrivains qu'a priori tout pourrait opposer ? L'un est l'homme de l'Histoire, à laquelle il a voulu participer, l'autre est celui de la géographie, qu'il veut particulière : le thème du débat était d'ailleurs "Faut-il changer le monde ou le contempler ?". Pourtant tous les deux ont en commun un même ancrage dans le temps, quand bien même ils ne le revendiquent pas de la même façon.

Ainsi ce moment fût-il de grâce, de subtilité et d'érudition, de culture et d'humanité. De complicité aussi, derrière les narcissismes satisfaits d'eux-mêmes mais pas dupes de leur personnage : cela n'est pas dépourvu de charme, à une époque où il est de bon ton de donner dans la compassion souffreteuse...

Moment de grâce, ai-je écrit, et moment d'un autre temps, quand la culture prévalait. Nul n'a gagné, nul n'a perdu. Et, en ces temps électoraux, concluons par des propos de Julien Gracq, cités par Debray : "Tant de mains pour transformer le monde, si  peu de regards pour le contempler...".

lundi 16 mai 2022

Déjà parus...

 Un petit rappel de mes diverses parutions...

     . L'âme des chemins creux, mémoires d'un sud  Elytis 2021

     . Les Saints des derniers jours  L'Harmattan 2018

     . Le répountchou qu'es aquo ?  Vent Terral 2017  (avec AM. Rantet-Poux)

     . Mona Lisa ou la clé des champs  L'Harmattan 2014

     . Passeport pour le Pays de Cocagne  Elytis 2012

     . Aveyron Croatie, la nuit  L'Harmattan 2011

     . Histoires peu ordinaires à Toulouse  Elytis 2007

     . Histoires peu ordinaires au Cap-Ferret  Elytis 2006  (avec Ch. Oyarbide)

     . Week-end à Schizoland  Elytis 2005

     . La branloire pérenne  Elytis 2002

En vente dans toutes les librairies, chez l'éditeur ou chez l'auteur. Et aussi en e-book chez les titres parus chez l'Harmattan.

mardi 10 mai 2022

BD correcte...

La bande dessinée est un genre majeur de l'édition. C'est également devenu un support reconnu en milieu scolaire. Il était donc logique que le Syndicat national de l'Edition crée en 2020 un programme "La BD en classe". Nous en sommes donc cette année au troisième épisode., bien dans l'air du temps : "Les valeurs d'écologie, d'entraide et de solidarité sont au coeur de cette nouvelle publication, pour sensibiliser les élèves aux défis qui les attendent", nous dit Actualitté.

Il y aura sans doute, pendant encore longtemps, des débats sur l'utilité de la BD à l'école. On peut néanmoins admettre qu'elle soit un bon support à l'éducation, à la création, au travail en équipe. On peut même, si l'on évite les a priori, la croire utile "aux discussions sur des questions éthiques et civiques comme le développement durable ou l'acceptation de la tolérance".

Pourtant, quand on lit "...ces dix-sept BD qui permettent de travailler des axes du programme scolaire tels que la préservation de l'environnement, la solidarité, la responsabilité individuelle et collective face aux défis environnementaux, l'engagement, la coopération et le vivre ensemble." on se sent envahi par la perplexité et une certaine lassitude face à ce verbiage sans surprise, mille fois pré-maché, digne des grandes heures des konsomols...

On ne peut que souscrire, sans excès de pessimisme, à l'immanence des défis annoncés. Pour autant, ces défis seront-ils (uniquement) ceux-là ? Et surtout se poseront-ils comme nos pédagogues l'ont imaginé ? Et les solutions opportunes seront-elles prescrites dans les débats autour des bulles ? 

Mais il faut bien "vivre ensemble"...

lundi 25 avril 2022

2022 : De Molière à Boby Lapointe

L'année 2022 sera celle de Pézenas ou ne sera pas. Les deux principaux noms qui ornent l'histoire de la petite ville héraultaise font l'objet de la commération de leur naissance, voilà quatre siècles pour Poquelin qui y séjourna quelques années, et 100 ans pour Boby Lapointe qui y vit le jour.

Je ne m'attarderai pas ici sur Molière, d'autres le font ailleurs à satiété et mieux que moi. Reste Lapointe, qui n'est certes pas un inconnu amis qui me semble singulièrement sous-valorisé. Cet auteur-compositeur-interprète, comme disent les notices, était parti pour devenir ingénieur mais la guerre bouleversa le projet et c'est ainsi qu'on le retrouva sur les planches parisiennes et sur quelques écrans.

