mardi 28 janvier 2020

Le beaujolais nouveau n'arrive plus, Fallet s'y attendre !

Je me suis cru revenu dans une vie antérieure. J'ai relu le célèbre titre de René Fallet, paru en 1975, "Le beaujolais nouveau est arrivé". Titre impossible aujourd'hui, tant il sent le beauf, l'alcoolisme, le gilet jaune : nous y reviendrons. Le pitch du livre : dans une banlieue en plein renouveau immobilier, rayée de la carte pour s'ouvrir au monde nouveau, quatre hurluberlus copains comme cochons squattent le Café du Pauvre : à la fois feignants, anars, misogynes, réacs, en un mot franchouillards, ils refusent ce nouveau monde, le travail, la modernité et la sobriété, en avalant force litrons.
C'est donc un roman d'un autre temps,"daté" disent les commentaires sur les zéros sociaux. Parce que cet univers est mort depuis longtemps. Parce que les aspirations écolos de cet aéropage, face à la Marne polluée n'en sont pas encore à Greta Thunberg ; parce que l'amitié est aujourd'hui beaucoup plus hygiénique. Parce que les bons vivants sont voués aux gémonies, ou alors ils n'ont rien de bon ni de vivant.
Mais c'est aussi un livre d'un autre temps parce qu'impubliable aujourd'hui : c'est une ode à toutes les sensualités, ce qui déjà est mal vu, et l'ouvrage doit bien compter quelques dizaines de motifs contemporains de plaintes et procédures en tout genre, pour cause d'incitation à la débauche, de misogynie, de racisme, de discriminations diverses, d'atteinte à la dignité des handicapés, etc... Certaines pages font très fort.
Mais si le livre est daté, il est aussi remarquable de prémonition ; en plus de ses considérations sur l'urbanisme, l'environnement ou la modernité sociale, un Fallet visionnaire et provocateur imagine ce que sont devenues aujourd'hui les caricatures de ces luttes d'alors : ainsi montre-t-il un désopilant et fanatique commando de khmers verts buveurs d'eau, ou l'initiation sexuelle d'une jeune handicapée, ou diverses errances rabelaisiennes dont la seule évocation ici tomberait sous le coup de la loi. Bien sûr l'outrance et la caricature, habituelles du style de Fallet, ne sont pas à prendre au pied de la lettre mais l'inculture et la mauvaise foi qui prévalent dans notre monde ne le louperaient pas...
Donc plus qu'un livre daté, c'est à mon sens un livre-repère, qui montre que dès 1975 on pouvait commençait à se méfier de ce qui allait advenir de notre civilisation. Une raison de plus pour lire Le beaujolais nouveau est arrivé sans modération.

dimanche 19 janvier 2020

Et maintenant Dolto...

