mardi 31 décembre 2019

Fête(s), de Hemingway à nos jours...

Il ne vous aura pas échappé que nous sommes en période de Fêtes. Plaisant ou obligé, le rituel revient chaque année, mais de plus en plus chargé d'un doute existentiel : l'optimisme forcé trouve vite ses limites, même chez le consommateur le plus malléable.
Il se trouve que le hasard, à qui il arrive de bien faire les choses, me fait terminer mes lectures de l'année par Hémingway et son "Paris est une fête", livre ramené de chez un bouquiniste des quais de Seine. Hem y évoque ses années parisiennes dans les années 20, entre la Closerie des lilas et la Coupole, années d'une vie désargentée mais correcte, vie difficile à concevoir dans le Paris d'aujourd'hui.
Bien sûr, on sait que les souvenirs de jeunesse, lorsqu'ils sont relatés trente ans plus tard, peuvent se parer d'une auréole nostalgique quelque peu idéalisée. Il n'empêche. La vie d'Hemingway (et de bien d'autres) dans ce Paris est celle d'un correspondant de presse et écrivain aux maigres revenus, mais c'est une vie vivante, comme on dit en occitan ; la bohème n'est pas misérable ni systématique et elle garde à l'auteur de quoi vivre, fût-ce au prix de privations et de beaucoup de travail, et de quoi créer. L'époque était antérieure à la société de consommation et aux contraintes de nos régimes obligatoires. Mon propos n'est pas d'affirmer que "c'était mieux avant", mais d'apprécier certaines avancées de la modernité depuis ce XXème siècle jusqu'à nos jours.
Y était-on "heureux", selon l'injonction contemporaine ? Je ne sais pas, mais on y était plus riche de toutes sortes de choses, et plus vivant. Mais le mieux est de lire le livre.
Sur ce, bonne(s) fête(s)...

samedi 21 décembre 2019

Vacillantes Lumières

Evoquer les Lumières équivaudra bientôt, sans doute, à faire référence à ces animations électriques d'hiver, souvent très seyantes mais terriblement technologiques. Quant aux vraies Lumières, ce phénomène européen des XVIIème et XVIIIème siècles qui visait à la libération et à l'esprit critique, tout le monde s'accorde à dire qu'elles sont de plus en plus mal en point, secouées par les dogmes de toute nature que des minorités contemporaines décidées entendent imposer à tous.
Pourtant, on peut aussi s'inquiéter des errements d'un certain rationalisme forcené qui semble le dernier rempart de certitudes agonisantes et surtout tout aussi dogmatiques. On a connu récemment les offensives, aussi agressives que simplistes, menées contre l'homéopathie (déremboursement en attendant l'exclusion des facultés), la psychanalyse (voir mon billet du 31 octobre), les médecines alternatives (grosse opération récente de la DGCCRF), etc... Avec toujours ce reproche "d'allégations thérapeutiques non justifiées" et le sempiternel "manque de preuves scientifiques".
Sans être dupe des enjeux corporatistes sous-jacents, ces offensives apparaissent de plus en plus structurées et organisées sous la vertu du Rationalisme, pour qui, selon Wikipédia, "le réel ne serait reconnaissable qu'en vertu d'une explication". En latin de cuisine, cela signifie que ce qui n'est pas explicable scientifiquement n'existe pas : je me souviens de la guerre menée jadis contre l'acupuncture, affaire de charlatans, jusqu'à ce que l'Académie de Médecine se fende d'un piteux "On ne sait pas comment ça marche, mais ça marche...". Gageons que le futur nous réserve d'autres retournements de ce genre.
A une condition, que la Raison qui fait les Lumières ne meurent pas étouffée par ses enfants devenus fous. La psychanalyse, par exemple, et on le lui a assez reproché, a été un des fers de lance des avancées de la Raison, en démontant bien des dogmatismes, humains, religieux ou politiques... Les stupidités énoncées ces temps-ci par ses contempteurs au nom de la science sont proprement consternants de mauvaise foi (celle du rationalisme) ou d'inculture.
Je sais bien que ce rationalisme là est post-moderne, dévoyé, forcené, totalitariste... et qu'il convient plus que jamais de ne pas faire d'amalgame avec la Raison émancipatrice des Lumières. Mais voir un courant de pensée, long de trois siècles et demi, dériver au nom de cette pensée vers les mêmes pratiques qu'il dénonçait à ses débuts laisse mal augurer de l'avenir. On peut se demander si ces vacillantes Lumières, déjà en veilleuse, éclaireront encore bien longtemps...

jeudi 12 décembre 2019

Statistiques culturelles

L'époque est à la statistique, qui vous démontrera scientifiquement, mieux que n'importe quel sophisme, ce qu'il en est vraiment des choses. Ainsi le Baromètre Voltaire, une officine dont j'ignorais jusqu'ici l'existence et qui semble spécialisée dans les rapports entre les jeunes et la langue française, a mesuré les qualités orthographiques de ces jeunes en fonction de leurs inclinations musicales.
Et là, tenez-vous bien, on apprend que les amateurs de musique metal écrivent mieux que les adeptes du rap ou du reggae. Je m'en serais un peu douté, mais c'est bien de le voir mesuré. Je connais un tout petit peu, et par personne interposée, l'univers du metal, et je constate le rap : on retrouve là les "deux blocs" sociétaux chers à Jérôme Sainte-Marie, ou si l'on préfère le bloc du haut et celui du bas. 
On apprend aussi dans la même étude qu'écrivent mieux ceux qui s'adonnent  à Twitter que ceux qui se répandent sur Facebook. C'est désormais prouvé, tout comme le fait que les filles font moins de fautes que les garçons.
Et une dernière stat pour la route : il y a plusieurs dizaines de millions d'individus dans le monde, dont nous dit-on 9 % des Français, qui pensent que la terre est plate.
D'ores et déjà Bonnes Fêtes, la croissance occidentale compte sur vous.