Il faut écouter Boby Lapointe, écouter ses textes et le son de ses textes ; il faut lire ses textes et les voir. C'est un gisement forcené de jeux de mots, de contrepèteries, de calembours et de gags sonores ou littéraires. L'humour et la fantaisie vaguement héritières du surréalisme et du nonsense révèlent toujours une surprise : voilà un bon demi-siècle que j'ai découvert BL, et je découvre presque à chaque audition un nouveau clin d'oeil qui m'avait échappé jusque là. Une série de trois mots produit facilement deux jeux de mots : capable d'inventer un système informatique, le piscenois est aussi un génie créatif. Un peu allumé parfois, mais assurément un génie.

Le Festival Printival lui rendra localement hommage. Pour le reste de l'année, profitez de tout ce qui sera proposé. Et si vous ne connaissez pas l'oeuvre de Boby Lapointe, n'attendez pas 100 ans de plus pour la découvrir !

vendredi 22 avril 2022

Edition, ballotage défavorable

Ses dernières éditions calamiteuses auront eu raison du Salon du Livre, porte de Versailles. C'est désormais le Syndicat national de l'Edition qui organise, intra muros au Grand-Palais, le Salon du Livre de Paris. Première conséquence : exunt, pour cause de coût des stands, les "petites" maisons d'édition indépendantes et les délégations régionales. On restera dans l'entre-soi germanopratin pour évoquer la fusion Editis-Hachette, l'affaissement des marges, le problème Amazon ou les progrès de l'auto-édition.

Au delà de la tambouille des professionnels de la profession, on communique donc beaucoup ces jours-ci sur l'univers du livre. Les ventes, par exemple : on nous a rebattu les oreilles avec les soi-disant fastes des années covid, quand les lecteurs chevronnés lisaient un peu plus (des têtes de gondole) et que le pass-culture stimulait les achats chez les jeunes (des mangas à 75 %). J'ai déjà écrit sur ce blog ce qu'on pouvait penser de la situation réelle, moins euphorique. Bilan à ce jour : les ventes ont chuté de 15 %... Bien sûr, on nous dit que la guerre en Ukraine ou les aléas de notre élection présidentielle ont détourné les lecteurs vertueux. On me permettra de douter que l'actualité ukrainienne ou que les (relatives) incertitudes électorales françaises aient beaucoup perturbé le lecteur de mangas... Et en même temps, comme on disait voilà cinq ans, le coût du papier s'envole de 20 %, et celui de la fabrication de 30 à 50 %...

Alors, bien entendu, des mesures d'adaptation sont évoquées, mezza voce : la hausse du prix des livres, inévitablement. L'édition purement numérique, sans impression physique, en attendant un jour prochain l'impression à la demande par le libraire. Avec, dans tous les cas, une promotion réduite à peau de chagrin, excepté pour les best-sellers.

Les gros éditeurs parisiens ont donc repris les affaires en mains, obnubilés par leur marge de rentabilité. Pas sûr que l'édition, la littérature ou la lecture y gagnent en qualité, ni que la crise, lente mais historique, s'en tienne là...

samedi 9 avril 2022

Voter Hegel ?

"Le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie". (Hegel)

Nous avons pu constater que la campagne électorale qui s'achève n'a dit que de pauvres choses, et encore ces choses ont-elles été dites pauvrement. Sabir déstructuré pour militants chez les uns, slogans de café du commerce pour d'autres, éléments de langage faits de clichés communicants en appelant à l'émotion chez presque tous, voilà de quoi fût fait ce temps fort de la vie démocratique du pays... L'émotion et l'image supplantent la pensée et le mot, l'inculture enterre le discernement.

Pourquoi Hegel ? pas forcément pour ses postulats philosophiques, mais parce que cette citation exprime en quoi le mot est indispensable à la pensée et qu'il la conditionne : pas de mot, pas de pensée ; peu de mots, peu de pensée ; plus de mots, plus de pensée. Le mot est la matière première de l'auteur, il est aussi celle de tout humain qui veut parler... De combien de mots est composé le vocabulaire usité par nos politiques ? par un consommateur moyen ? par un jeune lambda ? par un abstentionniste banal ?

