mardi 26 novembre 2019

Marigots et crocodiles

S'il est une chose le plus souvent dérisoire, c'est bien les chamailleries entre célébrités du même acabit. Pourtant on s'y intéresse toujours, même sans illusion sur la vacuité de la chose.
Ainsi suis-je tombé avec quelques mois de retard sur une interview de Marc Lévy, l'industriel-romancier bien connu. Après avoir critiqué les émissions de Ruquier (on ne le lui reprochera pas) il s'en prend à Yann Moix et Eric Naulleau. Du premier, il rappelle qu'il se prenait jadis pour le meilleur écrivain du siècle (nous étions alors au XXème, la concurrence était rude). Vis-à-vis du second, il se fait plus dur : "Je n'ai jamais compris ce qu'il faisait dans la vie, je trouve le type sans intérêt intellectuellement parlant". Et à propos des deux : " Leurs non-réussite les rend méchants et agressifs à l'égard de ceux qui ont une réussite qu'ils jalousent"... Fermez le ban.
Avant d'aller plus loin, je précise que je n'ai rien contre l'homme Lévy, j'ai même trouvé parfois qu'il valait mieux que sa prose. Ce n'est pas difficile, direz-vous, mais ç'est à noter. Pour en revenir à son interview, le melon de Moix est bien connu, rien à redire. Pour Naulleau, le procédé me semble aussi facile que vachard; ceux qui le suivent un peu connaissent son parcours d'éditeur, d'écrivain ou de chroniqueur, et plus particulièrement son "Jourde et Naulleau" très corrosif : Marc Lévy se rappelle comment il s'était fait étriller... C'est pour cela que sa banale sortie sur la jalousie apparait un peu courte, comme s'il n'assumait pas la daube qu'il rédige : on a parfaitement le droit de choisir une carrière commerciale, mais encore faut-il garder la modestie de ne pas se comparer à ceux qui ont fait le choix de l'exigence. Claude François, à ma connaissance, ne se comparait pas à Brel ou Brassens... Si on décide de faire la comparaison, il faut disposer d'un certain talent de polémiste : Naulleau en est pourvu, on le sait, Lévy beaucoup moins.

jeudi 14 novembre 2019

Fac de Lille : salauds de livres !...

Ce billet est un peu la suite du précédent. Le syndicat estudiantin Solidaires, celui qui avait eu la peau de Mme Jospin a Bordeaux, vient de récidiver à Lille : cette fois c'est François Hollande qui a vu sa conférence annulée et sa personne exfiltrée, pendant que des petites frappes fascisantes et des pintades gloussantes déchiraient son livre devant les caméras et les smartphones.
Comme d'habitude, le gouvernement n'y trouve que peu à redire ; on sait que les mouvements de jeunes sont la hantise de tous les gouvernants, en général plus soucieux de durer que de faire respecter le pensée républicaine. On sait comment l'université américaine déteint sur la nôtre : cela c'est une chose, la destruction des symboles en est une autre, de même qu'il y a une marge entre l'imbécillité et la haine.
Il me souvient d'une manifestation contre Luc Ferry alors ministre de l'Education, en 2003 je pense, où son livre brûlait en tas lors d'une manifestation de... profs des écoles ! Aujourd'hui c'est à l'université qu'on détruit des livres.
Je ne prétends pas que les ouvrages de Ferry ou de Hollande soient des phares de la pensée humaine, loin de là, mais ce sont des livres : celui-ci est, de par sa nature et de par son histoire, un symbole sacré. Que ce soient ceux qui devraient être les gardiens du temple, enseignants et étudiants, qui transgressent à ce point en dit long sur la culture de notre société, pourtant de tradition française. Et que celle-ci s'incline devant les autodafés et devant la haine des petits nervis boutonneux (pas tous...) situe le niveau de notre mémoire.

mercredi 6 novembre 2019

P. Jourde contre l'ordre moral


J'ai souvent évoqué, sur ce même blog, le retour larvé d'un certain ordre moral. On le constate aussi un peu partout. Pourtant, comme pour bien des choses, on finit par s'accoutumer. C'est pourquoi le billet de Pierre Jourde paru dans le Bibliobs (www.nouvelobs.com/bibliobs) du 5 novembre est salutaire : en recensant , de façon bien sûr non exhaustive, divers interdits ou censures émanant de ce qu'il est convenu d'appeler le camp du Bien, il dresse un bilan glaçant de ces dernières années, depuis la censure de Renaud Camus et les avatars du carnaval de Dunkerque jusqu'à la récente interdiction de conférence de Sylviane Agacinsky.
Car cette liste fait froid dans le dos, surtout émanant le plus souvent de jeunes étudiants (Unef, Indigènes de la République) sur qui nous fondions il n'y a pas si longtemps nos espoirs de lendemains qui chantent. Accompagnés d'une certaine intelligentsia, il font grand cas de tout ce qui peut être suivi du mot phobe : dès lors que quelqu'un leur oppose un argument, il devient automatiquement "moi-phobe". Taxer ce quelqu'un de ( )-phobe est un argument définitif interdisant tout débat, et interdisant tout court le mal-pensant. Et tout syllogisme est bon pour l'amalgame : émettre de simples réserves sur la PMA, par exemple, vous vaut par le fait même d'être "homophobe", ce qui comme chacun sait est un délit, et on vous interdit de conférence (Sylviane Agacinsky, c'est-à-dire Mme Jospin, à Bordeaux).
De la même façon que la droite avait institué après la défaite de 1870 un "Ordre moral" à des fins de redressement national, une certaine gauche contemporaine jette, au nom du Bien et du Progrès et faute d'arguments, une nouvelle chape de plomb sur l'expression démocratique, avec aux manettes quelques nervis stalino-fascisants des plus actifs. Si je fais référence au trio Lagasnerie-Eribon-Louis, je viens de commettre un délit. Et on peut craindre que le pire soit devant nous (le baiser non consenti du Prince charmant à la Belle au bois dormant, par exemple...)
La liste est déjà longue, dans la seule sphère littéraire, de ceux qui ont fait les frais de cette hydre : R. Camus, R. Millet, M. Gauchet, A. Finkelkraut, Ph. Brunet, S. Agacinsky et bien d'autres. Pierre Jourde lui-même... qui après ce billet n'en aura pas fini avec les crachats.