jeudi 31 octobre 2019

Psychanalyse et psychologues vétérinaires...

On se souvient qu'il y a quelques mois l'establishment médical avait lancé diatribes et pétitions pour exclure l'homéopathie du champ du remboursement, puis de l'université : c'est désormais acquis pour ce qui est du remboursement, la suite va venir. Ce qui m'avait frappé à l'époque ce n'était pas le fonds de cette énième tentative (on devine les enjeux financiers et idéologiques qu'il y a derrière), mais la pauvreté et la mauvaise foi d'une argumentation à la limite de la haine.
Au tour maintenant de la psychanalyse : à l'initiative d'une réalisatrice, qu'on imaginera forcément compétente et objective, est activée une autre pétition pour exclure celle-ci des tribunaux et des universités. On y retrouve bien sûr les sempiternelles accusations de "pratiques idéologiques, obscurantistes et discriminantes", rejetant selon les signataires "tout contrôle ou évaluation". Pour faire bonne mesure, on y rajoute "l'exercice illégal de la médecine" ou "l'emprise sectaire". Cela pourrait, pour qui connait un peu le sujet, prêter à sourire voire à s'esclaffer...
Mais là où nos comportementalistes deviennent franchement désopilants, c'est quand ils stigmatisent le plus sérieusement du monde une science humaine qui selon eux "prête des intentions sexuelles aux bébés", "prétend qu'un enfant puisse être consentant à un inceste", "affirme qu'un rapport sexuel serait de la perversion ou du rapport de force", "prétend qu'un crime sexuel n'aurait pas de conséquence grave pour la victime", etc... Prêter de telles postures est encore plus grotesque qu'insultant.
Redevenons sérieux : pour tenir de tels propos de comptoir, il faut soit tout ignorer de la psychanalyse, ce qui serait ballot vu les prétentions des signataires, soit reprendre tous les vieux poncifs, clichés et stupidités avec une dose effarante de mauvaise foi. Ainsi sont ces humanistes praticiens de la santé mentale.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : comme leurs éminents confrères psychiatres russes qui prescrivaient le goulag comme rééducation à la normalité, nos soignants forcenés fustigent "la démarche antisociale" d'une pratique "qui enseigne le mépris des règles et des lois", et prônent l'affirmation d'une "santé mentale" et d'une "santé sexuelle". Ils nous diront bientôt la fréquence et la position idoines. C'est proprement terrifiant, surtout quand on lit les commentaires qui accompagnent la lecture de leur texte.
Pour avoir exercé une activité de psychothérapeute pendant près de trente ans, j'ai pu recourir indifféremment à des théories analytiques ou à des références comportementalistes, selon les situations. On peut débattre sans problème des mérites et travers respectifs des deux approches. La culture contemporaine de la performance mesurable donne du grain aux comportementalistes ; le pratique analytique était davantage de l'ordre de la libération, ce qui en effet ne plaisait pas toujours aux institutions mais qui a soulagé bien des souffrances.
C'est ce que la modernité refuse désormais. Dans notre monde agonisant de morale et de scientisme, il convient d'éradiquer tout discours critique, en le caricaturant pour mieux l'interdire, le tout au nom de ces dogmes que l'on reproche tant à l'autre. L'envie de pénal, avait joliment relevé Muray. La rationalité avait ouvert la période des Lumières, elle est en train de les éteindre.

mercredi 23 octobre 2019

Le Gall, la possibilité d'une île introuvable...