Sur ce, bon vote !

mardi 5 avril 2022

Dépolitisation, de la vacuité à Jacquouille...

C'était une campagne électorale, et elle s'achève dans trois jours, du moins pour le premier tour. Il n'y a pas eu de campagne, me répondez-vous ? Eh bien peut-être n'est-ce pas plus mal, tant la vacuité des programmes et des postures aura été affligeante. Les propositions ne tiennent ni de la doctrine ni du projet, mais évoquent plutôt la liste des commissions, clientélistes, anecdotiques ou pathétiques. Quelques candidats ont fait illusion mais se sont vite perdus : Zemmour a parlé civilisation, avant de partir dans un délire névrotique d'un autre temps. Pécresse a parlé réformes, avant de sombrer dans les flots battus de l'agonie de son parti, écartelé de toutes parts. Mélenchon a noyé son talent dans une vieille démagogie brouillée avec les chiffres et parfois très ambigüe. Hidalgo aurait pu porter une social-démocratie nouvelle, avant de s'enfermer dans un sabir militant inclusif (socialiste-et-écologiste, celles-et-ceux, tous-et-toutes...) inaudible pour tout français normalement éduqué. Lassalle apporte la fraicheur des oubliés, témoignage essentiel mais fâché avec tout esprit de synthèse. Quant au candidat-président, il n'est jamais apparu aussi sûr de lui et trop occupé pour descendre dans l'arène...

Simple problème de timing face aux crises domestiques ? Nullement, si l'on considère que l'Europe elle-même, face au retour du tragique dans les plaines d'Ukraine, n'a d'autre analyse que la folie supposée de Poutine. Alors quand il ne s'agit simplement que de notre start-up nation... Et si les politiques n'étaient pas exempts de responsabilité face à la dépolitisation qu'on reproche volontiers aux Français ?

Ainsi donc, c'est très logiquement que la première chaîne de télévision française donnera à la soirée électorale de dimanche l'importance qu'elle semble mériter. Et c'est Jacquouille la fripouille qui animera nos écrans.

mardi 29 mars 2022

Soljenitsyne réveille-toi, ils sont devenus fous..

L'habitude est désormais bien acquise, chez une certaine jeunesse d'extrême-gauche : il n'est désormais question que de déboulonner les noms en place, au nom de prétextes fallacieux et simplistes. Ainsi le collège d'Aizenay, en Vendée, se voit-il ciblé par une pétition pilotée par Sud-Education 85, afin de changer son nom : il porte le nom d'Alexandre-Soljenitsyne (1908-2008), qui comme nul ne l'gnore est russe, ce qui est très mal vu ces temps-ci. Afin de le renommer du nom d'un poète ukrainien, moins connu mais "militant anarchiste antifasciste et antimilitariste".

Laissons de côté les qualités dudit poète ; et ne nous attardons pas sur le contexte politique propre à la Vendée. Mais il y a quelques vérités dont on ne peut faire litière de façon aussi grotesque. D'abord, Soljenitsyne mérite un respect à part, un peu comme Nelson Mandela par exemple : dix ans de goulag, vingt ans de persécution par le régime communniste avant d'être expulsé. Le Prix Nobel de littérature 1970 incarne bien plus que sa propre personne. Envisagerait-on de déboulonner Mandela si l'Afrique du Sud ne se montrait pas exemplaire ? ou au nom des exactions de Noirs contre les Zoulous, par exemple ?

L'écrivain russe est attaqué par nos vendéens comme "pro Poutine" et donc bourreau de l'Ukraine. On peut ne pas être d'accord avec les idées de Soljenitsyne, et on peut regretter l'instrumentalisation de celui-ci dans ses vieux jours par Poutine. Cela dit, nos Torquemada du bocage auraient été bien inspirés de lire  ce qu'il écrivait sur les rapports entre la Russie et l'Ukraine : certes il regrettait la partition, considérant que de par l'Histoire ces deux nations étaient soeurs, mais il laissait aux ukrainiens tous les droits à l'indépendance ; il en reconnaissait la pertinence et la légitimité. Et il condamnait fermement la répression tsariste et les atteintes à la culture et à la langue ukrainienne : on aimerait que nos laïcards de Vendée portent le même jugement sur l'Etat fançais (ou la République française) vis-à-vis de nos cultures régionales.

