vendredi 28 décembre 2018

Vent mauvais

A chaque jour suffit sa peine. J'évoquais ici même la semaine dernière le coup de blues que me donnaient les Gilets jaunes, dont la radicalisation, inversement proportionnelle à la quantité des troupes, me semblait de mauvais augure. Et depuis rien n'est venu me rassurer.
Pas plus tard que ce matin, on apprend que des GJ ont tenté de pénétrer dans le fort de Brégançon. Pas le lieu le plus symbolique de la République, mais... Hier, un dénommé Chalençon (la cédille est de trop) leader auto-proclamé du mouvement dans le Vaucluse (Maréchal vous revoilà ?) annonçait "la guerre civile inévitable" et appelait l'armée à destituer Macron et à prendre le pouvoir. Quelques jours auparavant, c'était le général Tauzin, président d'un groupuscule incertain, qui affirmait que les militaires pouvaient beaucoup apporter en politique (le sens politique des militaires est en effet bien connu). Au début du mois c'est un certain Drouet qui appelait les GJ à marcher sur l'Elysée et à y rentrer... Bref les appels au putsch se font à visage découvert. Et je ne parle même pas des intimidations vis-à-vis des journalistes, symptôme toujours sinistre.
J'ignore la représentativité de ces jean-foutre, et ne la surestime pas. J'aimerais toutefois que des voix s'élèvent du mouvement pour désavouer ces propos, mais je n'en entends guère, pas plus que face aux violences. Et que de telles outrances, venant peut-être d'individus dont la culture historique est voisine de zéro ou au contraire de porte-flingues qui savent très bien ce qu'ils disent, que ces outrances donc ne mobilisent pas plus de réaction, dans un monde prompt à s'indigner à tout propos, me laisse l'impression que souffle un vent mauvais. Peut-être parce qu'on veut éviter de leur faire de la publicité, peut-être parce qu'on finit par s'habituer à l'éventualité, rien ne vient rappeler à ces olibrius ce que sont la loi et la raison.
J'ai déjà dit ce que le mouvement a apporté d'expression démocratique, et le bien-fondé de ses critiques. Malheureusement, l'Histoire a moultes fois démontré que, quand on en appelle à la démocratie directe, on aboutit généralement à une administration très directe mais rarement démocratique. Tiens, à ce sujet, j'aimerais bien savoir le temps qu'aurait duré cette jacquerie des GJ face à l'armée au pouvoir...

jeudi 20 décembre 2018

RIC, gilet jaune et coup de blues...

Naguère, lorsqu'on sondait le français moyen en lui demandant s'il était favorable à l'ouverture des magasins le dimanche, il répondait oui avec enthousiasme à 78%. Dans la même enquête (pour le compte d'Entreprises et Carrières si ma mémoire est bonne), à la question "Etes-vous vous-même d'accord pour travailler le dimanche ?", le même français, très moyen en l'occurrence, répondait non à 84%...
Alors quand j'entends aujourd'hui ce même français des rond-points réclamer à cor et à cri le référendum d'initiative citoyenne (RIC) pour pouvoir décider à la place des élus démocratiquement mandatés et donc administrer en temps réel ce pays, une certaine perplexité m'habite...
Citoyen méprisé, c'est vrai, et consommateur frustré, le gilet jaune moyen (ce qui ne veut rien dire étant donné l'extrême diversité de ce mouvement disparate) tape du pied dans la fourmilière et entend satisfaire enfin ses envies et ses émotions. Habitué à la zapette de la télé (téléréalité surtout, pour certains) le consommateur a remplacé le citoyen. Et il entend infliger un diktat permanent, au gré de ses humeurs et de ses contradictions, à des élus forcément trop payés et pourris, à l'élection desquels il n'aura même pas participé. On évoque parfois la dictature des sondages, mais celle du RIC interdira la notion de durée, toujours nécessaire pour obtenir des résultats, et plus encore celle d'impopularité, dont l'Histoire a souvent démontré qu'elle était bien souvent indispensable pour construire.
Bref, et sans contester la légitimité d'un mouvement très représentatif des malaises de la France périphérique, je succombe au doute face à ce qui pourrait ressortir de cette jacquerie, au demeurant largement animée par ceux qui entendent annuler le deuxième tour de la dernière présidentielle. Qu'il faille faire évoluer les modes de gouvernance et le fonctionnement démocratique est une évidence, et elle relève de l'urgence. Qu'il y ait un problème de pouvoir d'achat et de reconnaissance est une autre certitude. Mais, sans faire l'éloge de la complexité, il n'est pas faire injure aux manifestants que de leur demander d'activer quelques neurones pour comprendre certaines complexités. Ah j'oubliais, le consommateur (dont le nom commence si mal, comme disait le duc d'Orléans des conservateurs) a remplacé le citoyen... On patientera donc avant de faire le moindre bilan.

lundi 3 décembre 2018

Mélange des genres, confusion des esprits

La mode, on le sait, est au mélange. Des idées, des races, des générations, des genres, ou du genre, on ne sait plus trop... Ici même, voila quelques années, je m'interrogeais sur la pertinence de l'attribution du Prix Nobel de Littérature à Bob Dylan au titre de sa qualité "poétique". Non que je critique le chanteur, dont le talent se passe de commentaire, ou que je doute de son évidente dimension poétique, mais outre que le Nobel me semblait se redorer le blason avec un prix grand public, il m'apparaissait incongru et risqué de mélanger les genres : aux chanteurs les récompenses pour chanteurs, aux écrivains les honneurs littéraires...Et le silence assourdissant que Dylan offrit en réponse à un Prix qu'il n'allât même pas recevoir situait bien le quiproquo.
Un débat de même nature a agité récemment le landerneau littéraire hexagonal, à propos de l'excellent livre de Philippe Lançon "Le lambeau" (Gallimard) dont une lourde rumeur faisait déjà, entre autres récompenses, l'incontournable Goncourt 2018. Le jury du Goncourt s'est peut-être un peu cabré sous la pression, mais il a pu rappeler que, statutairement, il ne pouvait récompenser du "Goncourt du roman" qu'une oeuvre d'imagination : c'est ce qui avait déjà écarté le Tristes tropiques de Lévi-Strauss en 1955, ou le Alias Caracalla de Daniel Cordier en 2013. Pierre Assouline s'explique d'ailleurs très bien à ce sujet dans le numéro de décembre de Service Littéraire.
Il s'est trouvé, bien sûr, nombre d'objections face à ce propos de l'institution, propos peut-être trop simple pour le consommateur-lecteur contemporain. Pourtant, peut-on considérer l'attentat contre Charlie-Hebdo comme un événement imaginaire ? la renaissance d'un blessé grave, au prix de dix-sept opérations et des mois de calvaire, comme une oeuvre de fiction ? un récit d'auto-fiction ? un témoignage de mentir-vrai ?...
Non, il est des cadeaux qu'on ne fait pas aux assassins.

vendredi 30 novembre 2018

Dédicace Montauban 08/12

En cette période de fêtes qui approchent, j'aurai l'occasion de dédicacer mes ouvrages, et notamment ma dernière publication Les Saints des derniers jours (L'Harmattan), le

                                                    Samedi 08 Décembre
                                                  CULTURA Montauban
                                                        de 10 h à 18 h

L'occasion de nous y rencontrer ?

jeudi 15 novembre 2018

Griveaux et Wikipedia

On n'en sort pas : il y a moins d'une semaine, j'évoquais Yvan Rioufol, ses envolées patriotiques et ses fustigations des pacifistes de l'entre deux-guerres. Et voilà qu'aujourd'hui même c'est Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement aux prises avec divers mouvements sociaux plus ou moins spontanés, qui entend faire se rencontrer  pays réel et  pays légal.
On aurait pu croire que cet apparatchik pressé se souvenait tout à coup de la Saône et Loire dont il est originaire et dont il fût l'élu ; on savait qu'il n'aimait pas "les types qui fument des clopes et qui roulent au diesel", ou qui roulent des clopes et fument du diesel, on ne sait plus, mais on pouvait imaginer qu'il avait enfin ouvert les yeux sur cette France de la fin 2018. Reconnaissons, sans être nullement maurrassien, que cette distinction entre pays légal et pays réel devient de plus en plus lancinante et, hélas, facile à évoquer pour certains... Et donc qu'emprunter ainsi ce concept de Maurras, même à des fins politiciennes, pouvait nourrir le débat.
Patatras ! Benjamin Griveaux argumente son propos en attribuant ce concept à... Marc Bloch ! Bloch, juif, résistant et fusillé par la Gestapo semblait difficile à confondre avec l'antisémite et collaborateur Maurras. Sauf peut-être pour un de ces "conseillers", communicants avant tout et à l'affût d'émotions, qui peuplent les cabinets ministériels. Lequel d'entre eux s'est pris les pieds dans le tapis et s'est emmêlé les wikipédia ? On se souvient encore de Sarkozy, ses Roujon-Macquart et son Roland Barthez...
La Macronie triomphante a fait émerger une classe politique jeune, souvent issue de la société civile et donc susceptible d'apporter des compétences opérationnelles à l'outil politique : a-t-elle pour autant réconcilié ce supposé pays légal et ce prétendu pays réel ? Au vu de l'actualité, rien n'est moins sûr.
Sous Hollande, un homme politique avait, hors micro et sous couvert d'anonymat, affirmé que le niveau culturel des ministres de ce temps était celui des attachés parlementaires du début de l'ère Mitterrand. Quelque chose me dit que cela ne s'arrange pas...

samedi 10 novembre 2018

Rioufol, le poilu ou comment s'en servir...