vendredi 6 décembre 2019

Bons vivants, bons et vivants

Le Point du 05 décembre, derrière sa couverture "Qui veut la peau des bons vivants?", consacre un joli dossier aux "diktats qui menacent l'art de vivre à la française". Je n'aime pas trop cette dernière expression, qui fait un peu nostalgie réac-franchouillarde, mais les identités gastronomiques de nos provinces cumulées n'étaient pas dépourvues de sens ni de culture. Certes, les temps changent, l'activité physique aussi, et il n'est d'ailleurs pas difficile de manger avec plaisir 5 fruits ou légumes par jour, pour peu qu'on sache un peu cuisiner. Quant aux orgies pantagruéliques, pour beaucoup de français elles tenaient davantage du mythe que du quotidien.
Il y a pourtant, pour s'en tenir au sens, quelque chose d'inquiétant dans ces injonctions à la mode, souvent contradictoires d'ailleurs, qui déferlent comme une offensive idéologique : contre le vin, la viande, le gras... Que les modes de vie contemporains appellent certaines modérations est une chose, que cette nécessité se traduise en une hygiène culpabilisatrice et un puritanisme quasi-religieux en est une autre, quelque peu mortifère.
On apprend dans ce dossier quelques habitudes de politiques ou de dirigeants. Et si en regard de cela on observe un peu les pratiques managériales ou les postures politiques de ceux-ci, on constate que ces habitudes alimentaires en disent long sur l'humanisme supposé des uns et des autres. Idem, et de façon plus anecdotique mais culturellement significatives de la culture de l'époque, la ruée des nouveaux députés Lrem sur le coca et le red-bull à la buvette de l'Assemblée nationale, ou l'éradication du vin par A. Buszyn dans son ministère :"Du point de vue du foie, le vin est un alcool comme un autre", proclamait-elle il y a peu... Certes, lui répondra-t-on, comme du point de vue de Ripolin, une toile de Manet est une peinture comme une autre. Misère de misère...
On se souvient de Philippe Muray évoquant jadis le sinistre Pr Got en "marionnette terrorisante du bien-être". Ou de ce propos de Jean-Jacques Rousseau, pourtant protestant et pas du genre patachon : "J'ai toujours remarqué que les gens faux sont sobres et la grande réserve de la table annonce assez souvent des moeurs feintes et des âmes doubles".
Que faut-il craindre de cet hygiénisme forcené qui méprise la vie vivante ? Je suis de la génération qui a connu ce qu'on osait encore nommer Banquet républicain. Les banquets, on le comprend, ont disparu. Quant à la République...

mardi 3 décembre 2019

Macron : culture et dépendance, sans surprise.

Le Point du 28 novembre dernier consacre un long article au bilan de la politique culturelle du Président de la République à mi-mandat. Une réalité s'impose : alors qu'il promettait beaucoup, Macron n'imprime pas. Ce candidat qu'on nous avait (sur?)vendu comme cultivé et qui entendait faire de la culture un levier de sa politique sociale affiche un bilan plutôt transparent : sa fibre culturelle ne ruisselle pas.
En est-il le seul responsable ? Pas sûr... Il y eut d'abord au ministère F. Nyssen, prometteuse elle aussi mais pas faite pour le poste (voir ce blog en mai 2017) ; puis le pâle F. Riester, qui en est encore à protester de sa légimité (voir ce blog en novembre 2018). "Il me manque un Jack Lang !", dit E. Macron : lui arrivait à faire fonctionner son administration.
Erreur de casting, ou faiblesse des impétrants ? Le problème me parait se situer à un autre niveau : la culture du Président, trop classique et pas assez avant-gardiste, bref pas assez à gauche, n'est pas celle qui prévaut dans les arcanes du ministère post-languien. Etranger à ce milieu, il le court-circuite volontiers (Bern, Georgelin...). Quant aux conseillers culturels, leur immaturité politique génèrent des initiatives calamiteuses. Et la duplicité et l'arrogance des cabinets ne fluidifie rien, comme l'a raconté F. Nyssen après son départ. A l'autre bout de la chaine, le fameux Pass-culture ne fait pas recette là où il est expérimenté et se révèle aussi consumériste qu'on pouvait le craindre (voir ce blog en mai 2017). De l'efficacité de ce ministère...
Les fidèles de ce blog conviendront donc qu'il n'y a rien de surprenant à ce bilan... Même s'il ne sortira pas de l'ombre tutélaire de Mitterrand, la personne de Macron laisse encore espérer une ambition. En attendant du concret ? oui, hélas parfois. Exemple la restauration en grande pompe du château de Villers-Cotterêts, présenté comme emblématique : c'est là que fut signé le fameux Edit interdisant l'usage officiel des langues de France au profit du seul français.