Peut-être tout cela ne serait-il pas si grave, s'il ne venait ajouter une tartufferie de plus à l'instrumentalisation des malheurs du peuple ukrainien. Et si l'inculture et la méconnaissance qui prévalent souvent à la "cancel culture" n'émanaient ici de syndicats enseignants...

jeudi 17 mars 2022

Lecture : Mohican, d'Eric Fottorino

Quelque part dans le Jura. Un père, un fils ; deux paysans, et trois générations en se rappelant du grand-père. Une histoire d'amour poignante, aussi solide que compliquée entre les deux premiers, et identique de ces deux envers la terre qui abrite la famille depuis la nuit des temps.

Le père a été un agri-entrepreneur du XXème siècle, qui croyait que le Progrès ferait le bonheur des paysans et de l'humanité affamée : il est en train d'en mourir, littéralement empoisonné. Le fils est critique, et entretient avec la terre et la nature un rapport plus fusionnel et respectueux, plus écolo pourrait-on dire. Rapport compliqué entre les deux, donc, mais à la fin c'est la modernité qui décide : face à l'endettement, le père malade succombe aux sirènes d'un promoteur d'éoliennes. Il en résultera une double mort, celle du père et celle de la ferme.

Le livre a connu de bonnes critiques à sa sortie. Je craignais d'y retrouver un peu trop de manichéisme citadin et d'idées à la mode : force est de reconnaitre que Fottorino sait de quoi il parle. L'ancien journaliste chargé en son temps de la rubrique "Agriculture" du Monde (dont il deviendra directeur) connait les paysans, la planète agricole, les marchés et l'histoire de l'agriculture contemporaine. Il sait aussi bien décrire un vêlage ou le montage d'une éolienne que la vie quotidienne dans une ferme. Il sait les ambivalences des projets et des politiques menées, hier productivistes et aujourd'hui ripolinisées de vert. Quiconque aura connu de près cette période et cet univers -et c'est mon cas- conviendra que l'auteur a une vision juste, lucide et honnête. 

L'écriture est belle, l'hsitoire est puissante ; il n'y a pas que des bons sentiments, d'où sans doute une bonne littérature. Peut-être, vers la fin du livre, le plaisir de la poésie et le souci d'une happy-end n'évitent pas toujours une forme de naïveté : la mélancolie était plus parlante. Mais l'essentiel tient dans ce vieux monde paysan qui ne veut pas mourir ; le père s'y voulait moderne, le fils entend y retrouver la fidélité aux vieux morts. Pour le premier, le Progrés s'avançait paré de généreux oripeaux promettant de nourrir toute la planète ; pour le second, il s'approche habillé des meilleures intentions, celles de stopper la malbouffe et de sauver ladite planète.

Par le passé, les bonnes intentions ont bien souvent pavé l'enfer. Qu'en sera-t-il demain ?

samedi 12 mars 2022

Ukraine, intellos engagés : du ridicule en temps de guerre...

