mardi 27 février 2018

Moi aussi...

... ou, si vous préférez en anglais, Metoo. J'ai renoncé à l'expression anglophone qui, par les temps présents et vu ce qui va suivre, relèverait davantage de la provocation que de la sinécure. Comme souvent, c'est de la concomitance entre deux actualités que vient l'inspiration de ce billet : d'une part un week-end largement consacré à l'audition de vieux vinyles, et d'autre part un dossier dans l'Obs de cette semaine consacré à la "révolution féministe". Dossier au demeurant intéressant, qui rappelle que beaucoup d'évidences d'aujourd'hui faisaient il y a peu l'objet de combats violents, et que l'histoire des femmes n'a jamais été simple. Dossier intéressant aussi lorsqu'il évoque les dernières affaires, de Hulot jusqu'à Weinstein (qu'on me pardonne le parallèle, il n'est pas de moi...). J'ai déjà écrit que certaines réflexions gagneraient à être abordées sous l'angle du rapport sexe-pouvoir, autant que sous l'angle homme-femme. Il y a Weinstein et beaucoup d'autres, certes, parfaitement ignobles, il y a aussi les starlettes spontanément vautrées sur les plages cannoises... et de grâce qu'on n'évoque pas l'éternelle soumission au désir masculin !
Bref, j'ai été frappé par le regard porté par diverses historiennes sur cette histoire des femmes, elles qui auraient du savoir mieux que quiconque la nécessité de re-contextualiser les choses. On analyse les siècles passés, ou les autres civilisations, avec les émotions d'une bourgeoise occidentale du XXIème siècle... Pour en arriver à mes vinyles, j'ai retrouvé des disques (Cançons de femnas, de Rosine et Martine de Peire) de chansons occitanes de "femmes", du Moyen-Age jusqu'au XIXème. On y trouve les éternels problèmes de femme, d'épouse, de fille, de mère... Mais elles ne "balancent" pas, peut-être parce que ça n'aurait pas à l'époque présenté beaucoup d'intérêt(s), et surtout parce qu'elles s'adaptent, avec vigueur, humour ou bon sens, et elles se révèlent moins soumises que ne le voudrait notre lecture contemporaine. Etaient-elles heureuses ? Je l'ignore, mais pas moins semble-t-il que nos passionaria d'aujourd'hui ! Alors on se prend à rêver, face à tout ce qui reste inacceptable et qu'il convient de changer, d'une approche un peu dédramatisée et un peu plus "cultivée". Oh, certes pas avec mesdames Schiappa ou de Haas, dont c'est le gagne-pain et à qui ce serait beaucoup demander, mais je pense que beaucoup de féministes sont, du moins en privé, dans une approche plus constructive.
Quant à certaines postures ou argumentations, on se demande ce que l'avenir en retiendra, dont on sait qu'il peut être cruel...

jeudi 15 février 2018

Michel Déon, chevalier errant...

Dans la série "Mauvais temps pour les écrivains classés à droite", après Céline et Maurras, nous en arrivons à Michel Déon. On sait que ce dernier est décédé à Galway il y a quelques mois, et que depuis sa fille essaie de poser ses cendres dans un cimetière parisien. "Impossible !, avait décrété la mairie de Paris : il n'est pas mort à Paris." Rappelons que juridiquement rien en effet n'oblige une municipalité à héberger un mort qui n'a pas décédé sur son sol ou qui n'y a pas de concession familiale. Mais rien non plus ne l'empêche de le faire.
Après un long imbroglio administratif, on croyait l"affaire classée lorsque Bruno Juillard, premier adjoint et chargé de la culture, fut mis au courant, se déclara surpris et annonça que l'affaire serait réglée en 10 jours. Ce délai ne fut pas nécessaire avant que Anne Hidalgo en personne ne claironne que non Michel Déon ne serait pas inhumé à Paris, et qu'il n'y aurait pas d'exception. L'obscure conseillère en charge des cimetières crut bon d'en appeler au premier article de la Déclaration des Droits de l'Homme.
Rarement cet argument excessif n'aura été employé à plus mauvais escient ; certes les hommes naissent libres et égaux, théoriquement du moins, mais tous ne meurent pas grand écrivain et Académicien français. Et alors qu'on croyait être de mauvaise foi une lecture politique de la chose, voilà que cela s'avère de plus en plus évident. Car il existe des précédents, comme par exemple Susann Sontag, née et morte à New-York en 2004, et enterrée à Montparnasse sous Delanoé. Il est vrai que celle-ci, politiquement et culturellement, représentait à peu près l'antithèse de Déon.
Alors peut-on, sans être un passionné de Déon, et encore moins de ses idées, le reconnaitre comme un écrivain majeur de la deuxième partie du XXème siècle et se rappeler qu'il fut académicien ? A l'heure où Paris se veut ville ouverte pour tout migrant (qu'on saura bien enterrer, le cas échéant) et où les pouvoirs s'acharnent sur les écrivains morts, on pouvait, me semble-t-il,  lui souhaiter de trouver dans la capitale où il vécut 50 ans quelques centimètres carrés pour un repos éternel... Mais il est vrai que la vie éternelle n'est pas garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme.

mardi 13 février 2018

La vérité est dans le vin...pas dans le vaccin !