Le contexte historique de mes derniers romans, d'Aveyron Croatie, la nuit à Les Saints des derniers jours m'a amené à m'intéresser à l'histoire de l'extrême-droite, ou de la droite extrême, y compris contemporaine, pour la connaitre et essayer de la comprendre voire de s'y opposer. Vous connaissez peut-être Yvan Rioufol, ci-devant chroniqueur au Figaro et sur quelques chaines de télévision, et généralement connu comme pourfendeur de "l'islamo-gauchisme" et de la "bienpensance", critique parfois perspicace mais souvent paranoïde et aux accents de plus en plus belliqueux.
C'est ce ton martial qui anime son Bloc-notes du Figaro du 09 Novembre, dans un billet intitulé "Le poilu ou comment s'en débarrasser" où il affirme sans rire (d'ailleurs ne doit-il pas rire souvent) que "Le poilu faisait la guerre à un envahisseur. Il se battait pour protéger sa patrie, ses frontières. Il voulait chasser l'indésirable. Le soldat était prêt à se faire tuer au nom de l'honneur, de la grandeur, du courage. Il croyait en la force des armes."
Rioufol ose beaucoup, c'est même à cela qu'on le reconnait parfois. Ses proclamations déroulèdiennes sont d'autant plus confortables que la der des der n'est désormais qu'un lointain épisode de l'histoire de France, affranchi de l'émotionnel et qu'on peut façonner comme une pâte à modeler, à des fins d'argumentations plus contemporaines et plus spécieuses. Mais on a envie de demander à YR s'il a lu Genevoix, Dorgelès, Barbusse,... ? Qu'il parcoure par exemple "Les carnets de guerre du caporal Barthas, tonnelier" ; et il comprendra que, même dans les hystéries et les aliénations propres aux guerres, bien des poilus avaient une perception très distanciée de l'envahisseur, eux qui, souvent ruraux et à ce titre désignés comme chair à canon, ne connaissaient comme frontière que celle où la langue changeait, d'oc en oil par exemple (la grande Guerre sera après J. Ferry le grand vecteur d'uniformisation linguistique jacobine...) ; et ils ne doutaient pas que l'indésirable aurait de son côté préféré lui aussi rester chez lui. Le poilu, Monsieur Rioufol, ne faisait la guerre que parce qu'il avait été mobilisé...
Notre chroniqueur en profite pour fustiger, sans originalité, les "pacifistes de l'entre-deux guerres" : il se trouve que mon dernier roman, Les Saints des derniers jours, repose sur ce thème du pacifisme et de l'engagement, dans lequel Giono joue un rôle majeur, lui qui préférait être "un allemand vivant qu'un français mort". On peut discuter de son choix mais on notera quand même que, contrairement à Monsieur Rioufol, lui avait connu l'enfer des tranchées et pouvait s'en souvenir.
L'article d'YR plaira sans doute à quelques crânes rasés dont le niveau de culture est inversement proportionnel au niveau de frustration, et qui sauront bien trouver dans l'actualité quelque envahisseur ou quelque indésirable à affronter. Pour ma part, je relaterai juste une histoire de poilu malchanceux, celle de Casimir Farjounel, né dans le même village que moi ; mobilisé, il eût en 1915 le malheur avec quelques camarades de sauter sur trois soutes de munitions allemandes : miraculeusement survivants mais complètement hébétés, ces soldats errent sur le champ de bataille où ils tombent sur un officier, peut-être un ancêtre de Monsieur Rioufol, qui les arrête pour désertion. Farjounel et deux autres soldats seront fusillés.
Casimir Farjounel sera réhabilité douze ans plus tard. Et c'est en 2014 que sa commune inscrira son nom sur le monument au morts. Mort pour la France, y est-il écrit. Mort par la France serait ici plus juste.

mardi 23 octobre 2018

Rouergue en Arts et Lettres, le retour

Paris sera toujours Paris, nous dit-on, et le Rouergue sera toujours le Rouergue. Et le Rouergue à Paris sera toujours quelque chose de particulier. Qu'on le baptise Aveyron ou qu'on le nomme Rouergue du nom de l'ancienne province (c'est-à-dire l'Aveyron actuel plus mon canton de Saint-Antonin Noble Val), cet Aveyron contemporain ou historique reste l'une des identités les plus fortes de la capitale. Et le Marché des Pays de l'Aveyron à Paris aura toujours cet air de Cocagne, charcutier, pinardier ou pâtissier qu'il offre au quartier de Bercy. L'édition 2018, le temps d'un week-end, l'a illustré une fois encore.
Et le Salon du livre rouergat, renommé Le Rouergue en Arts et Lettres, niché au coeur de l'évènement, participe de ce sentiment d'identité. Même s'il est un peu décalé dans un univers alimentaire, ses nourritures à lui rencontrent un franc succès, avec un public de qualité, intéressé et réceptif (et acheteur, au risque de surprendre !)...
On y mesure le sentiment d'appartenance de cette communauté, aveyronnais de Paris ou en villégiature, arrachés il y a longtemps ou plus récemment à la terre patrie, pour qui la notion de racines coule de source. Ou comment une contrée hétérogène (Nord-aveyron, sud-aveyron, Ségala, bassin minier...) se retrouve autour d'une identité unique et forte.
Ajoutons à cela une bonne organisation, une bonne ambiance, des contacts sympas et on comprendra que cette édition 2018 du Rouergue en Arts et Lettres fût un beau moment...

jeudi 18 octobre 2018

De l'Arlésienne à l'entre-soi...

En mai 2017, sur ce blog, je vous faisais part du bon augure que me semblait être la nomination de Françoise Nyssen au Ministère de la Culture, en même temps que de mon scepticisme.
Il aura fallu moins d'un an pour que l'ancienne éditrice témoigne de son inadéquation au poste, avant qu'une opportune information ne parvienne au Canard Enchainé, sur des libertés prises avec l'administration de l'urbanisme par Actes-sud. Il était acquis depuis longtemps qu'elle ne survivrait pas à un remaniement ministériel : c'est fait.
Que restera-t-il de son passage rue de Valois ? Un plan bibliothèque dont on verra (ou pas) les effets, une promotion de l'enseignement artistique dont a hérité l'Education nationale, ce qui laisse dubitatif pour la suite, un bonus financier pour les films politiquement corrects sur l'égalité hommes-femmes, avec dans le même genre une recommandation à l'audiovisuel public qu'on n'avait plus vu depuis l'Ortf, et enfin l'amorce de la mise en oeuvre d'un pass-culture pour les jeunes dont on attendra la matérialisation avent de le juger, mais qui risque fort de profiter en premier lieu à quelques grandes enseignes... On n'oubliera pas non plus les couleuvres qu'elle a du avaler (S. Bern) ou les prébendes douteuses (A. Saal) qu'elle a octroyé.
On sait que faire "fonctionner" l'administration du Ministère de la Culture n'est pas une sinécure, et que Françoise Nyssen s'y est cassé les dents. Son successeur fera-t-il mieux ?
Parlons-en, de son successeur ; en ces temps où beaucoup d'impétrants sont avant tout tournés vers les élections à venir pour sauver leurs mandats, les vocations crédibles manquaient (on a même parlé de M. Schiappa, c'est pour dire...). Est donc finalement récompensé Franck Riester, président de Agir, un appendice LR rallié à Macron, ce qui peut politiquement expliquer sa nomination. Pour le reste, Riester a été rapporteur du projet Hadopi : c'est la seule référence, vieille de 10 ans, qui le rattache à ce grand continent, pourtant large, que l'on nomme la Culture. Ce qui n'empêche évidemment pas quelques opportunistes de se répandre sur les plateaux pour clamer sans rire sa compétence et sa légitimité. Comme d'habitude a-t-on envie de dire.
Alors pourquoi Franck Riester ? Même si l'Histoire suit son cours, elle bégaie souvent. On a longtemps considéré que ce ministère était une chasse gardée pour ministres homosexuels, condition sine qua non pour qu'il "fonctionne" (nous y revoilà) sans trop de heurts ni de peaux de banane. Ca tombe bien, Franck Riester n'a jamais caché ses inclinations.

lundi 8 octobre 2018

Paris : le Rouergue en Arts et Lettres

Dans le cadre du 19ème Marché des Pays de l'Aveyron à Paris, la Fédération Nationale des Amicales Aveyronnaises organise le Salon du Livre

                      Le Rouergue en Arts et Lettres 2018
Samedi 13 et Dimanche 14 octobre 2018, de 10 heures à 18 h 30
Salle paroissiale 11 rue de la Nativité 75012 Paris (Bercy)

Amis parisiens, l'occasion de nous y rencontrer ?

vendredi 5 octobre 2018

Mort d'Aznavour, ibi deficit orbis

Charles Aznavour a passé. Comme tous ceux qui ont grandi au son de la Bohême ou de la Mamma, je mesure le temps qui fuit et contemple le vieux monde qui s'en va. Je n'étais pas alors un fan d'Aznavour, et ne le suis jamais vraiment devenu, mais avec l'âge et le recul qu'il appelle j'ai redécouvert ses textes en les écoutant de plus près, et c'est comme cela que j'admets qu'on puisse évoquer la disparition du dernier "grand".
Mes sources d'intérêt allaient, classiquement, vers le trio magique Brel-Brassens-Ferré, et quelques autres (Nougaro, Ferrat...). Aznavour visait davantage le grand public, et son avidité de reconnaissance et de sous n'a pas toujours servi le créateur qu'il était. Il fut aussi un homme d'affaires avisé, et ce n'est pas pour sa voix que son surnom d'"enroué vers l'or"a été cruel... Les grands thèmes universels ou à la mode sont les plus populaires, mais aussi les plus rentables et il ne l'oublia jamais. 
Mais c'était incontestablement un grand auteur de chansons, avec des mots simples qui le rendaient facile à entendre, mais des phrases et des sons taillés au stylet. Lisez ou écoutez par exemple les paroles de Hier encore, c'est de la belle ouvrage... Et beaucoup d'autres titres dont, à l'exception notable de l'envoûtante Mamma, il fut l'auteur. Et dans tant de phrases cultes, je vous parle d'un temps, j'habite seul avec maman, la misère moins pénible au soleil... Quoi qu'on pense de ses choix et de sa carrière, ou même de sa capacité créatrice, Aznavour était un orfèvre de génie.
Bien sûr, aujourd'hui ces textes ne trouveraient ni major ni écho. Et c'est bien en cela que la chanson française dite "à texte"est défunte. Non qu'il ne reste ici ou là un Cabrel ou quelques glorieux semi-anonymes, mais la pâte et l'exigence ne sont plus de la même essence, l'attente du public non plus, et la consommation de musique populaire contemporaine n'est pas de nature à la revigorer. Le niveau culturel "fédérateur" cher aux publicitaires est passé par là, loin des courants ascensionnels...
Alors oui, avec la mort d'Aznavour, ibi deficit orbis... Ici finit un monde.

jeudi 27 septembre 2018

Angot, tournants et chicanes

A force de tournants, de vie ou d'autre chose, il était normal que l'on arrive aux chicanes (les amateurs de sport mécanique comprendront). Comme d'habitude, Christine Angot (Un tournant de la vie, Flammarion) est tombée d'entrée sur Pierre Jourde, qui sur son blog de Bibliobs lui assène "Un tournant de la littérature" aussi corrosif que ses précédentes critiques à l'égard de la tête à claques reine de l'autofiction. Avec un oeil flaubertien, Jourde dissèque le livre en rien de la chroniqueuse de Ruquier. C'est désopilant, ou poilant, en un mot désopoilant.
Je vous invite à lire sur le site le propos en question, plutôt que de le retranscrire ici, ou même de l'y commenter. Pourtant les extraits du livre qui sont présentés sont flippants, où l'on voit comment produire une ou deux pages avec un dialogue de pure vacuité narcissique nourri d'onomatopées. Livre en rien, écrit Jourde, foutage de gueule hurlerait le vulgum pecus... "Le vide de Madame Angot" pourrait être le titre d'une opérette d'aujourd'hui.
Je ne résiste pas, par contre, à mettre ici la citation d'Alexandre Vialatte qu'un commentateur du blog (jacques d) a opportunément déniché, et qui me semble-t-il se suffit à elle-même :

"Tout est bon dans la soupe du chien. On y jette les croûtons, le corbeau même pas plumé, les épluchures, les fonds de flacons d'encre à stylo, le reste des remèdes du grand-père, les merveilles de la science, les progrès de l'industrie, les mégots de la call-girl, le soutien-gorge de la vedette et le bikini de la femme-canon. Et on en nourrit l'opinion. On la gave de cette mythologie." (A.Vialatte, La Soupe Merveilleuse, Julliard 1982).