L'affaire Matzneff et l'ambiance qu'elle suscite ressemblent de plus en plus aux procès de Moscou de 1936. C'est maintenant Françoise Dolto qu'on convoque sans rire au tribunal de l'Histoire et de la morale, au motif qu'elle aurait été... pro-pédophile.
Dans un premier temps, on se marre ; dans un deuxième on essaie de comprendre comment cette infamie lui tombe dessus. Et on apprend qu'un article du Canard enchainé a exhumé des propos parus il y a 40 ans dans une interview pour un journal féministe dirigé par Gisèle Halimi.
Catherine Dolto, la fille, a expliqué depuis dans le Monde l'histoire de cet article dénoncé en son temps par sa mère elle-même, article dévoyé par les féministes pour se payer une Dolto, un peu naïve, qu'elles ne portaient pas dans leur coeur. Quant aux extraits eux-mêmes, en langage parlé, ils sont tellement sortis de leur contexte qu'ils en deviennent juste ridicules et sans la moindre crédibilité, même dans la bouche d'un JM Bigard.
F. Dolto a été régulièrement attaquée, avec des argumentations qui attaquaient, à tort ou à raison, non pas l'oeuvre de la célèbre psy mais plutôt la vulgarisation qui en a été faite par des hordes d'éducateurs de tout poil et par un grand public souvent paresseux. L'apport de Dolto tourne à mon sens autour de deux principes : le premier, c'est que "le bébé est une personne", pour reprendre le titre de son livre, ce que personne ne contestera aujourd'hui ; le deuxième, c'est que l'enfant ne doit jamais être au centre de son monde, pour ne pas devenir l'enfant-roi si décrié... et qu'on lui a pourtant souvent imputé !
Pour offensante qu'elle soit, l'attaque contre Dolto et son travail serait simplement grotesque et stupide si elle n'était glaçante, à voir la machinerie pleine d'inculture, d'outrances, de haine et de mauvaise foi qui se met en place, à coups d'offensives systématiques contre toutes les formes de thérapies libératoires extérieures à la science officielle et triomphante. Que le Canard se retrouve aux commandes dans ce type d'opérations me surprend, eu égard à son histoire... 
Et s'y rajoute, dans le contexte du moment, la sempiternelle charge contre "l'idéologie soixante-huitarde" source de tous nos maux et dont Dolto serait l'égérie gauchiste et permissive... Aux seconds couteaux amateurs de cette théorie, on apprendra que Françoise Dolto, fille d'un ministre gaulliste, n'a eu qu'un seul engagement politique, d'ailleurs ponctuel, en signant au premier tour des Présidentielles de 1981 un appel à voter... Michel Debré !


jeudi 16 janvier 2020

Matzneff, symptôme d'une époque

Les jeunes générations seront sûrement surprises de ce qu'elles apprennent sur les années 70 et 80, dans l'affaire Matzneff. Ou de ce qu'on leur en dit. J'étais en ce temps-là un jeune provincial bien éloigné de certaines intelligentsia culturelles, mais j'ai connu ces années... Et je suis assez à l'aise vis-à-vis de GM : ses goûts affichés m'avaient alors choqué (il suffisait de lire la presse pour les connaitre, bien avant l'émoi de Denise Bombardier) et j'avais illico décidé d'ignorer les autres écrits de Matzneff. Je n'en tire ni honte ni gloire, j'ai juste réagi alors en fonction de mes sensations.
Cela dit, il semble me souvenir que l'époque surjouait beaucoup ses postures, en provocations soixante-huitardes destinées à effrayer le bourgeois : c'est ainsi que des idiots utiles, au demeurant gens tout à fait honorables, ont signé bien des pétitions stupides. En ce temps-là la quête de liberté criait sus à l'interdit, quand notre XXIème siècle le réclame, à cor et à cri, à tous les niveaux. Il n'empêche que d'authentiques pervers, pédophiles en l'occurrence, et pas que des anonymes, se sont engouffrés dans le mouvement et c'est une responsabilité qu'il convient aujourd'hui d'assumer.
Quel bilan en fera-t-on ? l'éducation soixante-huitarde, comme on dit, a fait des dégâts, faciles à constater a posteriori ; rappelons que l'éducation traditionnelle en commettait aussi, Mauiac, Bazin et bien d'autres en ont témoigné. Quant à savoir ce qu'on pensera de notre aujourd'hui dans un demi-siècle, je ne me hasarderai à croire qu'on l'encensera.
Si le cas Matzneff est désolant, c'est aussi qu'il est le symptôme de toute la société d'alors. Car s'il est une chose qu'on peut lui reprocher, ce n'est pas de s'être caché : que penser de la tartufferie de la Justice, qui vole au secours des media et qui s'auto-saisit aujourd'hui, après avoir fermé les yeux pendant 40 ans sur les écrits de GM étalés en vitrine ? Que penser de la police qui se met à perquisitionner ? Que penser des mea-culpa de tous ceux, journalistes ou critiques, qui ont à l'époque juste fait leur travail de journaliste et de critique ? Que penser des éditeurs ou des administrations (CNL par exemple) qui coupent aujourd'hui les vivres de l'écrivain en retirant de la vente tous ses livres, y compris ceux (de loin les plus nombreux) qui n'ont rien de scabreux ? Que penser du courage de ceux qui, après avoir profité de l'auteur, ne savent que piétiner les gens à terre ?
L'affaire est lamentable, car à travers le livre de V. Springora c'est toute une culture (plus marginale que dominante) qui se révèle aujourd'hui perverse : l'irresponsabilité parentale, l'irresponsabilité médicale, l'irresponsabilité des institutions, dont celle, la Justice, qui aurait dû être fondamentale. C'est la collusion entre les politiques de tout bord, les élites culturelles et médiatiques, et le pouvoir du business qui en résulte.
Une fois cela dit, quel en est l'enjeu aujourd'hui, dans ce qui ne pourra être qu'un règlement de compte vis-à-vis d'un vieillard de 83 ans, par qui le scandale éclate enfin ? Je comprends très bien la position de V. Springora, sa quête et ses arguments quant au consentement : elle est la seule à pouvoir parler ou écrire légitimement. Pour le reste, on n'effacera pas Matzneff et ses oeuvres, les meilleures et les pires. Lui couper les vivres ? quel courage ! Retirer ses livres de la vente : c'est juste de la censure sur fond de moraline et de dictature de réseaux sociaux.
GM est un homme, et un écrivain. En temps qu'homme, il a à rendre des comptes. Qu'il ait été écrivain, célèbre et célébré, n'est ni un élément à charge ni une circonstance atténuante. Point. Mais quoi qu'il arrive il restera le symptôme durable d'un dysfonctionnement collectif et d'une hypocrisie tout aussi systémique.