C'est Régis Debray qui le dit : " L'intellectuel engagé, un oxymore qui cache au pire un imposteur, au mieux un comédien." 
Retour vingt ans ou trente ans en arrière, en 1990 ou 2003 : face à "la 4ème armée du monde", concept bidonné par les américains, l'occident tout entier pilonne Saddam Hussein. Une guerre qui mobilise une bonne partie de la planète, ce qui n'était plus arrivé depuis un bail. La guerre sera gagnée, la paix sera perdue et on en paiera encore longtemps les conséquences. Mais là n'est pas mon propos : ces antécédents nous ont montré alors la quasi-totalité de nos intellectuels en train de rivaliser de zèle dans le va-t-en-guerre des plateaux télé, arguant du vieux principe civis pacem para bellum...
Aujourd'hui, la situation ukrainienne nous offre un bon remake : d'un côté les bons, de l'autre les méchants. Outre que cette vision simpliste fait bon compte d'une certaine complexité, l'Histoire bégaie. Ce qui n'empêche pas nos têtes pensantes en chemise blanche de rappliquer : volontiers autoproclamés héritiers d'une tradition internationaliste et pacifique, ils redoublent d'appels au combat contre Poutine ; ils applaudissent à l'interdiction de Russia Today, ce qu'en d'autres temps ils eussent nommé censure ; ils célèbrent le sens de la nation des ukrainiens, concept qu'ils honnissent chez nous... La liste est longue. Comme chantait Brassens à propos de ses collègues qui claironnaient contre Franco bien à l'abri des Pyrénées :
S'engager par le mot,
Par le biais du micro,
Ca se fait sur une jambe,
Et ça n'engage à rien,
Et peut rapporter gros.
Quelle connerie la guerre, et quelles conneries ne fait-elle pas dire. On appelle cela la propagande, et celle-ci est aussi bien répartie que la connerie, il suffit de voir comment est traité tout ce qui est russe. Laissons de côté les menaces contre les restaurants russes, et comprenons les rétorsions vis-à-vis des représentants officiels de la Russie, comme les équipes sportives nationales par exemple. Mais est-il bien sérieux de s'en prendre aux personnes russses, sous prétexte qu'elles sont russes ? ou à la culture russe, sous prétexte que...? On déprogramme le Bolchoï à Londres, on boycotte Dostoïevski à Milan. Plus près de nous à Toulouse, on demande à Tugan Sokiev, emblématique directeur de l'Orchestre du Capitole, et qui est aussi directeur du Bolchoï, de condamner l'agression russe ou de démissionner. Il est fréquent que les politiques demandent aux autres de faire preuve de courage pour se dédouaner eux-mêmes, mais demander à un russe qui travaille aussi en Russie et dont la famille y vit, de condamner Poutine est une triste pitrerie. Résultat des courses : Sokiev a, avec un certain panache, démissionné simultanément du Bochoï et du Capitole, préférant la musique et la fidélité à ses musiciens plutôt que de choisir des petits intérêts de circonstance, et renvoyant le monde à ce qu'il est. C'est pourtant  ces acteurs culturels russes qui ont un pied dans leur pays et un autre en occident qui pourront aider à reconstruire la paix.
Alors, comme toujours en temps de crise, il reste l'intelligence et le coeur. L'intelligence pour comprendre et dépasser la complexité géopolitique du conflit, même si on sait qui est l'agresseur et qui est l'agressé. Et le coeur pour soutenir le peuple ukrainien, qui lui reçoit les bombes sur la figure. Et de la part de nos intellos engagés sur les plateaux télé, on attendra juste un peu de pudeur.

vendredi 4 mars 2022

Pour Andreï Kourkov, et au-delà...

C'était le 4 août 2020, sur ce blog. Je consacrais un billet à Andréï Kourkov, l'auteur ukrainien. Et depuis le temps a passé, et nous en sommes là où vous savez, du côté de Kiev...

L'oeuvre de Kourkov se déroule dans l'Ukraine post-soviétique des années 90. Avec beaucoup d'humour, de dérision et de tendresse, elle nous montre un univers peuplé de personnages foutraques, cruels et attendrissants à la fois. C'est un monde de mafias, de misère, d'alcool, parfois aux frontières du surréalisme dans des vapeurs de rêves slaves.

Alors trente ans après l'indépendance, dont Kourkov a toujours été un partisan, et même si les choses ont évolué favorablement, il reste dans ce pays des oligarques et des corrompus et les élites ne sont pas toutes des parangons de vertu. Mais il y a aussi -et c'est ce sur quoi se pétrit l'oeuvre de Kourkov- un peuple, une nation ancrés dans leur Histoire et leur culture. Une identité à la fois ancienne et occidentalisée, porteuse d'échange, de débat, de liberté : bref d'intelligence et de résistance.

C'est elle qui est aujourd'hui bombardée. Au-delà du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, c'est bien elle qui est aussi piétinée par Poutine, et qu'il convient de défendre avec le peuple ukrainien.

jeudi 24 février 2022

Bouquinistes, vocation et religion...

Voilà quelques mois (novembre 2021), sur ce même blog, nous nous alarmions de la crise qui secouait les bouquinistes des quais de Seine, dont beaucoup jetaient l'éponge après trois années de galère, depuis les manifestations des gilets jaunes jusqu'aux confinements covidiens, et de perplexité existentielle générale. Mais comme leur présence est importante pour le tourisme parisien, la mairie de Paris s'est empressée de lancer le recrutement des remplaçants.