Jean Le Gall est apparu en littérature il y a quelques années avec Les lois de l'apogée, roman balzacien assez féroce où par le biais d'un personnage écrivain il égratignait notre société et ses faux-semblants. On  retrouve aujourd'hui Le Gall, ancien avocat d'affaires présentement éditeur, dans L'Ile introuvable (Robert Laffont), avec grand plaisir.
D'abord il y a l'humour, cette denrée si stipendiée qu'on finira bientôt par interdire, qu'il manie avec finesse et rugosité ; il y a le style, travaillé et élégant, enlevé et exigeant ; il y a la sagacité et un regard sur les quarante dernières années, et les délitements qui les structurent. Cela n'en fait pas pour autant un roman de vieux ronchon, grâce justement à cet humour et à ce style. Si la plume est acérée, les formules sont ciselées et percutantes, cinglantes mais tordantes : "Etre de gauche, c'est reprocher. Etre de droite, c'est se désoler. Etre du centre... c'est être assez con pour croire en tirer profit."
Le scénario de L'île introuvable est assez minimaliste, un peu foutraque mais perspicace autour de ses trois personnages : un écrivain raté, une éditrice marginalisée et un truand flambeur. De ce trio improbable s'ensuit un kaléidoscope qui se transforme, par la grâce de l'auteur et de son talent, en une plongée balzacienne dans le Tout-Paris germanopratin ; on y croise des célébrités de la presse et de l'édition, de celles qui font la culture de l'époque. Et c'est l'occasion d'autres formules, sur Jean d'Ormesson, par exemple : "... qui avait fabriqué le personnage désormais incontournable de grand écrivain de télévision. Longtemps il avait vendu des livres par dizaines à des amis qu'il avait par centaines. Longtemps Jean d'O s'était ému qu'une littérature si patiemment travaillée fût limitée à son quartier et confrontée ailleurs à l'engourdissement des foules. Mais un jour il imprima son style à la télévision plutôt que sur des pages blanches, et alors tout changea !"
Le propos du livre n'est pas de persifler ou de régler des comptes : l'ouvrage en dit long sur notre époque, ses moeurs et ses limites, mais surtout démontre comment derrière ces pages relatives à la littérature ou à la culture s'effrite une société et le vieux monde qui donnait du sens. "L'égalité des droits vaut l'égalité des intelligences qui vaut l'égalité des oeuvres". Derrière la financiarisation de l'édition, l'opportunisme d'élites ignares ou le consumérisme des lecteurs, derrière ces constats ou anecdotes qui fournissent la matière première aux 420 pages du roman, celui-ci est, au-delà de la plainte, un hommage à la littérature.

mercredi 16 octobre 2019

2019, Hommage à la Catalogne ?

La justice espagnole, structurellement très liée à l'Etat et au pouvoir madrilènes, a bien fait les choses, dans une tradition qu'on croyait révolue depuis plus de quarante ans : elle a condamné les prisonniers indépendantistes catalans à des peines de 9 à 13 ans de prison.
J'ai écrit sur ce blog, il y a deux ans, ce que je pensais de l'affaire catalane : voir Culture ou dépendance, d'octobre 2017. Il ne s'agit pas davantage aujourd'hui d'analyser politiquement le dossier, mais simplement de savoir si un peuple nanti d'une langue, d'une culture et d'une identité peut, dans une démocratie, demander la tenue d'un référendum. Le pouvoir central dénonce, comme il se doit, les agissements d'une minorité ? Eh bien laissons les urnes démontrer cette minorité ! Car aucun militant catalan, dans la longue histoire du mouvement autonomiste, n'a jamais prôné un quelconque passage en force... Est-il impossible dans une démocratie, et l'Espagne en est une, de demander un référendum sans risquer 10 ou 15 ans de prison ?
En attendant que la Catalogne s'embrase et s'ensanglante, car c'est à cela que mène tout droit la décision de justice, en dépit du pacifisme historique de la revendication catalane, on retrouve nos journalistes et chroniqueurs français qui, englués dans une pensée jacobine cacochyme, sont incapables d'appréhender le fait catalan autrement que sous l'angle d'un populisme égoïste et rétrograde ou d'un "retour au Moyen-Age" forcément obscur et, surtout, obscurantiste.... Il est vrai que cela fait quelques siècles que cela dure.

jeudi 10 octobre 2019

Modiano tel qu'en lui-même...

Est donc paru il y a peu le dernier Modiano, Encre sympathique (Gallimard). Prix Nobel ou non, Modiano reste Modiano, et un Modiano offre un peu toujours les mêmes ingrédients: un scénario léger, voire minimaliste, qui s'estompe derrière le sentiment et l'émotion. Et le lecteur marche, happé par une quête qui serait souvent anecdotique si elle ne mobilisait les ressorts de l'âme humaine. Il se retrouve dans une ambiance, celle dont Modiano nous fait l'offrande dans chacun de ses livres, nimbée de nostalgie, de romantisme, d'affects à fleur de peau, de mémoire du temps qui passe.
Et il y a le style Modiano, sobre, épuré, moucheté... qui remet à leur place quelques sommités littéraires de tête de gondole contemporaines. Et puis l'oeuvre de Modiano, où chaque nouveau titre puise dans des livres antérieurs, où quelle que soit l'histoire le lecteur est immergé dans la même vie.
On a pu lire, sur ce dernier titre, quelques critiques aussi dérisoires que de mauvaise foi : que Modiano faisait du Modiano, qu'il écrivait toujours le même livre... Peut-être, mais cette critique-là on n'a jamais pu la faire qu'à des très grands.