vendredi 10 janvier 2020

Matzneff, la voile et la vapeur

Je n'évoquerais pas pour l'heure le fonds de l'actualité Matzneff : j'aurais l'occasion de revenir, dans un prochain billet, sur cette désolante affaire, lamentable quel que soit l'angle sous lequel on l'aborde. Mais en attendant je trouve particulièrement amusante la quasi-unanimité des commentateurs de "droite", plus ou moins à la mode, vouant Matzneff aux gémonies comme le symbole d'une-intelligentsia-soixante-huitarde-de-gauche-germanopratine-amorale-et-débauchée, dont les moeurs auraient régné à l'époque sur la France entière...
L'argument est peut-être facile, il est surtout stupide : Gabriel Matzneff le gauchiste pédophile désigné a publié la grande majorité de ses oeuvres, carnets intimes compris, aux Editions de la Table ronde, vieille maison emblématique de la droite, longtemps portée par les Hussards avant d'être longtemps dirigée par Denis Tillinac, le crypto-gaucho bien connu.
D'autres titres ont été publiés aux Editions du Rocher ou chez Léo Scheer (actuel éditeur de Richard Millet), deux maisons elles aussi marquées à droite. Quant aux essais de Matzneff, il sont difficiles à rattacher, me semble-t-il, à la pensée de gauche... Il est aussi plaisant d'entendre le proscrit illustrer (et expliquer) cette époque des années 70 et 80 en évoquant, parmi ses amis, un certain Renaud Camus. D'autre part, la longue amitié entre GM et Jean-Marie Le Pen est notoirement connue.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que Matzneff n'a pas nagé que dans des marigots de gauche ! Cela ne change d'ailleurs rien au fonds du problème, mais il serait honnête d'éviter certaines tartufferies partisanes : les responsabilités les plus coupables sont souvent les plus partagées.

mercredi 8 janvier 2020

2020

Bonne année !
Nous voilà donc en 2020... Chers amis contemporains, recevez donc, en ces temps d'optimisme obligatoire, tous mes voeux de bonheur, de réussite, de santé, et tout ce qui peut concourir à une vie meilleure...
Il sera bien assez tôt pour faire le bilan de l'année éc(r)oulée, et profitons donc des perspectives d'une année dont le millésime me parait équilibré et sympathique.
Encore une fois : Bonne année !