vendredi 30 septembre 2022

Le Nobel, Houellebecq et les bookmakers

Le Prix Nobel de Litérature sera décerné le 6 octobre. Et, comme avant chaque évènement soumis à incertitude, les bookmakers britanniques s'enflamment. C'est à la fois amusant et instructif. Ainsi, on trouve cinq auteurs français en bonne position. Est-ce toujours pour de bonnes raisons ? on ne sait trop...

Parmi les outsiders, deux grandes vieilles dames : Maryse Condé et Hélène Cixous. Toutes deux ont une oeuvre de qualité, internationalement reconnue ; mais ce sont aussi deux militantes, l'une autour de la cause créole et de la négritude, l'autre des causes féministes et de genre. Non que leur militantisme soit à blâmer, mais on n'oserait jurer aujourd'hui que leur talent d'auteur soit le seul qui motive cet état de nobélisable.

A l'inverse, on trouve au 7ème rang des favoris l'excellent Pierre Michon. Monument de discrétion, l'auteur creusois a, depuis les Vies minuscules, produit une oeuvre unanimement saluée où la langue est reine. Les amateurs de vraie littérature se réjouiront de cette reconnaissance.

Restent les deux poids lourds, dont Michel Houellebecq qui est en pole position, comme on dit outre-manche. Il est incontourable : réac mais recordman des ventes, et son oeuvre visionnaire rythme depuis un quart de siècle la littérature contemporaine. L'évolution narcissique du personnage -chanteur, comédien- pourrait être critiquée, mais peut-être est-ce un atout supplémentaire ?

Reste enfin Annie Ernaux, en 5ème position. Auteur de talent, en tout cas traduite internationalement. Encensée par un certain monde, et de bons livres malgré de récentes publications calamiteuses. Mais -et hélas ce sera peut-être son meilleur atout- militante de toutes les idées à la mode, comme Le Clezio en son temps...

Regretterons-nous un jour Bob Dylan ?

dimanche 25 septembre 2022

Livre et tarif postal : une farce française

La France d'il y a quarante ans accoucha d'une bonne idée : le prix unique du livre. Celle d'aujourd'hui se prépare à en pondre une mauvaise : le prix obligatoire pour l'envoi d'un livre. En obligeant à un affranchissement minimum de trois euros, le but de la mesure est d'empêcher Amazon ou la Fnac d'offrir un envoi quasi-gratuit, ce que les libraires indépendants ne peuvent financer. Ou du moins de rétablir un peu d'équilibre, ce dont on veut bien se réjouir mais qui avec un peu de réflexion risque bien de se révéler une tartufferie.

Qui peut croire que la maneuvre ramènera en librairie l'acheteur qui commande sur internet ? Déjà il y a les ruraux qui habitent à plusieurs dizaines de kilomètres d'une librairie ; ensuite il ya les gens qui ont des soucis de mobilité, handicapés ou personnes âgées, qui n'iront pas courir le centre-ville. Sans compter les actifs dont l'agenda n'est pas extensible. Et les étudiants face à des ouvrages uniquement disponibles sur le net.  Augmenter les frais de port n'aura pas d'autre effet que de les amener à lire moins. Est-ce d'ailleurs bien sûr que ce soit le seul tarif qui a écarté une part de la clientèle des librairies ? J'ai personnellement fréquenté nombre de ces libraires : j'en ai rencontré des remarquables, des moins remarquables et des franchement imbuvables... La posture du conseiller-littéraire-qui-promeut-les-livres-super-dont-on-ne-parle-dans-le-commerce, fréquemment mis en avant, est bien souvent une supercherie ; car le libraire est fatalement soumis aux lois du commerce, et sa vitrine comme son stock est essentiellement garni par les Prix littéraires et les têtes de gondole.

Chez eux comme ailleurs, on manque de place, physiquement et financièrement, notamment pour les petits éditeurs indépendants, ceux pour qui les plate-formes susnommées et internet assurent une visibilité commerciale indispensable, en plus de leurs propres ventes directes. Car qu'on le veuille ou non, la distribution -du diffuseur au libraire- tend à les marginaliser loin des rayons... Et tout cela mis bout à bout aboutira à moins de lecteurs et de lecture, comme si la tendance actuelle ne suffisait pas, et à une pression supplémentaire sur la production de qualité. Seuls les best-seller industriels tireront leur épingle du jeu.

