jeudi 23 juin 2022

Sylvie Germain, symptôme de notre modernité

Son nom n'est pas toujours en tête de gondole, mais Sylvie Germain est reconnue comme un écrivan de qualité, orfèvre de la langue et auteur d'une belle bibliographie. Aussi était-il logique que sa prose figure un jour au bac de français. Patatras ! Nombre de jeunes impétrants l'ont trouvé trop complexe, et ont tenu à le faire savoir sur leurs réseaux dits sociaux...

On ne s'attardera pas ici sur le dégueulis qui s'y est répandu. Nous n'aurons pas non plus la mesquinerie de leur faire remarquer que, au vu de leurs tweets et autres éructations, leur éventuelle mauvaise note en français n'est pas toute imputable à S.G. Disons simplement que les appels à la haine ou au viol, ressorts habituels de l'expression juvénile, y sont bien représentés.
Si on lit l'extrait de Jours de colère (1989) proposé à l'épreuve, on observe juste qu'il est très beau, sans mot compliqué ni concept ardu. Un peu trop rural, peut-être, pour ces hordes mais sans complexité particulière. C'était pourtant trop. Et l'auteur a pu, en réponse, stigmatiser "l'immaturité, la haine de la langue et le refus de l'effort" d'une partie de cette jeunesse prompte à la victimisation et rebelle à toute frustration.

Une simple polémique de plus, dira-t-on ? Ni Sylvie Germain ne la méritait, simple prétexte, ni un bac au demeurant parfaitement inutile, mais c'est un autre débat. S'en prendre aux institutions ne suffit plus, il faut désormais du sang, fût-il virtuel, surtout quand il coule de quelqu'un plus dégrossi que la racaille. Bref, on en est là, et les petits fachos analphabètes qui sortent leur smartphone quand ils entendent le mot culture semblent avoir un bel avenir.

vendredi 10 juin 2022

Eclairer le monde, de gré ou de force...

Dans le droit fil du billet précédent, la version étasunienne n'est pas non plus des plus encourageantes, d'autant que les dérives n'épargnent aucun camp. Si ces camps -démocrates et républicains- sont d'accord sur une chose, c'est sur la nécessité de nettoyer les programmes scolaires, que pour des raisons diamétralement opposées ils ne trouvent pas à leur goût, et d'y censurer notamment la littérature.

Dans le collimateur de la droite néoconservatrice, l'éditeur Barnes et Noble, est attaqué en vertu d'une vieille loi de Virginie qui permet à tout un chacun d'attaquer un livre pour obscénité s'il s'y trouve "un intérêt lubrique pour le sexe" ou "manquant de valeur littéraire, artistique, politque ou scientifique sérieuse", définition qui, on en conviendra, est objectivement assez aléatoire.

Dans le viseur du camp démocrate, ou plus précisément de sa sensibilité woke et LGBTQ, les ouvrages "d'un autre temps", c'est-à-dire décrétés trop genrés, racistes, hétéro-normés, patriarcaux, etc...

C'est ainsi que dans 3000 écoles, 1600 livres ont été retirés des rayons et des programmes.

Bref, on  l'aura compris, l'humanisme éclairé progresse.

mercredi 8 juin 2022

Ukraine, livres et vieux fantômes...

"Plus ça change, plus c'est la même chose", dit communément le peuple. D'ailleurs, pourquoi cela changerait-il, car si l'Homme apprenait de ses erreurs et de ses turpitudes le paradis serait sur terre depuis belle lurette. Sans remonter aux calendes grecques, voilà trois siècles que les Lumières éclairent le monde de leurs valeurs de liberté, de fraternité et d'intelligence... Et pourtant l'Histoire bégaie, l'ouverture d'esprit balbutie.
Ainsi en Ukraine, les vieux réflexes reviennent. On peut comprendre sans mal que ce pays éprouve quelque rancune à l'égard de la Russie de Poutine, mais cela peut-il expliquer qu'il faille, comme annoncé par une responsable, retirer des bibliothèques Dostoïevski et Pouchkine, par exemple, coupable à ses yeux de "messianisme russe" et en tant que tels responsables de l'impérialisme de ce pays ? Cette initiative "dans un premier temps" sera suivie d'autres, notamment le retrait des bibliothèques de 100 millions d'exemplaires de livres russes et leur remplacement par des productions ukrainiennes. Et de demander aux salons du livre occidentaux de boycotter les délégations russes, au profit de stands ukrainiens vides... On clame urbi et orbi qu'il faut non pas gagner la guerre mais gagner la paix, encore conviendrait-il pour cela de pouvoir penser.

Bref, progressisme ou pas, l'Histoire voit les causes produirent les mêmes effets. Les rencontres entre idéologie politique et littérature ont rarement engendré des suites heureuses, où que ce soit et singulièrement du temps de l'Union soviétique, pour nous en tenir à l'Est. Et on nous dit que même chez nous, en ce moment, des militants bien intentionnés verraient bien une organisation de la production littéraire et culturelle plus conforme à leurs idées... Finalement, je pardonnerai aux ukrainiens.

jeudi 2 juin 2022

Miracle célinien

Est-ce un miracle ? Est-ce la force de l'évidence ? L'effet du temps qui passe ? On ne sait, toujours est-il que la dernière production de Céline est unanimement saluée. Guerre est un manuscrit volé à l'auteur à la Libération, "perdu de vue" pendant trois quarts de siècle avant de réapparaitre en 2021 et d'être publié illico par Gallimard.
Manuscrit ponc, c'est-à-dire ouvrage non terminé, non relu, non définitivement construit. Et pourtant... Tout le monde s'accorde à saluer la qualité du livre, et à en conclure qu'une telle qualité pour un ouvrage non fini relève du génie. Ce qui ne surprendra pas les céliniens, mais les autres ?

Oh certes il y a bien souvent le préalable requis sur l'abject Céline, les pamphlets, tout ça... Mais il semble enfin admis qu'il soit possible de dissocier l'homme et l'écrivain, ce que certains ont si longtemps refusé, pour s'en tenir à l'oeuvre.

Devrait survenir bientôt la suite des autres parutions de ces "nouveaux" manuscrits : la première a suscité une certaine impatience. Quoi qu'il en soit, et que mes amis proustiens ne m'en veuillent pas, avec Guerre Louis-Ferdinand Céline s'est imposé encore davantage comme le plus grand écrivain du XXème siècle.