jeudi 24 février 2022

Bouquinistes, vocation et religion...

Voilà quelques mois (novembre 2021), sur ce même blog, nous nous alarmions de la crise qui secouait les bouquinistes des quais de Seine, dont beaucoup jetaient l'éponge après trois années de galère, depuis les manifestations des gilets jaunes jusqu'aux confinements covidiens, et de perplexité existentielle générale. Mais comme leur présence est importante pour le tourisme parisien, la mairie de Paris s'est empressée de lancer le recrutement des remplaçants.

En cette fin février, l'adjointe au Commerce de la Ville de Paris annonce toute guillerette 71 candidatures pour 18 boites vertes à pourvoir, et présente cela comme un engouement fort. Mouais... Plus de trente ans d'expérience du recrutement m'amènent à estimer ce ratio plutôt maigre, surtout quand les défections surviendront. Mais Olivia Polski, ladite adjointe, se félicite du profil des candidats, "brocanteurs, artistes, passionnés de lecture..." Cela peut en effet expliquer l'intérêt des impétrants, mais ne garantit en rien la pérennité de leur motivation et a fortiori leur réussite dans ce difficile métier d'indépendant plus que précaire.

Car la réalité prosaïque du métier est celle d'une rémunération oscillant entre 5 et 10 euros par jour, pour une présence soutenue ; la proximité de la Seine n'est pas sans charme, mais les conditions climatiques sont parfois sans pitié. Espérons que les postulants connaissent tout cela...

Bouquiniste est un beau métier, vieux de quatre siècles et porté, pour la plupart des professionnels, par l'amour du livre, son fonds et sa forme. Mais on entre de plus en plus en bouquinisme comme en religion, et à ce titre l'avenir apparait morose.

vendredi 11 février 2022

Edition, business, culture et dépendance...

Le monde de l'édition ne parle que de ça : la fusion des deux groupes éditoriaux Hachette et Editis, désormais sous la houlette d'un même patron, Vincent Bolloré. La réunion des deux entités, respectivement n° 1 et 2, accoucherait d'un mastodonte : Bolloré justifie cet objectif pour concurrencer les GAFAM, et le reste craint la perspective d'un quasi-monopole, sur le scolaire et le parascolaire par exemple ou sur la distribution. Antoine Gallimard, PDG de Madrigall le groupe n°3, parle d'un tsunami. Argant qu'en France la tradition éditoriale relève plus de l'artisanat que de l'industrie, il craint une politique de "best-sellerisation" à l'américaine. Et de déplorer la financiarisation de l'édition. Il s'émeut aussi de l'exclusion programmée des autres "petits" éditeurs, qui se comptent 5000...

On pourrait s'amuser des larmes de Gallimard. C'est un euphémisme de dire que sa maison, toute familiale qu'elle soit, s'est très bien accomodée de cette financiarisation, sollicitant notamment Bernard Arnaud (et sa presse) pour son propre capital, et menant quelques rachats tambour battant. Quant à l'industrialisation ou la best-sellerisation, Madrigall a largement prouvé son savoir-faire.

Reste qu'on ne peut que lui donner raison quand il  prédit le risque de la fin de la bibliodiversité, avec un black-out sur tous les autres livres : les medias de Bolloré ne parleront que des livres des éditeurs de Bolloré ; idem pour la distribution.

Il se passe dans l'édition ce qui se passe partout ailleurs, et ça n'a pas commencé hier. Gallimard risque à son tour de devenir une proie, quand jusqu'à présent il était plutôt chasseur. L'élément nouveau c'est qu'il semble, avec Bolloré, que des ambitions idéologiques (et pas de la meilleure engeance) s'ajoutent aux appétits financiers. L'édition a toujours été un secteur stratégique, ce qui en fait la force, mais elle pourrait à l'avenir devenir plus prosaïquement militante.

Il ya longtemps que l'offre culturelle est soumise à la finance privée ou à la doxa politique des états et des gouvernements. Mais désormais ces deux pouvoirs se retrouvent sous la même bannière.

dimanche 6 février 2022

Le CNL et le quart d'heure de Mr Cyclopède

Pierre Desproges avait inventé la minute de Mr Cyclopède. Il y a déjà longtemps de cela, et son génie n'a pu empêcher le temps de passer, ni la modernité d'advenir. Ainsi, le 10 Mars prochain, à 10 heures pétantes, le Centre National du Livre organise le quart d'heure national de lecture. L'Education nationale est évidemment partenaire, puisqu'elle dispose d'une clientèle captive.

D'abord, en 2022 la lecture est déclarée grande cause nationale. Une de plus, direz-vous ; mais pourquoi pas, tant les besoins sont grands en la matière. Le but de ce quart d'heure simultané est de "contribuer à développer le plaisir chez les enfants", et "d'offrir à tous un quart d'heure de plaisir, d'évasion, de silence et d'émotion pour remettre la lecture au coeur de nos vies".

Je n'ai rien contre, mais je reste sceptique sur l'évasion et le plaisir, fût-ce d'un quart d'heure (!), décrété par ordre de l'institution scolaire, moi qui garde le souvenir de professeurs de français (disait-on à l'époque) qui m'avaient durablement dégoûté du livre, de l'écriture voire de la lecture. Je ne doute pas que l'initiative du CNL offre de beaux éléments de langage communicant à un nombre certain de fonctionnaires des institutions ad'hoc, mais redonner de l'attractivité à la lecture risque d'être long et difficile, ne serait-ce que pour bousculer l'enseignement.

N'oubliez pas : le 10 Mars, de 10 heures à 10 heures 15, vous devez impérativement lire. Conjugué à la vaccination, cela fera de vous un parfait citoyen. Le reste du temps, vous faites ce que vous voulez.

mardi 1 février 2022

Gibert Burgers

J'avais évoqué ici même et en son temps la déconfiture de Gibert Jeune, librairies parisiennes, illustrant le monde tel qu'il va et la crise du livre. Mais depuis deux ans on nous clame un peu partout que la période est particulièrement faste pour l'édition, les librairies et toute la chaine du livre. Même si les chiffres de la réalité viennent régulièrement démontrer l'inverse, les trompettes continuent de jouer le même air...

La librairie Gibert Jeune tenait boutique au 5 place Saint-Michel en plein Quartier latin. Elle va être remplacée par... un fast-food. Haut de gamme, nous dit-on, et on salive déjà à entendre un tel oxymore. Tout le monde ou presque s'offusque, et on ne va pas tarder à polémiquer entre mairie de Paris, mairie du Vème arrondissement (d'opposition) et tous ceux qui souhaitent une meilleure offre culturelle. Connu des touristes du monde entier, le glorieux Quartier latin a déjà subi les affres du tourisme, et se pose l'éternelle question : peut-on présenter aux étrangers une offre caractéristique de l'endroit, ou faut-il étaler ce qu'ils trouvent partout pour ne pas les dépayser ? Et le débat va bien au delà du seul Boul'Mich...

Reste un autre aspect du problème du fond : il n'y aurait, sur ce qui est pourtant un emplacement "premium", qu'un seul repreneur, ledit marchand de burgers et hot-dogs. Non loin de là, les magasins de fringues et de chaussures ont remplacé les éditeurs ; ici c'est une librairie qui s'en va au profit de la restauration rapide ; ailleurs une pharmacie laisse la place à une parfumerie bas de gamme... Non, l'avenir ne s'éclaircit pas.