PS : Sur le même sujet (CA) et avec le même titre, voir JM Proust sur Slate...

jeudi 20 septembre 2018

Heures heureuses, à la vôtre !

Si comme l'auteur de ces lignes vous aimez la littérature, le vin, l'humour et Toulouse, vous aimerez "Des heures heureuses", de Christian Authier (Flammarion). Toulouse n'est jamais nommée, mais ses rues et ses places, voire quelques enseignes, le sont, où Authier le toulousain a semble-t-il ses habitudes !
Le livre est trop riche pour qu'on se hasarde à le raconter ; disons qu'on y parle d'amitié, du vin (nature) et de son monde. C'est un roman flamboyant, picaresque, arrosé sans modération, jouissif et un peu foutraque. Et qui plus est naturel et local, comme on dit aujourd'hui. Fidèle à lui-même, Christian Authier, qui aime bien Toulouse mais beaucoup moins son évolution se livre aussi à une critique de la société contemporaine, critique parfois un peu facile mais toujours juste. Avec, malgré l'humour, quelques relents d'amertume, saveur que le vin n'autorise pas... On y apprend, aussi, bien des choses sur le vin, la vinification, sa commercialisation, etc... Et le tout se fait avec des portraits de haute volée, lourds de tendresse.
Si on ne savait pas déjà que Authier a lu Blondin et Muray, on le comprendrait vite en parcourant ces pages, caustiques à souhait. Et puis il y a cette merveille : "la calme insoumission propre aux buveurs de vin"...
Lire étant une de dernières choses que l'on peut faire sans modération, allez y gaiement ! et à la vôtre !

mardi 11 septembre 2018

Service littéraire (Critique Les Saints des derniers jours)

Service littéraire est un mensuel qui, depuis onze ans désormais, défend et illustre la langue française au travers d'une critique de l'actualité romanesque. "J'ai une patrie : la langue française"(A. Camus)", lit-on en exergue. Journal sur les écrivains fait par des écrivains, et non des moindres, il tranche par sa liberté de ton anti-langue de bois et fait partie, malgré sa modestie, de ces rares publications auxquelles les auteurs sont sensibles.
Aussi ai-je noté dans le numéro de septembre cette critique des Saints des derniers jours :

LES SAINTS DES DERNIERS JOURS, de Michel Poux : Trois copains vivent 39-40 à travers le journalisme. Copains oui, mais de bord opposés. On parle de Marcel Aymé, de Bernanos, de Drieu, de Brasillach et Jean Hérold-Paquis. Les journaux se nomment Le Petit Parisien, Marianne et Paris -Soir. Un beau roman. Et surtout un journal. (L'Harmattan, 200 p., 19,50 €).

Le genre de critique qui fait plaisir...

mercredi 5 septembre 2018

Besson, proconsul

Ainsi donc Emmanuel Macron vient-il de nommer consul au prestigieux Consulat de France à Los Angeles le susnommé écrivain Philippe Besson, provoquant à la fois une levée de boucliers, un éclat de rire quasi-général et un écroulement des dernières illusions de ceux qui rêvaient encore d'un nouveau mode de comportement de nos monarques contemporains.
Argument classique de défense, très recevable au demeurant, l'intérêt de sortir des profils classiques de la haute fonction publique et diplomatique. Certes, mais encore faut-il, avant de pourvoir un poste (et l'ancien DRH Besson doit bien le savoir) un minimum de compétences identifiées : personne ne s'est hasardé à essayer de trouver une once de compétence diplomatique à Philippe Besson. 
Par contre, celui-ci excelle dans l'art de "lèche-majesté", comme il est écrit dans un très bon papier de D. Caviglioli dans Bibliobs. Son œuvre la plus récente tient dans "Un personnage de roman", paru il y a quelques mois et consacré, le hasard faisant bien les choses !, à son Altesse Sérénissime Emmanuel Macron, qualifié au fil des pages (je n'invente rien) de "beau et ambitieux", d'"intelligence supérieure" dotée d'un "naturel ardent, indépendant et rêveur, qui brave l'autorité du père, devient guerrier et lutte contre l'ordre ancien", etc... Franche rigolade à la sortie du bouquin, mais grosses ventes.
A défaut de compétence, du moins en ce domaine, Besson a donc la récompense pour son zèle et sa flatterie. Il a certes oublié de rappeler que Macron guérit aussi les écrouelles, mais il en avait fait assez pour recevoir une (belle) médaille qui, nous assure sans rire le Président, "ne doit rien au copinage", ni avec lui ni avec sa femme. 
La flagornerie fera toujours recette, et l'hagiographie évoquée plus haut n'est pas la première à trouver salaire. Peut-être EM a-t-il voulu aussi faire un signe à une communauté très active. Mais rarement le cynisme, le fait du prince, la fayoterie ou le foutage de gueule, ou le tout réunis, n'ont été aussi grotesques. Et, le ridicule ne tuant plus depuis longtemps, il s'est trouvé des thuriféraires pour évoquer le précédent, déjà à ce consulat de Los Angeles, de la nomination de Romain Gary au même poste. Comparer Gary et Besson, là aussi il fallait oser... Audiard avait une phrase à ce sujet.

mercredi 29 août 2018

Petit paysan, grand film

J'ai, enfin, pu regarder hier soir le film d'Hubert Charuel, "Petit paysan", qui avait obtenu une très bonne critique à sa sortie en 2017. Mon oeil était celui d'un spectateur doublement attentif, au film et au scénario d'une part, comme tout un chacun, et d'autre part à la photographie d'un monde paysan agonisant sous la modernité : mes origines paysannes et ma jeunesse d'éleveur m'ont fait souffrir avec le héros et avec ses vaches...
Le film relate le désarroi, l'enfermement puis la dérive d'un éleveur trentenaire dont le troupeau subit une épidémie. Tous les critiques ont souligné la justesse des acteurs (récompensés) et de la description de l'univers d'un petit agriculteur ; tous ont encensé l'âpreté d'un "thriller mental". Beaucoup d'entre ces critiques ont noté la lecture affûtée de la fin de la tradition paysanne, fût-elle moderne, technicisée, connectée et toussa. Certains, enfin, pas les plus originaux, n'ont pas manqué d'y voir une victime du néolibéralisme. 
Charuel connait bien cet univers, et il a tourné le film dans la ferme où il a grandi. Ses parents, son grand-père jouent dans le film. Sa description sobre évite les effets particuliers, sans folklorisation ni règlements de compte ; il n'occulte pas les aliénations qui pèsent sur la profession et sur la ruralité, ni sur leur hétérogénéité. Ses personnages sont justes, agriculteurs ou vétérinaires, jusqu'à cet éleveur belge révolté, lui-même victime de l'épidémie, enfermé dans un délire internaute contre les moulins à vent pour dénoncer dans la virtualité "ceux qui veulent nous faire crever", et refusant le geste concret qui sauverait peut-être le troupeau de son collègue victime lui aussi...
Cela étant, et sans doute est-ce fatal, la critique me semble passer à côté d'un constat de fond : peut-être Charuel n'est-il pas assez explicite, ou bien les critiques sont-ils comme beaucoup de gens, à savoir des consommateurs urbains avant tout. On peut certes invoquer la main invisible du néolibéralisme qui voudrait faire disparaitre les "petits" ; et on ne peut que constater le zèle fonctionnaire (et fonctionnel) des services vétérinaires. Mais quid de la responsabilité du consommateur qui induit, ne lui en déplaise, la productivité pour des prix bas et des principes de précaution souvent délirants, et tellement meurtriers pour le petit producteur ? Mais on me dira que cela est une autre histoire.
Quoi qu'il en soit, et quel que soit le niveau de lecture, "Petit paysan" est un grand film...

jeudi 16 août 2018

Déjà parus...