En cette fin février, l'adjointe au Commerce de la Ville de Paris annonce toute guillerette 71 candidatures pour 18 boites vertes à pourvoir, et présente cela comme un engouement fort. Mouais... Plus de trente ans d'expérience du recrutement m'amènent à estimer ce ratio plutôt maigre, surtout quand les défections surviendront. Mais Olivia Polski, ladite adjointe, se félicite du profil des candidats, "brocanteurs, artistes, passionnés de lecture..." Cela peut en effet expliquer l'intérêt des impétrants, mais ne garantit en rien la pérennité de leur motivation et a fortiori leur réussite dans ce difficile métier d'indépendant plus que précaire.

Car la réalité prosaïque du métier est celle d'une rémunération oscillant entre 5 et 10 euros par jour, pour une présence soutenue ; la proximité de la Seine n'est pas sans charme, mais les conditions climatiques sont parfois sans pitié. Espérons que les postulants connaissent tout cela...

Bouquiniste est un beau métier, vieux de quatre siècles et porté, pour la plupart des professionnels, par l'amour du livre, son fonds et sa forme. Mais on entre de plus en plus en bouquinisme comme en religion, et à ce titre l'avenir apparait morose.

vendredi 11 février 2022

Edition, business, culture et dépendance...

Le monde de l'édition ne parle que de ça : la fusion des deux groupes éditoriaux Hachette et Editis, désormais sous la houlette d'un même patron, Vincent Bolloré. La réunion des deux entités, respectivement n° 1 et 2, accoucherait d'un mastodonte : Bolloré justifie cet objectif pour concurrencer les GAFAM, et le reste craint la perspective d'un quasi-monopole, sur le scolaire et le parascolaire par exemple ou sur la distribution. Antoine Gallimard, PDG de Madrigall le groupe n°3, parle d'un tsunami. Argant qu'en France la tradition éditoriale relève plus de l'artisanat que de l'industrie, il craint une politique de "best-sellerisation" à l'américaine. Et de déplorer la financiarisation de l'édition. Il s'émeut aussi de l'exclusion programmée des autres "petits" éditeurs, qui se comptent 5000...

On pourrait s'amuser des larmes de Gallimard. C'est un euphémisme de dire que sa maison, toute familiale qu'elle soit, s'est très bien accomodée de cette financiarisation, sollicitant notamment Bernard Arnaud (et sa presse) pour son propre capital, et menant quelques rachats tambour battant. Quant à l'industrialisation ou la best-sellerisation, Madrigall a largement prouvé son savoir-faire.

Reste qu'on ne peut que lui donner raison quand il  prédit le risque de la fin de la bibliodiversité, avec un black-out sur tous les autres livres : les medias de Bolloré ne parleront que des livres des éditeurs de Bolloré ; idem pour la distribution.

Il se passe dans l'édition ce qui se passe partout ailleurs, et ça n'a pas commencé hier. Gallimard risque à son tour de devenir une proie, quand jusqu'à présent il était plutôt chasseur. L'élément nouveau c'est qu'il semble, avec Bolloré, que des ambitions idéologiques (et pas de la meilleure engeance) s'ajoutent aux appétits financiers. L'édition a toujours été un secteur stratégique, ce qui en fait la force, mais elle pourrait à l'avenir devenir plus prosaïquement militante.

Il ya longtemps que l'offre culturelle est soumise à la finance privée ou à la doxa politique des états et des gouvernements. Mais désormais ces deux pouvoirs se retrouvent sous la même bannière.

dimanche 6 février 2022

Le CNL et le quart d'heure de Mr Cyclopède

Pierre Desproges avait inventé la minute de Mr Cyclopède. Il y a déjà longtemps de cela, et son génie n'a pu empêcher le temps de passer, ni la modernité d'advenir. Ainsi, le 10 Mars prochain, à 10 heures pétantes, le Centre National du Livre organise le quart d'heure national de lecture. L'Education nationale est évidemment partenaire, puisqu'elle dispose d'une clientèle captive.

D'abord, en 2022 la lecture est déclarée grande cause nationale. Une de plus, direz-vous ; mais pourquoi pas, tant les besoins sont grands en la matière. Le but de ce quart d'heure simultané est de "contribuer à développer le plaisir chez les enfants", et "d'offrir à tous un quart d'heure de plaisir, d'évasion, de silence et d'émotion pour remettre la lecture au coeur de nos vies".

