mardi 28 juin 2011

Plumes au bordel

Le dernier Nouvel Obs, dans son supplément télé, découvre, sur une pleine page, un nouveau talent littéraire. Bonne nouvelle, disons-nous, pourtant la demoiselle (je suis sûrement flatteur) a un air de déjà vue. Bon sang mais c'est bien sûr, voilà 15 ans bien sonnés qu'on la voit sur nos écrans, d'où le (bon) titre du papier : l'image ou la plume.
Et la journaliste (celle qui fait l'article) de s'esbaudir devant la journaliste (celle de l'écran, dont on nous dit qu'elle a écrit le livre). Pas bien nouveau tout ça, objectez-vous ; certes, mais là c'est du sérieux et de l'honnête. "A 10 ans, je voulais déjà être écrivain" : si ça c'est pas un signe... Et sa consœur d'attester : "Un ovni littéraire qu'aucun nègre au monde n'aurait pu écrire". Bigre... Pas gentil pour nombre de mes confrères affamés. Mais pourquoi diable parler de nègre ?
Et puis bien sûr, l'impétrante, il y a un an et demi, "a pris un virage". Après tout, ce ne serait pas le premier livre à effet psychothérapeutique. Ah mais, pas que : c'est "l'aboutissement d'une conviction viscérale", "le triomphe de la maturité", "un instinct animal"... et ce thème original de "femme aimée, trompée, violentée... Des vérités crues, des émotions brutes."
Et tout à l'avenant. Et de préciser bien sûr qu'elle a exigé qu'il n'y ait pas sa photo sur la couverture, pas de presse people pour la promo... puis elle enchaine sur sa nouvelle émission quotidienne.
Tout cela a t-il tant d'importance ? Bien sûr que non, et on n'apprend ici rien qu'on ne sache déjà à satiété. Par ailleurs, je n'ai rien contre cette charmante personne, qui n'a peut-être pas que des mauvaises raisons pour sortir ce livre. Disons simplement que l'ensemble de ses œuvres peut laisser sceptique le plus complaisant (en un seul mot), et que présenter la météo est ce qu'elle a fait de moins vulgaire. Mais que le Nouvel Obs et sa plumitive donnent avec tant d'ardeur dans ce genre de promo mascarade m'émeut un peu plus.
Je ne citerai donc pas le nom de la signataire du livre.
Je ne citerai pas non plus toutes ses relations.
Je ne citerai donc pas le nom de l'éditeur. Qu'on sache simplement qu'il active, à côté d'un nom très respectable, un département de communication d'entreprise (en clair des livres payés par le client pour vanter les mérites de celui-ci.)
Tout cela donne bien du talent littéraire.

jeudi 16 juin 2011

Eco en son cimetière

Un livre d' Umberto Eco est toujours un moment rare. Paru récemment, le Cimetière de Prague (Grasset) continue l’œuvre. Et, indépendamment de sa dimension littéraire, il situe quelques manies de l'époque en matière de police morale (anciennement politique).
Ce livre, sorte de feuilleton érudit et romanesque selon la patte du maitre, nous conte les méfaits dans l'Europe de la deuxième moitié du XIXème siècle d'un faussaire vaguement schizophrène mais clairement antisémite et anti-maçonnique, lié notamment à l'affaire Dreyfus ou aux protocoles des Sages de Sion.
Eco situe cela dans la tradition historique du faux document et du"complot", tellement nécessaire... Mais bien sûr on se vautre, à la lecture, dans la tradition antisémite, de droite ou de gauche, et dans le délire qui fait que les Protocoles des Sages de Sion n'ont connu autant de succès qu'une fois établis comme faux...
On l'aura compris, c'est là que les bonnes âmes interviennent : l'ouvrage, qui énonce toute la panoplie anti-juive et anti-maçons de l'époque, est forcément antisémite. L'Osservatore Romano en rajoute une couche. A tout le moins, assènent les plus modérés, manque t-il dans le livre un jugement moral explicite de référence, protégeant le lecteur d'une lecture au premier degré...
Nous en sommes là, aujourd'hui. Peu importe les principes philosophiques animant toute l’œuvre de Eco ; peu importe la distinction entre auteur et personnage, le débat est ancien ; peu importe que le lecteur soit respectable et donc supposé adulte et intelligent ; peu importe qu'un auteur ne soit pas un directeur de conscience et n'aie pas à rappeler toutes les 10 pages ce qui est bien et ce qui est mal...
Seul effet regrettable de ce cornecul, quelques outrances bien grotesques rajoutées dans les propos de son personnage (qui n'en manquaient pourtant pas), afin de bien montrer que l'auteur prend ses distances...
Si impression de malaise il y a, elle n'est pas le fait du livre, remarquable, mais bien de cette police (politique ? communautariste ?) qui prétend de plus en plus souvent proclamer ce qui peut être écrit ou lu, et ce qui ne doit pas l'être. Un avenir radieux s'avance à grands pas.

jeudi 9 juin 2011

Indignation, mode d'emploi

Naguère, j'avais ici même émis quelque sentiment à propos du best-seller "Indignez-vous", dont le succès me paraissait être autant sujet à caution que l'auteur était respectable.
Et voilà que dans le Nouvel Obs de ce jour, dans un modeste filet du courrier des lecteurs, Stéphane Hessel écrit qu'il suit "avec beaucoup d'intérêt tous les mouvements qui se réclament de valeurs négligées par les gouvernements, notamment ceux qui utilisent le terme indignation". C'est bien le moins qu'il puisse faire, au vu de l'impact tsunamystique (je suis ici assez content de ce néologisme) de sa plume.
Plus intéressant, et non sans courage, il remet quelques pendules à l'heure, et même quelques réveils des lendemains qui chantent :"Si ces personnes s'indignent sur la base des valeurs fondamentales défendues dans mon petit livre, j'en suis heureux. S'il n'est question que d'une simple contestation sans référence à ces éléments, alors je suis plus réservé." Tiens, tiens,...
Et d'enfoncer le clou : "Ainsi, l'abstention est totalement contraire à mon message ; il n'est donc pas question que je m'associe à des mouvements qui la prônent.(...), mon soutien aux révoltes espagnole, française ou autre est conditionnel".
Peur de la récupération, ou constat de la vacuité qui de nos jours a vite fait de dénaturer une idée ? Ce n'est pas la première fois qu'un penseur ou un auteur est noyé dans la déferlante qui suit son propos, souvent en le vidant de son sens. La dilution n'a pas toujours les effets de l'homéopathie, et le terme de vulgarisation me semble pouvoir se passer de commentaire. Mais j'invite toutes les groupies de S. Hessel à lire le courrier du Nouvel Obs.