 Au cœur de l'été et au hasard des Salons du Livre où vous pourrez me croiser, un petit rappel de mes œuvres :
          . Les Saints des derniers jours - L'Harmattan 2018
          . Le répountchou qu'es aquo - Vent Terral 2017 (avec AM Rantet Poux)
          .  Mona Lisa ou la clé des champs -L'Harmattan 2014
          .  Passeport pour le Pays de Cocagne - Elytis 2012
          .  Aveyron Croatie, la nuit - L'Harmattan 2011
          .  Histoires peu ordinaires à Toulouse - Elytis 2007
          .  Histoires peu ordinaires au Cap-Ferret - Elytis 2006 (avec Ch. Oyarbide)
          .  Week-end à Schizoland - Elytis 2005
          .  La branloire pérenne - Elytis 2002

En vente aussi dans toutes les librairies, chez l'auteur (en rubrique Commentaires) ou l'éditeur.
Pour les ouvrages publiés chez l'Harmattan, disponible aussi en version numérique (www.harmattan.fr).

lundi 6 août 2018

Jourde et le symptôme Millet

J'ai déjà à plusieurs reprises évoqué ici-même la rubrique de Pierre Jourde dans Bibliobs (http://bibliobs.nouvelobs.com). Jourde n'est pas un personnage consensuel, et peut-être est-ce pour cela que ses propos font mouche, et il met avec bonheur le doigt et la plume sur quelques symptômes de l'époque. Ainsi donc dans son billet de cette semaine évoque-t-il l'entretien accordé à Jacques Henric de Art Press par Richard Millet.
On sait que Millet est, ou était, un des tout meilleurs écrivains français contemporains, et qui plus est un excellent éditeur (Deux Goncourt en cinq ans, J. Little et A. Jenni) ; il a vu se lever contre lui, suite à un très provocateur Eloge littéraire d'Anders Breivik, chroniqué dans ce blog en 2012, une fatwa bienpensante emmenée par Annie Ernaux et JMG Le Clézio, qui stigmatisaient "un pamphlet fasciste" (ils en ont et le droit et les arguments) et demandaient surtout la fin de ses responsabilités chez Gallimard, qu'il ne soit plus publié et qu'il ne publie plus les autres. Ce qu'ils ont finalement obtenu, condamnant Millet à une "mort sociale" après une "mort symbolique"...
Il ne s'agit pas ici, ni chez Jourde, de défendre les propos de Millet, qui continue d'ailleurs à s'enferrer, et encore moins ses idées ; comprendre la différence entre un fasciste et un conservateur chrétien un peu déjanté est au-dessus des capacités ou du moins de la volonté de certains. Il s'agit juste de constater, comme le fait Jourde, que la répression au cours de l'Histoire était le fait du pouvoir qui, au nom du Bien (la famille, la religion, la Patrie...) exerçait cette répression. Depuis la fin du XXème siècle, ce sont souvent des intellectuels eux-mêmes, qui toujours au nom du Bien (progrès, humanisme, antiracisme, féminisme, diversité, etc..., voir la liste complète chez Le Clézio) veulent interdire d'autres intellectuels. Et ce sont des auteurs, souvent mélanchonistes, qui réclament des procès de Moscou pour interdire les galeux : l'Histoire bégaie.
Mais Jourde démonte aussi l'argumentation un peu (?) parano de Millet, et démontre que tout ce qui est populaire aujourd'hui n'est pas forcément mauvais, de même que jadis on compta un certain nombre de médiocrités. Le véritable enjeu, en tout domaine, est celui de la qualité contre la facilité. Et Jourde de conclure son article : "Richard Millet se trompe de combat. Ce n'est pas une raison pour le lyncher".
Une fois lu ce résumé sommaire, je vous invite à aller sur Bibliobs jeter un oeil sur la rubrique "Confitures de culture"de P.J. Son auteur n'y proclame pas de vérité révélée ni des certitudes consommables, mais il règle leur compte à bien des tartuffes...

vendredi 3 août 2018

Après La Fouillade...

Fidèle à lui-même, le Festival du Livre et de la BD de La Fouillade a été une fois de plus un bon moment de rencontre, de convivialité et d'échange, de ventes et d'informations... Organisé par des gens du cru, largement visité par les autochtones, il illustre parfaitement ce que peut être une manifestation culturelle de qualité en milieu rural, sans singer des gesticulations citadines...
Au bilan, deux jours agréables, un accueil remarquable, des organisateurs efficaces et sympas, des échanges intéressants... que peut-on souhaiter de plus ?

mercredi 25 juillet 2018

Festival de La Fouillade (12)

Comme chaque année depuis 21 ans se tiendra l'excellent Festival du Livre et de la BD de

                                          LA FOUILLADE (Aveyron)
                                                     28/29 Juillet

Ce salon, solide référence en matière de BD, reste également un très bon endroit pour les amateurs de littérature. Et, qui plus est, c'est un agréable moment d'accueil, d'affluence, d'ambiance et de complicité...
L'occasion de nous y rencontrer ?

dimanche 22 juillet 2018

Les Saints des derniers jours (suite)

Nouvelle maquette, nouvelle photo,nouvelle parution ! Ce blog, déjà dans sa huitième année, se relooke une fois de plus. Avec donc une nouvelle parution, déjà évoquée et présentée, parue chez l'Harmattan : Les Saints des derniers jours.
Au delà de l'immersion dans la vie culturelle sous l'Occupation, vie culturelle des plus intenses (pour différentes raisons), le livre est une réflexion sur l'engagement, ou le non-engagement, et la morale.
L'approche est littéraire davantage que d'historien (même si les faits sont respectés) et essaie d'éviter les chausse-trappes de la politique, surtout à trois-quart de siècle de distance.
On croisera donc dans ce livre Giono, Aragon, Bernanos, Sartre, Céline, Duras, Aymé et beaucoup d'autres. Aux derniers jours de l'Occupation, certains seront des proscrits, d'autres seront des saints : c'est la logique de la politique et de l'époque. La morale, elle, peinera parfois à s'y retrouver...

mardi 17 juillet 2018

Les Saints des derniers jours



 
 

Paris, 1939-1945. Trois jeunes journalistes vivent la guerre et l'Occupation. Deux s'engagent, dans des bords opposés. Le troisième ne s'engage pas. Pacifiste féru de Bernanos et de Giono, il va puiser dans ses racines aveyronnaises, paysannes et catholiques, les éléments d'un regard critique qui feront de lui un spectateur sans crainte et sans illusion. Une même fidélité à l'idéal et à la morale guide ces trois personnages aux idées différentes à travers ces périodes instables.
202 pages • 19,5 €
EAN : 9782343149561

L'Auteur
Michel POUX est né en Rouergue de racines paysannes. Son écriture se consacre aux hommes dans leurs rapports avec l'Histoire, avec l'Art ou la terre. Elle s'attache à la culture et au quotidien de ces hommes et de leurs lieux. Les Saints des derniers jours est son neuvième ouvrage.

Extraits
« Rien ne prédisposait Clément Fraysse à scruter la vie culturelle parisienne. Il avait vu le jour au printemps 1919 dans une ferme du Rouergue, près de Villefranche, où ses ancêtres trimaient depuis toujours, sans gloire ni tracas particulier. On y travaillait dur, on y priait, on y économisait peu à peu, jusqu'à ce qu'une année mauvaise avale le pécule, et le cycle reprenait. On y vivait, de naissances en deuils, aux prises avec mille vicissitudes mais le plus souvent à l'écart des soubresauts de la politique, à laquelle on n'accordait pas plus d'importance que nécessaire. Pourtant si celle-ci avait rattrapé la vie de Clément, c'était bien avant sa naissance, quand en août 1914 le père se trouva mobilisé à destination de l'Argonne. »

***
« Ce à quoi je croyais, tel le charbonnier, tenait en peu de principes ; un ordre immémorial, catholique et traditionnaliste si l'on voulait, me semblait le mieux à même de régir les rapports entre les hommes. Travail et famille étaient des valeurs qui me convenaient, telles qu'elles avaient nourri mes jeunes années ; j'étais plus réservé quant à la notion de patrie, tant mon père avait hélas illustré les déboires militaristes qui l'accompagnaient souvent. Je ne me serais pas défini comme pacifiste, par modestie et par prudence, pourtant je voyais dans ce mot comme une référence suprême, celle qui interdisait, quel que soit leur sort, aux hommes de s'entretuer. Et à chaque interrogation à ce sujet, je revoyais l'image et j'entendais la prose de Giono. »

***
« Les atrocités du Vercors -ce nom qui pour moi sonnait comme celui de l'auteur clandestin d'un grand livre- et les multiples exactions de la Milice scellaient en deux le monde présent : la bêtise de ces nervis à l'inculture crasse et vide de la moindre pensée avait remplacé et effacé les fulgurances des Drieu, Brasillach et consorts, dont le talent était à présent englouti. Et c'était dans le camp opposé que l'on comptait ceux qui portaient l'intelligence de la France de toujours, qu'ils soient réfugiés à Londres, clandestins à Paris ou combattants dans un maquis de province. »

mercredi 11 juillet 2018

Guillebaud, Tradition, Modernité

On m'objecte parfois, et même assez régulièrement, une tendance à prendre trop souvent le parti de la tradition et à fustiger la modernité, bref à mots couverts d'être un peu réac. Et démontrer que je prends surtout le parti du sens sur celui de la vacuité n'est pas toujours facile à faire entendre à certains...
Dans sa chronique "Réflexion faite" du TéléObs de cette semaine, Jean-Claude Guillebaud s'attarde justement sur la tradition et la modernité, le passé récusé et le présent actuel. "C'est la Tradition en effet, écrit-il, qui cimentait autrefois la collectivité et constituait le lien social nécessaire. Nous lui avons substitué l'Etat moderne, le consumérisme et la culture médiatique (...) Un sentiment de manque l'emporte, de sorte que plus personne n'oserait chanter le refrain de l'Internationale "Du passé faisons table rase... Devant la table rase, nous sommes habités par la peur." Saurait-on mieux dire ?
Il fustige également, à l'inverse, les tentations funestes de restauration, qui ouvrent généralement la voie aux fanatismes et aux totalitarismes. "On ne fait pas revivre -sauf par la force- ce que l'Histoire a dissous." Et, après avoir évoqué avec Pessoa la nécessité d'une modernité nécessaire pour tisser les fils que la Tradition ne pouvait tisser, il cite Paul Ricoeur, celui-ci s'interrogeant sur "la capacité que nos concitoyens ont conservée d'entrecroiser dans une laïcité vivante des héritages aussi divers que ceux reçus du passé judéo-chrétien, de la culture gréco-romaine, de la Renaissance et des Lumières."
Et Guillebaud conclut à ce propos : "Autrement dit, la modernité n'est pas une donnée définitive à laquelle nous serions sommés d'adhérer en faisant table rase ; elle n'est pas comme une armée étrangère, devant laquelle nous serions contraints de capituler, en attendant de collaborer..."
On peut débattre de tout, notamment sur un thème aussi complexe. Mais qu'y a-t-il à rajouter ?

dimanche 8 juillet 2018

Salon du livre d'Arvieu

Autochtones ou vacanciers, amoureux du Rouergue et/ou de lecture, notez bien pour ce 15 Juillet l'excellent

                               22ème Salon du Livre d'Arvieu (Aveyron)
                                                (près de Pareloup)
                                                   de 10 h à 18 h

L'occasion de nous y rencontrer ?

mardi 26 juin 2018

Maigret, contemporain ou presque...