Je n'ai rien contre, mais je reste sceptique sur l'évasion et le plaisir, fût-ce d'un quart d'heure (!), décrété par ordre de l'institution scolaire, moi qui garde le souvenir de professeurs de français (disait-on à l'époque) qui m'avaient durablement dégoûté du livre, de l'écriture voire de la lecture. Je ne doute pas que l'initiative du CNL offre de beaux éléments de langage communicant à un nombre certain de fonctionnaires des institutions ad'hoc, mais redonner de l'attractivité à la lecture risque d'être long et difficile, ne serait-ce que pour bousculer l'enseignement.

N'oubliez pas : le 10 Mars, de 10 heures à 10 heures 15, vous devez impérativement lire. Conjugué à la vaccination, cela fera de vous un parfait citoyen. Le reste du temps, vous faites ce que vous voulez.

mardi 1 février 2022

Gibert Burgers

J'avais évoqué ici même et en son temps la déconfiture de Gibert Jeune, librairies parisiennes, illustrant le monde tel qu'il va et la crise du livre. Mais depuis deux ans on nous clame un peu partout que la période est particulièrement faste pour l'édition, les librairies et toute la chaine du livre. Même si les chiffres de la réalité viennent régulièrement démontrer l'inverse, les trompettes continuent de jouer le même air...

La librairie Gibert Jeune tenait boutique au 5 place Saint-Michel en plein Quartier latin. Elle va être remplacée par... un fast-food. Haut de gamme, nous dit-on, et on salive déjà à entendre un tel oxymore. Tout le monde ou presque s'offusque, et on ne va pas tarder à polémiquer entre mairie de Paris, mairie du Vème arrondissement (d'opposition) et tous ceux qui souhaitent une meilleure offre culturelle. Connu des touristes du monde entier, le glorieux Quartier latin a déjà subi les affres du tourisme, et se pose l'éternelle question : peut-on présenter aux étrangers une offre caractéristique de l'endroit, ou faut-il étaler ce qu'ils trouvent partout pour ne pas les dépayser ? Et le débat va bien au delà du seul Boul'Mich...

Reste un autre aspect du problème du fond : il n'y aurait, sur ce qui est pourtant un emplacement "premium", qu'un seul repreneur, ledit marchand de burgers et hot-dogs. Non loin de là, les magasins de fringues et de chaussures ont remplacé les éditeurs ; ici c'est une librairie qui s'en va au profit de la restauration rapide ; ailleurs une pharmacie laisse la place à une parfumerie bas de gamme... Non, l'avenir ne s'éclaircit pas.

mardi 18 janvier 2022

Anomie, citoyenneté et jacobinisme...

Campagne électorale aidant, il est de bon ton de s'interroger sur ce "mal français" qui conduit les habitants de ce pays à une méfiance générale, permanente et parfois féroce, vis-à-vis de l'action publique, des politiques, des corps constitués et plus globalement de tous ceux qui prétendent parler plus qu'en leur seul nom. Moultes raisons ont été évoquées par les analystes à propos de ce fléau "endémique" qui augure mal de l'exercice démocratique et de son avenir.

Un livre, que je n'ai pas encore lu, vient de paraitre, aux Presses de Sciences Po : Les raisons de la défiance, signé Luc Rouban, chercheur au Cevipof. Et son approche est intéressante en ce sens qu'il constate que pratiquement la moitié des Français ne se retrouvent dans aucune communauté, qu'elle soit nationale, régionale, religieuse, d'origine, linguistique ou autre. Rouban nomme "Anomie" cet isolement socio-culturel et cette absence de repères, prompts selon lui à expliquer des soubresauts tels que le mouvement des Gilets jaunes, pour prendre un exemple récent.

A l'heure où notre jacobinisme hexagonal fait du communautarisme, et du séparatisme qui en découlerait, l'alpha et l'oméga de la problématique contemporaine, en hystérisant un peu le tout, il serait peut-être intéressant de s'interroger sur ce que signifie (au sens psy du terme) le fait que la moitié de nos concitoyens n'ont aucun sentiment d'appartenance. Et sur le fait, toujours selon Rouban, que cette proportion est trois plus élevée que dans les pays voisins.

Peut-être pourrait-on observer que cette "inclusivité" chez nos voisins tient pour une bonne part à l'organisation politique de leur pays, bien plus régionalisés que notre hexagone où il n'est bon bec que de Paris. L'Italie (15 % d'anomie), l'Allemagne, l'Espagne, le Royaume-Uni, pour ne citer qu'eux, ont au minimum une reconnaissance de leurs régions ; cela peut générer parfois des situations compliquées, comme en Catalogne ou en Ecosse, mais  au moins les citoyens ont-ils une identié à laquelle ils sont fortement attachés.