Bref, cette mesure corporatiste conçue entre professionnels sous l'égide de quelques fonctionnaires n'a oublié qu'une chose : l'avis des clients. Chose fréquente dans ce pays. Et comme à l'ordinaire dans la tradition française, on en mesurera bientôt la démagogie, puis l'inefficacité, et enfin les effets pervers.

samedi 17 septembre 2022

Lectures : L'homme peuplé, de Franck Bouysse

Ne cherchez pas ce titre sur les listes des Prix : ni le Goncourt, ni le Renaudot, ni le Femina, ni le Médicis, ni... Malgré de bonnes critiques qui l'ont accueilli, les lois du marketing ont du passer par là. Mais pour ce qui est de la littérature, l'homme peuplé, de Franck Bouysse (Albin Michel), mériterait bien une distinction. Il témoigne du talent et de la maturité d'un auteur qui fait son oeuvre, ou plutôt qui creuse son sillon...

Car, par origine et par nature, Franck Bouysse est un écrivain rural. Ses racines, sa sensibilité, son style et les petits détails rustiques qui émaillent le récit prouvent son authenticité. Mais, fût-il corrézien, ce n'est pas un écrivain de "terroir" dans la tradition de l'Ecole de Brive. "Parle de ton village et tu seras universel", proclamait Tolstoï : c'est ce que fait le livre de Bouysse. Le pitch, autour de deux personnages : un écrivain en panne d'inspiration s'enferme dans la vieille maison qu'il vient d'acheter dans la campagne limousine, qui l'accueille sans enthousiasme, et se heurte à la présence d'un voisin paysan, marginal, taciturne, guérisseur, sorcier, plus ou moins jeteur de sorts... A partir de là, quelques détails finement mouchetés construisent peu à peu une atmosphère et une narration dramatique.

C'est un vrai roman, bien écrit, bien "senti", maitrisé, ambitieux, avec ce qu'il faut de digressions et d'universalité. Mais le style de Franck Bouysse évoque celui des conteurs de jadis, comme le Limousin en comptait tant. Et ce que le critique contemporain analyse comme du fantastique et de l'irrationnel surgit tout droit d'une certain tradition orale rurale, plus riche de symboles que franchement inquiétante. Le surnaturel, les fantômes, l'onirisme sont parfois un peu déroutants mais ils sont l'univers de cette terre. L'ambiance est âpre, le réel est rude mais c'est le réel.

Le livre de Bouysse échappe aux modes et à la péremption. Il est le fruit d'un auteur qui s'impose et dont le style est une signature. Avec ou sans Prix littéraire, il faut lire L'homme peuplé.

vendredi 9 septembre 2022

Goncourt, l'éthique et le toc...

Nous y sommes : rentrée littéraire oblige, l'emballement vers les Prix de novembre secoue le Landernau germanopratin. Et l'Académie Goncourt publie sa première liste de 15 titres. Avec une surprise, veut-on nous faire croire : pas de Virginie Despentes, dont les gazettes nous inondent depuis des semaines et qui est donc déjà le best-seller de cette rentrée. Cela a pour premier effet d'écarter Grasset du plus fameux des Prix, mais on peut supposer que tout cela a été bien négocié... Surprise très relative au demeurant, car on voyait mal cette rebelle institutionnelle concourir à un prix dont elle était membre du jury voilà encore deux ans.

Mais il fallait que cette éviction soit vendue comme un signe de moralisation ; régulièrement secoué par des polémiques, le jury était contraint d'introduire de "l'éthique" dans ses pratiques. Et, au cas où on nourrirait un doute, deux autres décisions viennent enfoncer le clou de manière définitive : d'abord les membres du jury qui chroniquent dans les médias devront s'abstenir de critiques concernant les ouvrages sélectionnés, afin de ne pas influencer leurs collègues. C'est pas fort comme mesure, ça ? Et tenez-vous bien, ce n'est pas tout : seront inéligibles au Prix les ouvrages des conjoints, compagnons et proches parents des membres dudit jury... Pour mieux comprendre, voir sur ce blog "Tambouille et Goncourt-bouillon" du 28 septembre 2021.

Il n'est rien dit sur les liaisons informelles, celles qui pimentent la vie de notre petit monde parisien, ses coucheries, ses dîners en ville et ses renvois d'ascenseurs. Mais celles là seront toujours difficiles à appréhender. Et de toute façon on sait depuis longtemps à quoi s'en tenir sur l'organisation des prix. Business is business, mais gardons espoir : il devrait bien se trouver, loin du barnum médiatique, quelques bons titres à lire...