Le polar a toujours été un classique de la littérature populaire. Et c'est souvent à ce titre qu'il a été décrié, car il faut bien reconnaitre que littérature populaire n'est pas toujours synonyme de qualité, et aujourd'hui pas davantage qu'hier.
Il est au moins un auteur qui contredit le propos : Georges Simenon, avec bien sûr sa série des Maigret. Lui même parlait des Maigret comme de la semi-littérature, ses autres oeuvres se voulant plus exigeantes. Pourtant, avec le recul, on lui reconnait désormais que même ses polars étaient ce qu'on peut appeler de la vraie littérature, et notamment une part de la vie des hommes à son époque.
J'ai relu ces derniers temps les onze titres recensés dans Les essentiels de Maigret, paru il y a quelques années chez Omnibus. Et je confirme que la "semi-littérature" de l'époque n'a rien à envier à beaucoup d'auteurs contemporains très respectables. L'univers feutré du commissaire, son environnement qu'on a tendance à voir en noir et blanc, ses émotions discrètes (moins réacs qu'on ne l'a dit à propos de Simenon), ses personnages, très travaillés, en rupture de ban ou carrément marginalisés, les complexités familiales ou sociales, tout cela vous fait lire.
Mais il faut bien reconnaitre que le personnage de Maigret n'est pas, loin s'en faut, contemporain, et ne saurait répondre au prototype moderne de l'enquêteur protestant et écolo qui sévit désormais. Et qui plus est, horresco referens, Maigret piccole : une bière, ou deux, ou trois, chaque fois qu'une émotion particulière l'assaille ; un verre de blanc, ou deux, ou trois, à chaque interrogation ; un verre de fine (rarement plus, reconnaissons-le) quand il faut marquer le moment. Ca ne le rendrait d'ailleurs pas impopulaire, mais la morale ambiante, qui n'a pas grand-chose à voir avec ce que pense le vulgum pecus, l'interdirait à tout éditeur doué de raison commerciale...
Raison de plus pour savourer cet acquis de la littérature française.

mardi 19 juin 2018

Lecteurs de sensibilité

Restons dans la veine du billet précédent. Saviez-vous qu'il existe des "lecteurs de sensibilité" ? Non pas des sensibilités de lecteur, ça c'est aussi vieux que l'écrit, mais bien des lecteurs de sensibilité. S'agit-il de lecteurs dotés d'une sensibilité spécifique, s'interroge l'incrédule, ou des gens sensés "lire" cette sensibilité ? Toujours est-il qu'il existe des groupes, soi-disant représentatifs d'une "sensibilité" -entendez une communauté- qui lisent un livre en projet, et qui selon qu'ils agréent, ou non, ce projet décident de la parution ou du pilonnage de l'ouvrage. C'est aussi simple que cela.
Pas besoin d'être un gourou du marketing pour comprendre la motivation de l'éditeur qui soumet son projet ; ou même pour l'auteur dudit projet, qui entend puiser parmi ces avis de quoi "parfaire" son oeuvre... Pas besoin non plus d'être anthropologue pour comprendre l'instrumentalisation communautariste qui va censurer (si vous disposez d'un autre mot, je suis preneur...) la production littéraire. De tout temps celle-ci n'a existé, lorsqu'elle était de qualité bien sûr, qu'en privilégiant la création et le courage, voire la transgression, au détriment du marketing consensuel et vendeur. Imagine-t-on H. Beecher-Stowe interroger les esclavagistes avant d'écrire La Case de l'Oncle Tom ? Steinbeck demander leur avis aux propriétaires terriens avant Les raisins de la colère ? Mauriac tâter les avis de la bourgeoisie bordelaise ?
Au delà de cette dimension politique, il y a peut-être plus grave encore, c'est la dictature émotionnelle et parfaitement immature qui prévaut désormais : la où l'adulte réfléchit, globalise, relativise, contextualise (en un mot discrimine, pouvait-on dire il n'y a pas si longtemps) l'enfant réagit avec ses tripes du moment, et rarement en connaissance de cause. J'évoquais ici même il y a peu ce livre des éditions Milan, On a chopé la puberté, livre qui fût pilonné à la demande de 148 000 féministes pétitionnaires, alors que l'ouvrage culminait à 4 000 ventes...
Pour l'heure, la pratique est nord-américaine, mais on sait qu'il faut de moins en moins de temps à la vieille Europe pour bénéficier des avancées étatsuniennes. Vieille Europe qui a elle-même ses usages, plus ou moins larvés, qui aboutissent au même résultat. L'insipide gagne du terrain, et avec lui le littérairement correct.

mercredi 13 juin 2018

Un patrimoine mal Loti

Vous n'êtes pas sans savoir que le Loto du Patrimoine, initié par Stéphane Bern, a retenu 18 projets de rénovation de lieux de patrimoine. Parmi ceux-ci, la maison de Pierre Loti à Rochefort en Vendée : c'est d'ailleurs là que devrait se rendre Emmanuel Macron pour célébrer le Loto. Même si l'étoile de Pierre Loti a un peu pâli depuis ses funérailles nationales en 1923, l'auteur de Pêcheurs d'Islande ou de Ramuntcho demeure un classique de la littérature française de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. Qu'un Président de la République rende ainsi hommage à la fois à un auteur grand voyageur et au patrimoine pouvait sembler sympathique.
Las ! Les écrivains qui voyageaient au XIXème siècle et qui écrivaient à ce sujet auraient dû se méfier, et prévoir qu'un gros siècle plus tard leurs écrits seraient soumis à la rétroactivité de la morale du XXIème. Loti écrivait sur les Turcs, les Juifs, les Arméniens comme on le faisait en ce temps-là, avec des mots de ce temps-là, avec les situations de ce temps-là. Et cela ne plait pas aux thuriféraires de l'anti-racisme d'aujourd'hui, et les hautes consciences morales que sont l'Union des Etudiants juifs, le Conseil des Organisations arméniennes ou ce qu'il reste de SOS-Racisme regrette le choix d'Emmanuel Macron et entendent empêcher la restauration du musée de celui qui fût aussi, rappelons le au passage, un vrai dreyfusard. Que s'écroule sa maison.
On ne s'attardera pas sur les motivations de ces "antiracistes"-là, unilatéralement autoproclamés et prompts à faire feu de tout bois pour interpréter l'Histoire de France, fût-ce au prix de contorsions anachroniques, et la faire commencer avec leur venue au monde. Mais on s'alarmera quand même de leur perpétuelle volonté d'interdire à tout va, dès lors que quelque chose ne leur convient pas...

mercredi 6 juin 2018

Y a pas de quoi rire...

Le même jour, le grand quotidien de la région Occitanie, La Dépêche du Midi, a relaté deux affaires qui (pré)occupent nos tribunaux, dont on connait le surmenage, les sous-effectifs et toussa. 
La première affaire est jugée à Agen : on a vu un quidam, possesseur d'un cheval, grimper derrière celui-ci sur un seau, et s'agiter bizarrement pendant une demi-heure, aux dires des témoins qui l'ont dénoncé. Lui peine à convaincre en disant qu'il répétait un numéro de voltige, toujours est-il qu'il est inculpé de "sévices sexuels sur un animal"... Le cheval a-t-il porté plainte ? non, mais il est des institutions et des "militants" (du latin militare) qui savent ce qui est bien et ce qui est juste...
Non loin de là, à Cahors, l'affaire est encore plus grave : un immonde adulte de 45 ans a abusé, toujours sexuellement, d'une jeunesse de 14 ans. "Qu'on me le chasse, qu'on me le fouille, et qu'on me luy coupe les couilles." eût clamé Blot de Chauvigny au siècle XVII. C'était peut-être une solution, malheureusement la chose n'était pas possible : l'adulte est une solide rombière, et l'outragé un garçon. Le garçon a-t-il porté plainte ? que nenni, il montra même une certaine assiduité à revenir chez l'outrageuse jusqu'à ce que sa famille (sa mère ?!) s'en aperçoive... Hashtag balance ta truie ?
Alors voilà : le temps n'est pas loin où quand deux hominidés (pour prendre le cas le plus courant) sexués homme et femme auront la bagatelle en tête ils seront bien inspirés d'amener avec eux leurs avocats, qui au pied du lit surveilleront, noteront, vérifierons, mesurerons, prélèverons... La sexualité est une chose trop grave pour qu'on la laisse aux sentiments ou aux turpitudes.
On aura compris que l'intimité ne survivra pas au droit, un des nouveaux noms de la morale. Surtout quand s'en mêlent, en vrac, diverses minorités auto-proclamées opprimées. Et, entends-je déjà, pourquoi deux individus ? pourquoi pas trois, ou quatre, ou plus ? Et pourquoi un homme et une femme ? Pourquoi pas deux, ou trois, ou quatre hommes ? Pourquoi pas deux, ou trois, ou quatre femmes ? Pourquoi pas avec Biquette la chevrette ? Helmuth le berger allemand ? Porcinet tout rose ? L'âne Martin ? Ou avec notre cheval agenais ? Et puis, pourquoi le mariage pour tous ne serait-il pas vraiment pour tous ? Hein, pourquoi ?
J'arrête avant d'ajouter mon nom à la rubrique des palais. Mais mettre en parallèle sémantique Droits de l'Animal et Droits de l'Homme expose à des choses bien moins rigolotes. Quant à la sexualité, est-il encore possible de la considérer comme affaire de gens responsables que rien, ni aucun texte, n'oblige à se justifier ? L'intimité déjà évoquée est une chose dépassée, quand l'exhibitionnisme est la meilleure source de buzz ; mais c'est désormais l'Altérité qui est rejetée : pourquoi l'autre aurait-il le droit d'être différent de moi, clame le contemporain...

jeudi 31 mai 2018

Lacombe Lucien, un demi-siècle après...