Dans la famille Buzyn, que vous demandiez Madame (Ministre de la Santé) ou Monsieur (Directeur Général de l'Inserm, cette institution qui, voilà une dizaine d'années, annonçait pouvoir détecter les futurs délinquants dès l'âge de 3 ans) vous êtes sûr de tomber sur un(e) croyant(e) scientifique forcené(e). La culture du doute n'est pas le genre de la maison, et 73 vaccins en convaincront les nourrissons. Mais là n'est pas le propos.
Mme Buzyn proclamait ces jours-ci que "le vin est un alcool comme les autres". Merveilleuse rhétorique scientifique, qui vous fait passer pour un blaireau si vous ne souscrivait pas à la démonstration du premier crétin matérialiste. Elle dénonce l'action des lobbies (ce qui, dans la bouche de quelqu'un qui a quasiment théorisé la double appartenance responsabilités publiques et présence dans les laboratoires privés, ne manque pas de saveur) et entend bien combattre lobbying et aliénation festive...
Je ne sais pas ce qu'est "un alcool comme un autre" ; et je ne connais pas la culture qui accompagne le wisky ou la vodka, par exemple. Mais ramener le vin a un taux d'alcool est soit d'une inculture crasse doublée de mauvaise foi, ce que j'imagine mal, soit d'un fanatisme hygiéniste lourd de sens. Car enfin, si le vin est historiquement, de par ses vertus d'échange et de partage, un excellent "lubrifiant social", selon la formule d'un responsable professionnel, il est aussi partout sur la planète une référence millénaire dans les cultures des régions de production et au delà. Depuis les noces de Cana, c'est toute une symbolique chrétienne et par la suite un art de vivre. "Enivrez-vous de vin, enivrez-vous de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !" clamait Baudelaire. Philippe Sollers a raison de stigmatiser cette modernité qui entend interdire le constat que le corps éprouve ses sensations différentes selon qu'il boit ou non, voire interdire que le corps ait des sensations tout court. Plaisir personnel et culture sont des choses à proscrire : l'homme nouveau sera rationnel et mécanique, connecté et roseau non pensant.
Il fait rarement bon de parler d'histoire et de culture à un scientifique. Allons comme message à notre ministre laissons la parole à Omar Khayyâm, poète et savant du temps où l'Iran était encore la Perse :
          Je bois, et qui boit a comme moi la raison saine
          Si je bois c'est pour Lui pardonnable fredaine.
          Dieu dès le premier jour savait que je boirai.
          Puis-je, en ne buvant pas, rendre sa science vaine ?

jeudi 1 février 2018

Affaire Maurras : ...perseverare diabolicum !

Il y a peu (voir mes billets de janvier) la réédition des pamphlets de Céline passait à la trappe, sous la pression des professionnels de l'antisémitisme et de l'antiracisme. J'ai écrit ce que j'en pensais, et du côté contre-productif de la chose. Comme si une confirmation était nécessaire, voilà qu'une deuxième affaire vient corroborer la précédente. Voilà donc qu'on exclut Charles Maurras du Livre des commémorations 2018, parce qu'il est... Maurras !
Les latinistes se faisant rares, précisons ce que signifie "commémorer" : mentionner, rappeler, évoquer... Et afin d'éviter de futures affaires comme celle de Céline en 2011, on avait alors décidé de renommer le Livre des "célébrations" en Livre des "commémorations"... Las ! les mêmes vestales veillaient au temple d'une certaine posture, bien décidés à éradiquer de l'Histoire cette figure encombrante. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : personne (et surtout pas les historiens pilotant ce fameux Livre) n'envisageait évidemment de fêter l'antisémite d'extrême-droite, mais on entendait souligner l'importance et l'influence de cet intellectuel, de la fin du XIXème siècle jusqu'à la deuxième guerre mondiale. De Gaulle disait : "Maurras est devenu fou à force d'avoir raison". Car Maurras ne fut pas que le chantre du nationalisme intégral ; il fut l'un des derniers penseurs de culture classique, félibre de langue d'oc, et de la critique de la Révolution française jusqu'à la place des femmes, en passant par les identités régionales, sa pensée fut féconde et reste actuelle, et pas seulement pour l'ultra-droite. J'y reviendrai peut-être dans un prochain billet.
En attendant, dépassons le pauvre affrontement droite-gauche (ceux qui critiquent la célébration de Che Guevara sont les mêmes qui défendent la présence de Maurras, et inversement...) pour en revenir à l'essentiel : on entend réécrire l'Histoire, ce qui reste un syndrome typique de tous les totalitarismes. Staline découpait les photos pour en effacer ses opposants éliminés ; désormais on empêche par la pression médiatique et culpabilisante d'en prononcer le nom et les oeuvres. Et qu'on le veuille ou non Maurras, même tardivement frappé d'indignité nationale (à juste titre) n'en demeure pas moins un des phares de la pensée de l'époque, et comprendre le présent suppose de ne pas réécrire le passé, y compris dans ses aspects les plus détestables. A ce rythme là, je ne donne pas longtemps à Voltaire pour disparaitre, lui qui fût aussi un peu antisémite et largement exploiteur d'esclaves... Et tant d'autres. Quant à nos élites, si on écarte ceux qui furent, par exemple, jeunes maoïstes, jeunes fascistes, satyres, pédophiles notoires, goujats envers les femmes, évadés fiscaux, alcooliques ou je sais quoi d'autre, gageons que nos commémorations à venir tiendront sur un recto de format A4.
Il se trouve que j'ai commis trois romans autour de la deuxième guerre mondiale, et de ce qui l'a précédé ; ce travail passe par une étude de l'extrême-droite de la première partie du XXème siècle. C'est de ce travail sur l'Histoire (qu'il convient de re-contextualiser) que je me prévaux aujourd'hui pour écrire ces lignes, à propos d'une affaire qui pourrait être secondaire si elle ne me semblait prémonitoire de cette volonté de décider de ce qui peut exister et ce qui n'y a pas droit...
"Ils assassinent les morts !", clamait un poilu dans les Croix de bois. Aujourd'hui, les permanents de l'antiracisme et de l'antisémitisme, dans leur déni, s'acharnent sur des écrivains morts. Il est vrai qu'il n'y a pas de risque d'antisémitisme plus concret...