vendredi 26 novembre 2021

Lectures : Chevreuse, de Patrick Modiano

C'est le dernier Modiano, paru comme d'habitude chez Gallimard. Et un livre de PM est toujours un évènement. On sait pourtant ce qu'on va y trouver, une spirale en immersion dans le monde des souvenirs : souvenirs anciens et plus récents, présent déjà nostalgique avant d'avoir passé... C'est toujours la petite musique de Modiano, intimiste et si particulière, conduite dans un style qu'on a souvent qualifié de proustien. Toujours la même enfance, la même rêverie, les mêmes fantômes. Dans un récit aussi fluide, comment trier le rêve, le souvenir, la romance ? on ne se pose même pas la question...

Il est bien connu que les auteurs, surtout les grands, écrivent toujours le même livre, et Modiano en est sans doute le plus brillant exemple contemporain. Certains critiquent ont trouvé que dans Chevreuse il tournait un peu en boucle, ou qu'il écrivait "quelque chose de précipité". On peut admettre ces objections, somme toute assez habituelles : on est souvent tenté, lors d'une nouvelle parution, de dire "ce n'est pas le meilleur Modiano, mais il est très bien...". Seulement, au bout d'un gros demi-siècle, cela fait une oeuvre de géant.
Et c'est ainsi que Modiano est grand.

dimanche 14 novembre 2021

Carmen Mola, mauvais genre...

On sait qu'à notre époque les robinets d'information peinent à distinguer l'essentiel de l'accessoire, mélangeant faits divers et évènements plus importants ou plus signifiants. Et ce ne sont pas ces derniers qui déclenclenchent forcémenent le plus de réactions. Ainsi en Espagne : elle s'appelle Carmen Mola, est une romancière à succès et vient de remporter le prestigieux prix Planeta. On l'attends pour la  récompenser. Seulement à la place de l'impétrante attendue se présentent trois solides gaillards comme l'Espagne en produit : Carmen Mola n'est qu'un pseudonyme.

Chez nous, du moins en d'autres temps, la chose aurait juste fait sourire : on ne compte plus les auteurs qui ont multiplié les identités littéraires, sans oublier ceux qui voulaient protéger leur anonymat, voire les nègres qui y étaient contraints. Mais l'Espagne n'est pas la France, à moins que, hélas, ce ne soient les temps qui changent.

C'est une véritable tornade qu'ont déclenché les néoféministes ibériques : la supercherie humiliait les femmes. Et les libraires (du moins certaines) d'emboiter le pas, appelant pêle-mêle à l'interdit ou au boycott, à la fois pour le livre, son éditeurs, ses auteurs, etc... Les livres encensés la veille, car oeuvres de femmes, devenaient le lendemain, en révélant leur véritable auteur, tout juste bons pour le pilon.

Tout ça parce qu'un trio d'hommes, blancs de surcroît, avait usurpé l'identité d'une femme... qui n'existait pas ! On a connu victimes plus malheureuses. Alors, comme souvent, vient la question : faut-il pleurer ? faut-il en rire ? ou, pourquoi pas, faire un procès révisionniste à George Sand ?

mardi 9 novembre 2021

Enfoirés et bouquinistes

En ce début novembre, Brive accueille le petit monde de la "République des Lettres" -républicain probablement, lettré est une autre histoire- venus faire la foire. Et s'encanailler après la fermeture. Bref, l'univers du livre fait la fête.

Pourtant, le danger rôde, qui lui est resté à Paris. Un danger bien de chez nous, bien de notre époque, qui décime les bouquinistes des quais de Seine. Depuis le XVIème siècle, ils ouvrent leurs boites vertes, repues de livres lu et relus, qui font encore le bonheur de l'amateur en satisfaisant sa curiosité et son goût des lettres. Un repaire ou une caverne d'Ali-Baba pour ceux qui aiment les livres, leur histoire et leur contenu, petit prix à la clé. Certes il s'y trouve bien quelques brebis galeuses, vendeuses de tours Eiffel et de souvenirs pour touristes -généralement reléguées en bout de quai- mais qui n'enlèvent rien à l'identité du métier.

Seulement voilà, on n'échappe pas à son époque. Il y eut d'abord des mois de manifestations de Gilets jaunes peu propices aux affaires. Puis vint le Covid, ses confinements, ses portes fermées aux touristes et ses interdits de toute sorte. Et, comme partout, des odeurs d'avenir incertain. Trois années qui en auront incité beaucoup à mettre la clé sous la porte. A tel point que la Mairie de Paris, qui concède les boites, lance une campagne de recrutement...

On ne fait pas ce métier pour l'argent, les bouquinistes gagnant entre cinq et dix euros par jour, jour souvent passé dans le grand froid, la pluie ou la canicule. On le fait par amour des livres, et c'est ce que le touriste étranger nous envie. Car si le volume d'affaires ou les rémunérations sont dérisoires au temps de la start-up nation, l'impact sur les devises du tourisme parisien est loin d'être anecdotique.

Ce dernier argument ne peut être ignoré, et c'est celui avec lequel le métier se défendra. Et pourtant, plus simplement, les bouquinistes incarnent quatre siècles d'Histoire de France, quatre siècles de culture française : mais de quel poids cela pèse-t-il aujourd'hui ?