Voilà quelques semaines, alors que je finalisais, comme on dit aujourd'hui, les derniers détails avant parution de mon dernier ouvrage -dont je vous entretiendrai très bientôt- une chaine de télévision, je ne sais plus laquelle, programmait Lacombe Lucien, film de Louis Malle sorti en 1974. Heureux hasard, vous comprendrez pourquoi...
Peut-être se souvient-on de la polémique que généra la sortie du film, dans une France encore très gaulliste. Louis Malle, fort de son vécu et aidé de Modiano pour le scénario, y montrait un jeune paysan quercynois, dont la famille a été malmenée par la guerre et qui, très frustre et en mal de reconnaissance, veut s'engager dans le maquis. On le trouve trop jeune et peu fiable, et on l'éconduit. Il va alors s'engager dans le camp opposé, la Gestapo française : l'envie d'action prime sur les idées, et il va au plus offrant en matière de reconnaissance...
Bien sûr, en 1974, quand le mythe d'une France unanimement résistante vit ses dernières heures mais reste encore entretenu par le pouvoir, le propos fait scandale. Louis Malle s'exilera définitivement aux Etats-Unis. Aujourd'hui, près d'un demi-siècle plus tard, le recul historique rend justice à l'oeuvre -et au courage- de Louis Malle, au moins sur le plan artistique.
Ce thème de l'engagement, ou du non-engagement, dont la nature, sinon l'orientation, tient parfois à peu de choses, est au coeur de mon ouvrage à paraitre, chez l'Harmattan dans les jours qui viennent...

lundi 28 mai 2018

De mai à mai

Etait-il décent de parvenir au terme de ce mois de mai sans consacrer le moindre propos à ce dont on nous rabat les oreilles depuis plusieurs mois, c'est bien sûr la célébration (davantage qu'une commémoration !) du cinquantenaire de Mai 68 dont je veux parler ? Oh oui, c'eût été décent ! Et même très convenable. Mais comme il y a pléthore de titres, de niveau variable et d'orientations diverses...
Le moins intéressant n'est pas le livre de Denis Tillinac qui, dans la posture qu'on lui connait d'ordinaire, a écrit un anti-68 (Mai 68, l'arnaque du siècle, chez Albin Michel) ; pour parcellaires que soient ses analyses et pour facile que soit la critique cinquante ans plus tard, il a le mérite de tempérer l'enthousiasme du camp d'en face. Son parti-pris idéologique est parfois caricatural mais il dégonfle quelque peu l'emphase avec laquelle on commente, ou même on réécrit les évènements.
Il me semble (mais j'avais onze ans à l'époque) que Mai 68 fut surtout le point d'acmé des états d'âme des sixties en France, où l'on préfère toujours le fantasme d'une mauvaise révolution à une bonne réforme aboutie. Pour le reste, que ce soit sur le fond (bien des "acquis" de 68 sont antérieurs, comme la pilule en 67) ou sur la forme (à quoi servent des barricades quand la police n'est plus à cheval ?) les évènements furent un exutoire assez creux dont chacun pensera ce qu'il veut.
Certes, ils furent la rencontre entre diverses aspirations (culturelles, matérielles, sociétales) et agglomérèrent un temps (sans les fédérer) les luttes étudiantes, ouvrières et paysannes. Il semble par contre assez folklorique de vouloir faire un parallèle avec d'éventuels "mouvements de protestations" de mai 2018 : 68 était un moment où il y avait du grain à moudre (la croissance était là) et de l'envie (le souvenir de la guerre restait prégnant), et tout était réuni pour aspirer à un autre monde, dans un esprit offensif. Aujourd'hui il n'y a de luttes que défensives, pour protéger des acquis souvent corporatistes. C'est la différence et elle est plus que fondamentale.
Alors, que l'on voit dans Mai 68 une arnaque ou une explosion de vie, une honte ou un joyeux foutoir, il fallait que Mai 68 eût lieu. Mais une chose est sûre : le bilan de ce monde cinquante ans plus tard n'en est pas plus joyeux...

vendredi 18 mai 2018

Nobel, peste et choléra

On pardonnera à ce blog son humeur buissonnière des dernières semaines, manque d'assiduité largement imputable aux complexités de l'Administration française. Mais passons : il est encore temps de revenir sur la non-attribution du Prix Nobel de Littérature 2018, ou plutôt son renvoi à 2019, pour cause, selon la mode, de scandale sur fond de harcèlement sexuel dans l'environnement de l'Académie Nobel. Dans la surenchère de flagellation intro-punitive qui anime notre vieux monde, et encore plus le Nouveau, les protestants suédois ont marqué un point.
Plus léger et plus proche de nous, l'affrontement Schiappa-Véron, quelque chose comme un combat entre une peste et un choléra. Rappelons les faits d'armes de cette guerre picrocholine : notre fringante secrétaire d'Etat s'est jugée de nature a donner une leçon de grammaire, en stigmatisant "la fête à Macron" de La France Insoumise. "La fête de Macron eût été plus correct. Penser que les classes populaires ont besoin d'une langue française dégradée pour s'y reconnaitre, c'est les mépriser".
L'argument me parait se tenir. Mais tel n'est pas l'avis d'une linguiste (?), agrégée de lettres modernes, obscure mais insoumise auto-proclamée. Celle-ci rétorque, avec une certaine suffisance, que "la fête à Macron n'a pas le même sens", ce qui ne doit pas échapper à grand monde, et que "la langue populaire est un trésor et non une dégradation". Ah.
La première partie de son twitt répond à côté, mais après tout c'est le b.a.ba de la com de mauvaise foi ; quant à la deuxième partie, elle pose, selon une réthorique bien connue, que l'usage a forcément raison et vaut davantage que la règle, démocratie oblige. Un peu comme les psychiatres russes de la grande époque démontrant que si vous n'étiez pas heureux dans un système qui était forcément (par définition) épanouissant, c'était vous qu'il convenait de soigner...
Mais peut-être extrapole-je. 

mardi 24 avril 2018

Hemingway sur le tard...

Ernest Hemingway est un monstre : que l'on aime ou que l'on n'aime pas ce qu'il écrit, sa présence s'impose toujours avec puissance. Et c'est encore plus vrai dans le dernier titre publié, en 1986, post-mortem donc.
Le Jardin d'Eden est un ouvrage inachevé, qui n'ajouta rien à la gloire de l'auteur ; faute d'avoir pu être retravaillé par celui-ci avant parution, il présente toutes les imperfections de ce type de situation, répétitions, passages ratés, faiblesses en tous genres. La trame en elle-même est déjà un peu capillotractée : un auteur et sa jeune épouse, en lune de miel dans les années 30 sur la côte méditerranéenne, voient leur histoire tourner au ménage à trois, sur fond d'amours fusionnelles et saphiques. L'argent et l'alcool coulent en cascades, et Hémingway se met narcissiquement en scène dans son personnage. Pas une page sans apéritif ou mention gastronomique, si tant est que ce terme soit approprié aux moeurs alimentaires américaines.
Seulement voilà, c'est Hemingway, et même lorsqu'il se bat laborieusement avec une trame un peu foutraque, il sait parler du Tavel ou de la cuisine méditerranéenne comme personne ! Et on retrouve, admirables, la carrure, la force et la sensualité du monstre...

jeudi 12 avril 2018

Falaise des fous : impressions à chaud

Falaise des fous, c'est le dernier titre de Patrick Grainville, désormais académicien ; ce roman imposant est paru au Seuil, et ses 643 pages vous assurent un plaisir durable, autour d'une écriture ambitieuse, pas toujours facile mais prenante, érudite et exigeante, dans un style que la production littéraire contemporaine n'illustre que de plus en plus rarement.
On y suit deux parallèles enchevêtrées, entre d'une part une trame de roman avec ses héros fictifs; et d'autre part le déroulé du temps qui passe de 1870 à 1930... Le fil rouge de la narration tient dans l'aventure des impressionnistes en Normandie, avec les Monet, Courbet, Degas, Manet, Pissarro et les autres, mais aussi les écrivains et les artistes de la période, qui tous deviennent personnages d'une Histoire qui enchaine ses guerres, ses affaires et ses drames divers. On y retrouve l'écriture de Grainville, vivante et sensuelle, avec son cortège de démesure, de métaphores, d'images, de puissance charnue.
 Pour être complet, on pourra regretter, même si on admet la fresque romanesque qui est le luxe d'un romancier, certaines simplifications vis-à-vis de l'Histoire ou  de la politique ; on pourra surtout s'agacer de commentaires trop contemporains, politiquement trop corrects et prompts à enfoncer des portes ouvertes depuis longtemps. Bref trop décontextualisé, comme l'était le dernier Goncourt. Mais peut-être est-ce nécessaire de nos jours, pour prétendre à un succès populaire, de servir des plats chauds et pré-mâchés.
Cela étant, le livre devrait plaire à ceux qui aiment la peinture, la littérature ou l'Histoire : si vous aimez les trois, vous n'apprécierez que davantage. Je pense que l'on reparlera du livre vers les mois d'octobre et de novembre : pas pour le Goncourt, Grainville l'ayant déjà obtenu en 1976, mais on devrait le retrouver nominé pour d'autres récompenses, pour peu que le Seuil le promeuve un peu... En attendant, bonne lecture.

jeudi 5 avril 2018

Le répountchou nouveau est arrivé !

C'était la saison, me direz-vous ! Mais après sa belle rencontre avec le public et après une conséquente réimpression par les éditions Vent Terral, le livre se propose à nouveau à tous les amateurs de gastronomie, de nature, de ruralité et de littérature !
Un extrait du dossier de presse :

Le « répountchou » nouveau est arrivé !
Après le succès du printemps dernier, la vedette du bartàs, authentique best-seller régional, est à nouveau disponible sur nos talus et dans les rayons de nos libraires.

Le « répountchou » qu'es aquò ? C'est une plante emblématique d'Occitanie, qui revient à chaque printemps le long des routes et des haies, où, par goût ancestral, les amateurs cueillent ses pousses qu'ils savoureront, agrémentées d'œufs et de lardons.
La réimpression de l'ouvrage qui lui est consacré, illustre l'attachement à cette plante et son enracinement profond dans la culture des pays d'oc, pourtant il reste encore l'objet de nombreuses méprises et confusions. Aussi lo Reponchon, c'est son nom occitan, ou Tamier commun, c'est son nom français que beaucoup ignorent, mérite bien cet ouvrage qui lui est consacré : avec sa cueillette et les différents aspects de la plante (racine, liane, jeunes pousses, feuilles, fleurs, baies et graines). Mais aussi les confusions fréquentes, l'usage, la cuisine, la dégustation, etc.
Une approche vécue et sensible, qui se veut aussi scientifique et botanique, avec, son histoire, sa cuisine, ses dangers et ses vertus médicinales mais aussi avec les croyances qui lui sont attachées, faisant de lui le personnage mythique d'un territoire, au cœur de la société et de la ruralité traditionnelle et contemporaine. Une cinquantaine de photos illustrent cette plante qui est la seule en Europe de la famille de l'igname.