Cela pourrait nous ramener aus thèses de David Goodhart (Les deux clans) sur les "somewhere" et les "anywhere". Sans doute cet état d'anomie est-il d'essence très complexe, mais il est probablement plus inquiétant pour l'avenir de notre démocratie que bien des chiffres qu'agitent les uns ou les autres...

mercredi 12 janvier 2022

Simenon, tel qu'en lui-même...

Ma première lecture de l'année est ce que j'appellerai une lecture de fond, loin des modes, de l'actualité ou de l'écume du quotidien. Noël m'a offert l'Autodictionnaire Simenon, signé Pierre Assouline aux Editions Omnibus. Le principe : des mots d'entrée éclairent l'écrivain, avec des textes issus d'extraits d'oeuvre, d'interviewes, de correspondances... qui expliquent la vie de l'auteur, son ressenti, ses sentiments. Qu'il s'agisse de travail, d'amour, d'argent, de rencontres ou de découvertes, on (re)découvre l'univers de Simenon. 

Simenon est surtout connu du grand public pour ses Maigret qui, à eux seuls et ensemble, méritent de la littérature, mais il est aussi l'auteur de ses "romans durs", moins faciles, moins consommables, car plus ambitieux, et sans doute plus personnels. Mais, au-delà de ses 214 livres recensés (et presque autant de nouvelles) on comprend pourquoi GS est "populaire" (ce qui, on le sait, n'est pas toujours un compliment) : né au sein du peuple, il est resté fidèle à celui-ci, proche des humbles et des petites gens ; et sa prodigieuse réussite n'a rien changé, il est demeuré un artisan, selon son terme, pétri d'humanité et de respect. Et le public ne s'y est pas trompé.

C'est un homme vrai, pas meilleur que les autres, mais sans fard ni orgueil. C'est un introverti, voire un sentimental au sens de Le Senne, avec ses zones d'ombre, prompt à culpabiliser mais assez exigeant avec lui-même pour avancer et qui sait se souvenir. Il a pansé sa sensibilité en fuyant dans l'écriture, écrivant un Maigret en trois semaines ou un roman en deux mois, et donnant vie à 9000 personnages.

Bien sûr, la carrière de Simenon s'étend, en gros, des années trente aux années soixante ; il décidera en 1972 de ne plus écrire de roman, et ne publiera plus que des textes plus autobiographiques et plus intimistes. Et tout cela est bien loin d'aujourd'hui. Pourtant, les critiques qu'il formulait vis-à-vis des gensdelettres et de leur univers seraient sans doute de nos jours encore plus judicieuses, et encore plus féroces. Quant à celles qu'il exprimait à propos de la production littéraire de son temps on n'ose imaginer ce que seraient ses termes aujourd'hui ; il se disait "allergique à la littérature des autres et à la mienne". Pourtant chaque jour qui passe lui rend justice et le consacre comme un pilier de la littérature francophone du XXème siècle.

mercredi 5 janvier 2022

Pour une Bonne Année 2022...

Ce temps étant celui des voeux, à mon tour de vous souhaiter une bonne année. Au moins pour le premier trimestre parce qu'après nous manquons de visibilité, comme dit la blague... Que chacun reçoive donc mes voeux de bonheur, de santé, de prospérité, selon son goût. Pour nous tous, je me bornerai à souhaiter, en vrac :

un peu moins de démagogie (nous sommes en période électorale) ; un peu moins d'infantilisation (nous sommes en pleine pandémie) ; un peu moins de censures (voir mon billet précédent) ; un peu moins d'agressions ; un peu moins de sentiment d'agression, prétexte pour agresser à son tour ; un peu moins d'enflure médiatique ; un peu moins d'hystérie chez les vaccinophiles et chez les vaccinophobes ; un peu moins de consumérisme et d'individualisme (qui vont souvent ensemble) ; un peu plus de mesure et de bon sens.

Ce n'est pas grand chose, me semble-t-il, et pourtant je doute (ce qui de nos jours est très mal vu). Mais souvenons-nous de Guillaume d'Orange : "Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer"...