mardi 27 mars 2018

André Dupuy, adishatz l'amic

C'est avec sa modestie habituelle qu'André Dupuy s'en est allé, voilà quelques jours. Pourtant son travail et son oeuvre mériteront bien plus que la discrétion qui accompagnent sa disparition.
Ce fils de paysans de Lavit (82) se découvrit très tôt gascon et occitan et décide à seize ans de se faire historien. Les hasards de la vie en ce temps là firent obstacle à la poursuite des études, ce qui ne l'empêcha pas de devenir dès 1965 le premier éditeur occitan indépendant, avec Lo libre occitan ; il publia notamment les Contes de Bladé, Lo libre de Catoia de Boudou, Nové granet de Gélu, Tibal lo garrel de Delluc... Excusez du peu.
L'affaire tourna court au bout de quelques années, mais l'oeuvre se poursuivit avec L'Histoire chronologique de la civilisation occitane, ou La petite encyclopédie occitane, et bien d'autres titres qui à défaut d'être adoubés par l'establishment universitaire rencontrèrent un large public. L'âge venant, il se refit éditeur avec La Lomagne pour demain, qui depuis vingt ans publie Les cahiers de la Lomagne et fait un remarquable et large travail d'études.
L'oeuvre accomplie est immense, et je ne doute pas que, au moins en Gascogne, elle ne soit reconnue à sa juste valeur. Quant aux qualités humaines de ce petit homme pétillant et érudit, tous ceux qui l'ont connu savent qu'elles étaient de celles que l'on rencontre rarement, y compris le courage pour relater l'Histoire passée et contemporaine de Lavit. Peut-être ne lui manquait-il que les défauts que notre époque demande pour ce que l'on nomme réussir.
Je l'avais rencontré dans ma jeunesse, à propos de l'un de ses livres, puis revu à la faveur de mes années passées en Lomagne. Je l'avais revu plus récemment, et durablement, dans un contexte professionnel. Il était de ceux qu'on ne pouvait qu'aimer, et qu'on ne pourra oublier. Ses livres, que j'ai sous les yeux prennent du coup, au milieu de ma tristesse, une dimension particulière. Adishatz, l'ome...

jeudi 22 mars 2018

F.X. Testu : D'esprit, d'estoc et de taille !

Il est des moments de plaisir durables, comme par exemple ce livre de François-Xavier Testu, "Le bouquin des méchancetés et autres traits d'esprit", paru chez Bouquins/Robert Laffont : 1184 pages d'humour et d'esprit, de férocité aussi, et finalement d'allégresse.
Ce livre récréatif est plein d'érudition, ce qui ne gâte rien ; il recense les vacheries que des générations ont pu proférer sur leurs contemporains. Propos méchants ou narquois, rarement tendres mais complices. La férocité ne vaut, ou ne fait mouche, que si elle est drôle. Il n'y a pas ici ces biles crachées ou ces narcissismes écorchés qui nourrissent les invectives que s'envoient parfois de nos jours des chroniqueurs en mal de buzz. Ce sont des saillies de l'esprit, davantage que de la méchanceté ; des assauts d'esprit polémique, davantage que de l'animosité.
Glanées entre les siècles XVI et XX, en Europe et ailleurs, ces formules hilarantes sont généralement assassines. La férocité d'un Clémenceau ou d'un Churchill est bien connue, et il est difficile d'y survivre. Alors, bien sûr, dans ces 1200 pages certaines piques s'avèrent d'un niveau inégal, comparées au ton et au niveau général, mais l'ouvrage se lit d'un trait, oserait-on dire s'il n'était aussi imposant.
Ce livre est aussi celui d'une époque, et l'auteur le saisit très bien, qui n'était pas obligatoirement consensuelle. Les protagonistes qui s'emplâtraient pouvaient d'ailleurs être les meilleurs amis du monde. Mais même dans ce cas, il serait à présent suicidaire de lancer de telles flèches acérées, quand la communication la plus racoleuse impose à tout propos de se couvrir la tête de cendres...
Le passé permettait de s'invectiver férocement, mais avec élégance et, in fine, beaucoup d'humanité et d'altruisme. Aujourd'hui on hashtag-balance sous le manteau : voilà pourquoi notre époque est grande ! Mais si on croit encore aux forces de l'esprit et aux coups de pied au cul qui ne se perdent pas,il reste permis d'espérer dans ces fustigations flamboyantes...

jeudi 15 mars 2018

Jourde, les noirs, le carnaval

Dans la série "Modernités hasardeuses", autrement nommée "Marchons joyeux sur ces admirables pavés qui nous mènent à l'Enfer", ou bien "Ce qu'un peu de culture pourrait éviter", voici ce qu'il advint il y a peu au carnaval de Dunkerque. Au beau milieu de diverses manifestations était programmée une "Nuit des noirs", incitant à se grimer en noirs. On sait que le principe du carnaval, ainsi qu'en atteste toutes les coutumes, vise à brouiller les identités et les classes, sous les masques, et qu'à ce seul titre il est un modèle de transgression et, de la part des "grands", un modèle d'humilité...
Ce principe fondateur semble ignoré du CRAN (Comité représentatif des associations noires) et d'une "Brigade anti-négrophobie" (ça existe) qui, tout à leur business, n'ont pas laissé passé l'occasion de déposer plainte pour racisme, sur fond de "crime contre l'humanité"...
Il est délicat de commenter ce genre d'initiative, d'une part parce que, hélas, le racisme existe et doit être plus que jamais combattu, et d'autre part parce que l'exercice est juridiquement périlleux. Je renverrai donc à un formidable billet de Pierre Jourde sur son blog à Bibliobs (bibliobs.nouvelobs.com) il y a quelques jours (février 2018, "Les noirs contre le carnaval") : "Je rougis de la bêtise des gens dont je partage les idées" clame-t-il avant une brillante démonstration sans complaisance à propos de diverses initiatives de ce type d'association, dont certaines sont plus méprisantes pour les noirs que Tintin au Congo... Notamment quand ils militent pour écarter la culture générale, prétendument discriminante, des concours d'entrée dans la Fonction publique. C'est dommage, un peu de cette culture générale les aurait éclairé sur la signification du carnaval.
La virulence de Jourde à l'égard de sa cible est féroce, et serait risquée pour un autre que lui. On sait qu'il est père de deux enfants métis, et même d'ascendance très cosmopolite, et son cri du coeur est aussi un sursaut pour que ses enfants soient respectés en tant qu'hommes et non en tant que matière première à disposition de quelques professionnels de l'intimidation, aussi bêtes que méchants. Le propos de Jourde redonnera du souffle à ceux qui entendent combattre le racisme par idéal et non par intérêt.

jeudi 8 mars 2018

Vue du foie et vue de l'esprit

Nous évoquions il y a peu Madame Buzyn et sa croisade anti-vin. Depuis, le Président de la République a jugé utile, en plein salon de l'agriculture, de témoigner de sa consommation, midi et soir, du sang de Bacchus. Madame Buzyn a même essayé de mettre un peu d'eau... dans son eau, ce qui ne change rien au goût de celle-ci, donc passons. Mais ces derniers jours une cohorte de médecins professionnels de l'addiction remonte au créneau pour soutenir leur ministre de tutelle, seule selon eux au milieu d'un gouvernement qui "nie les évidences scientifiques", et qui de ce fait est plus ou moins coupable de 50 000 morts par an, dont il ne pourra dire "qu'il ne savait pas"... A ce propos, il serait intéressant de totaliser le nombre de victimes, par an, de toutes les sources de mort, maladies et accidents, car on aurait vraisemblablement un chiffre dépassant la population française...
La tribune des mandarins est joliment intitulée "Vue du foie, le vin est bien de l'alcool". Nul ne contestera l'affirmation, mais je fais d'instinct partie des gens qui, à tout prendre, préfèrent une vue de l'esprit à une vue du foie, les capacités pensantes de ce dernier restant à établir. Plus sérieusement, sauf à considérer la démarche des carabins comme purement opportuniste ou instrumentalisée, on la trouvera attristante. 
On peut en effet, en sacrifiant à Bacchus, boire du vin ou boire de l'alcool. La nuance est affaire de culture ou de civilisation, ou d'esprit, choses également immatérielles et peu scientifiques qui ne peuvent être dans l'air du temps ; mais on sait que l'Histoire et la Science ne font pas toujours bon ménage, les paris sont donc ouverts...

lundi 5 mars 2018

Un livre en moins, une victoire en plus...

Continuons, à la suite du billet précédent, dans la série des modernités ambiantes. Ainsi donc, 100 000 pétitionnaires.e.s viennent d'avoir la peau d'un livre qui ne leur plaisait pas. Les éditions toulousaines Milan avaient publié, dans une de leurs collections "Les pipelettes", un fascicule "On a chopé la puberté", autour de quatre personnages de BD sensé.e.s représenter quatre gamines aux prises avec la puberté. Le livre, dont le seul titre illustre le ton, entendait dans un style décalé et humoristique dédramatiser cet instant de la vie.
Que croyez-vous qu'il arriva ? En trois jours, plus de 100 000 signataire.e.s, nous dit-on, ont fait céder Milan, reprochant le sexisme des propos. "Ta poitrine ressort davantage si tu te tiens droite", et quelques autres aphorismes du même tonneau où le second degré fait plus qu'affleurer, signifiaient pour les harpie.e.s internautes "être à disposition sexuelle" ! Personnellement, et même si je ne corresponds pas vraiment aux critères du public visé, j'ai eu davantage l'impression d'une rigolade de cour de récré que d'un ouvrage d'enseignement ou de maintien...
Peut-être pourrait-on faire confiance à nos enfant.e.s, qui ne sont pas idiot.e.s, et parler de la puberté sans adopter des postures de pintade. Certes, il faudrait de la part des parent.e.s, et des mères en particulier, un minimum de maturité, et cela tend à se perdre. Par ailleurs, l'humour et le style du bouquin ne le prédisposaient pas à la postérité, et on sait que le second degré est très risqué dans notre moderne époque. Mais le plus grave est bien que, au nom de grands principes et de droits souverains fantasmés, quelques dizaines de milliers d'imbécile.e.s, faute d'identité affirmée et d'arguments pour débattre, ont sauté sur l'occasion de pilonner un livre.

mardi 27 février 2018

Moi aussi...

... ou, si vous préférez en anglais, Metoo. J'ai renoncé à l'expression anglophone qui, par les temps présents et vu ce qui va suivre, relèverait davantage de la provocation que de la sinécure. Comme souvent, c'est de la concomitance entre deux actualités que vient l'inspiration de ce billet : d'une part un week-end largement consacré à l'audition de vieux vinyles, et d'autre part un dossier dans l'Obs de cette semaine consacré à la "révolution féministe". Dossier au demeurant intéressant, qui rappelle que beaucoup d'évidences d'aujourd'hui faisaient il y a peu l'objet de combats violents, et que l'histoire des femmes n'a jamais été simple. Dossier intéressant aussi lorsqu'il évoque les dernières affaires, de Hulot jusqu'à Weinstein (qu'on me pardonne le parallèle, il n'est pas de moi...). J'ai déjà écrit que certaines réflexions gagneraient à être abordées sous l'angle du rapport sexe-pouvoir, autant que sous l'angle homme-femme. Il y a Weinstein et beaucoup d'autres, certes, parfaitement ignobles, il y a aussi les starlettes spontanément vautrées sur les plages cannoises... et de grâce qu'on n'évoque pas l'éternelle soumission au désir masculin !
Bref, j'ai été frappé par le regard porté par diverses historiennes sur cette histoire des femmes, elles qui auraient du savoir mieux que quiconque la nécessité de re-contextualiser les choses. On analyse les siècles passés, ou les autres civilisations, avec les émotions d'une bourgeoise occidentale du XXIème siècle... Pour en arriver à mes vinyles, j'ai retrouvé des disques (Cançons de femnas, de Rosine et Martine de Peire) de chansons occitanes de "femmes", du Moyen-Age jusqu'au XIXème. On y trouve les éternels problèmes de femme, d'épouse, de fille, de mère... Mais elles ne "balancent" pas, peut-être parce que ça n'aurait pas à l'époque présenté beaucoup d'intérêt(s), et surtout parce qu'elles s'adaptent, avec vigueur, humour ou bon sens, et elles se révèlent moins soumises que ne le voudrait notre lecture contemporaine. Etaient-elles heureuses ? Je l'ignore, mais pas moins semble-t-il que nos passionaria d'aujourd'hui ! Alors on se prend à rêver, face à tout ce qui reste inacceptable et qu'il convient de changer, d'une approche un peu dédramatisée et un peu plus "cultivée". Oh, certes pas avec mesdames Schiappa ou de Haas, dont c'est le gagne-pain et à qui ce serait beaucoup demander, mais je pense que beaucoup de féministes sont, du moins en privé, dans une approche plus constructive.
Quant à certaines postures ou argumentations, on se demande ce que l'avenir en retiendra, dont on sait qu'il peut être cruel...

jeudi 15 février 2018

Michel Déon, chevalier errant...

Dans la série "Mauvais temps pour les écrivains classés à droite", après Céline et Maurras, nous en arrivons à Michel Déon. On sait que ce dernier est décédé à Galway il y a quelques mois, et que depuis sa fille essaie de poser ses cendres dans un cimetière parisien. "Impossible !, avait décrété la mairie de Paris : il n'est pas mort à Paris." Rappelons que juridiquement rien en effet n'oblige une municipalité à héberger un mort qui n'a pas décédé sur son sol ou qui n'y a pas de concession familiale. Mais rien non plus ne l'empêche de le faire.
Après un long imbroglio administratif, on croyait l"affaire classée lorsque Bruno Juillard, premier adjoint et chargé de la culture, fut mis au courant, se déclara surpris et annonça que l'affaire serait réglée en 10 jours. Ce délai ne fut pas nécessaire avant que Anne Hidalgo en personne ne claironne que non Michel Déon ne serait pas inhumé à Paris, et qu'il n'y aurait pas d'exception. L'obscure conseillère en charge des cimetières crut bon d'en appeler au premier article de la Déclaration des Droits de l'Homme.
Rarement cet argument excessif n'aura été employé à plus mauvais escient ; certes les hommes naissent libres et égaux, théoriquement du moins, mais tous ne meurent pas grand écrivain et Académicien français. Et alors qu'on croyait être de mauvaise foi une lecture politique de la chose, voilà que cela s'avère de plus en plus évident. Car il existe des précédents, comme par exemple Susann Sontag, née et morte à New-York en 2004, et enterrée à Montparnasse sous Delanoé. Il est vrai que celle-ci, politiquement et culturellement, représentait à peu près l'antithèse de Déon.
Alors peut-on, sans être un passionné de Déon, et encore moins de ses idées, le reconnaitre comme un écrivain majeur de la deuxième partie du XXème siècle et se rappeler qu'il fut académicien ? A l'heure où Paris se veut ville ouverte pour tout migrant (qu'on saura bien enterrer, le cas échéant) et où les pouvoirs s'acharnent sur les écrivains morts, on pouvait, me semble-t-il,  lui souhaiter de trouver dans la capitale où il vécut 50 ans quelques centimètres carrés pour un repos éternel... Mais il est vrai que la vie éternelle n'est pas garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme.

mardi 13 février 2018

La vérité est dans le vin...pas dans le vaccin !

Dans la famille Buzyn, que vous demandiez Madame (Ministre de la Santé) ou Monsieur (Directeur Général de l'Inserm, cette institution qui, voilà une dizaine d'années, annonçait pouvoir détecter les futurs délinquants dès l'âge de 3 ans) vous êtes sûr de tomber sur un(e) croyant(e) scientifique forcené(e). La culture du doute n'est pas le genre de la maison, et 73 vaccins en convaincront les nourrissons. Mais là n'est pas le propos.
Mme Buzyn proclamait ces jours-ci que "le vin est un alcool comme les autres". Merveilleuse rhétorique scientifique, qui vous fait passer pour un blaireau si vous ne souscrivait pas à la démonstration du premier crétin matérialiste. Elle dénonce l'action des lobbies (ce qui, dans la bouche de quelqu'un qui a quasiment théorisé la double appartenance responsabilités publiques et présence dans les laboratoires privés, ne manque pas de saveur) et entend bien combattre lobbying et aliénation festive...
Je ne sais pas ce qu'est "un alcool comme un autre" ; et je ne connais pas la culture qui accompagne le wisky ou la vodka, par exemple. Mais ramener le vin a un taux d'alcool est soit d'une inculture crasse doublée de mauvaise foi, ce que j'imagine mal, soit d'un fanatisme hygiéniste lourd de sens. Car enfin, si le vin est historiquement, de par ses vertus d'échange et de partage, un excellent "lubrifiant social", selon la formule d'un responsable professionnel, il est aussi partout sur la planète une référence millénaire dans les cultures des régions de production et au delà. Depuis les noces de Cana, c'est toute une symbolique chrétienne et par la suite un art de vivre. "Enivrez-vous de vin, enivrez-vous de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !" clamait Baudelaire. Philippe Sollers a raison de stigmatiser cette modernité qui entend interdire le constat que le corps éprouve ses sensations différentes selon qu'il boit ou non, voire interdire que le corps ait des sensations tout court. Plaisir personnel et culture sont des choses à proscrire : l'homme nouveau sera rationnel et mécanique, connecté et roseau non pensant.
Il fait rarement bon de parler d'histoire et de culture à un scientifique. Allons comme message à notre ministre laissons la parole à Omar Khayyâm, poète et savant du temps où l'Iran était encore la Perse :
          Je bois, et qui boit a comme moi la raison saine
          Si je bois c'est pour Lui pardonnable fredaine.
          Dieu dès le premier jour savait que je boirai.
          Puis-je, en ne buvant pas, rendre sa science vaine ?

jeudi 1 février 2018

Affaire Maurras : ...perseverare diabolicum !

Il y a peu (voir mes billets de janvier) la réédition des pamphlets de Céline passait à la trappe, sous la pression des professionnels de l'antisémitisme et de l'antiracisme. J'ai écrit ce que j'en pensais, et du côté contre-productif de la chose. Comme si une confirmation était nécessaire, voilà qu'une deuxième affaire vient corroborer la précédente. Voilà donc qu'on exclut Charles Maurras du Livre des commémorations 2018, parce qu'il est... Maurras !
Les latinistes se faisant rares, précisons ce que signifie "commémorer" : mentionner, rappeler, évoquer... Et afin d'éviter de futures affaires comme celle de Céline en 2011, on avait alors décidé de renommer le Livre des "célébrations" en Livre des "commémorations"... Las ! les mêmes vestales veillaient au temple d'une certaine posture, bien décidés à éradiquer de l'Histoire cette figure encombrante. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : personne (et surtout pas les historiens pilotant ce fameux Livre) n'envisageait évidemment de fêter l'antisémite d'extrême-droite, mais on entendait souligner l'importance et l'influence de cet intellectuel, de la fin du XIXème siècle jusqu'à la deuxième guerre mondiale. De Gaulle disait : "Maurras est devenu fou à force d'avoir raison". Car Maurras ne fut pas que le chantre du nationalisme intégral ; il fut l'un des derniers penseurs de culture classique, félibre de langue d'oc, et de la critique de la Révolution française jusqu'à la place des femmes, en passant par les identités régionales, sa pensée fut féconde et reste actuelle, et pas seulement pour l'ultra-droite. J'y reviendrai peut-être dans un prochain billet.
En attendant, dépassons le pauvre affrontement droite-gauche (ceux qui critiquent la célébration de Che Guevara sont les mêmes qui défendent la présence de Maurras, et inversement...) pour en revenir à l'essentiel : on entend réécrire l'Histoire, ce qui reste un syndrome typique de tous les totalitarismes. Staline découpait les photos pour en effacer ses opposants éliminés ; désormais on empêche par la pression médiatique et culpabilisante d'en prononcer le nom et les oeuvres. Et qu'on le veuille ou non Maurras, même tardivement frappé d'indignité nationale (à juste titre) n'en demeure pas moins un des phares de la pensée de l'époque, et comprendre le présent suppose de ne pas réécrire le passé, y compris dans ses aspects les plus détestables. A ce rythme là, je ne donne pas longtemps à Voltaire pour disparaitre, lui qui fût aussi un peu antisémite et largement exploiteur d'esclaves... Et tant d'autres. Quant à nos élites, si on écarte ceux qui furent, par exemple, jeunes maoïstes, jeunes fascistes, satyres, pédophiles notoires, goujats envers les femmes, évadés fiscaux, alcooliques ou je sais quoi d'autre, gageons que nos commémorations à venir tiendront sur un recto de format A4.
Il se trouve que j'ai commis trois romans autour de la deuxième guerre mondiale, et de ce qui l'a précédé ; ce travail passe par une étude de l'extrême-droite de la première partie du XXème siècle. C'est de ce travail sur l'Histoire (qu'il convient de re-contextualiser) que je me prévaux aujourd'hui pour écrire ces lignes, à propos d'une affaire qui pourrait être secondaire si elle ne me semblait prémonitoire de cette volonté de décider de ce qui peut exister et ce qui n'y a pas droit...
"Ils assassinent les morts !", clamait un poilu dans les Croix de bois. Aujourd'hui, les permanents de l'antiracisme et de l'antisémitisme, dans leur déni, s'acharnent sur des écrivains morts. Il est vrai qu'il n'y a pas de risque d'antisémitisme plus concret...