mercredi 29 mars 2023

Réécrire Agatha Christie... et pourquoi pas Mein Kampf ?!

J'évoquais récemment les avatars de Roald Dahl ou Ian Fleming, dont les ouvrages subissaient la loi des sensitive readers, c'est-à-dire étaient réécrits avec une couche de ripolin politiquement correct. Ces jours-ci on apprend que l'oeuvre d'Agatha Christie dont, déjà, les Dix petits n... avait été retitré, va être nettoyée de tout ce qui pourrait déplaire à un lecteur contemporain. C'est la volonté de l'éditeur HarperCollins, soucieux d'être le plus inclusif possible, on se demande bien pourquoi...

A chaque nouvelle de ce genre, certains media ressortent le débat sur la création littéraire et sa fonction ; pour les uns, l'oeuvre serait sacro-sainte et pour les autres elle aurait vocation à évoluer en même temps que l'Histoire. Il y aurait beaucoup à dire sur ce supposé débat, mais tenons-nous en à l'essentiel : ce qui caractérise, a minima, la littérature c'est bien de livrer un petit peu de l'histoire humaine, à travers une histoire, un individu, un évènement.

Partant de là, l'oeuvre ne peut être touchée, sous peine de réécrire l'Histoire : un livre, fut-il raciste, antisémite, homophobe ou ce que l'on voudra, reflète précisément l'époque où il est écrit, et c'est en ce sens qu'il en témoigne. On peut bien sûr l'accompagner d'un commentaire. Mais il n'a pas à être modifié pour le rendre acceptable aux yeux du lecteur qui le lira, des décennies ou des siècles plus tard. Sinon on court le risque de voir bientôt un abruti quelconque proposer d'adoucir Mein Kampf pour le rendre ainsi supportable à notre XXIème siècle.

mercredi 22 mars 2023

Les Hussards, mythe et réalité

Depuis trois quarts de siècle, le monde littéraire évoque régulièrement l'épopée du groupe des "Hussards", ainsi nommés par Bernard Frank en référence au Hussard bleu de Roger Nimier, reconnu comme le chef de file du groupe supposé.

Pour tout savoir sur eux, on peut se référer à l'essai de Marc Dambre, Génération Hussards, histoire d'une rebellion en littérature (Perrin) : 400 pages denses, touffues, pour un ouvrage pas toujours fluide mais bien nourri. Et d'où il ressort que le groupe n'a jamais existé. Certes il y a bien les trois historiques -Nimier, Laurent, Blondin, parfois agrémentés de Déon- qu'on pourrait définir comme "un courant littéraire de droite antigaulliste", et d'autres plus anecdotiques, placés sous le patronage utile mais encombrant de Morand et de Chardonne. Et si ces trois ou quatre mousquetaires, tous de bonne famille et orphelins d'une guerre qu'ils n'ont pas faite, se croisent et se reconnaissent au fil des ans, ils ne se veulent pas un groupe : si Nimier et Blondin sont amis, Laurent n'aime ni l'un ni l'autre. Et Déon vit sa vie.

Sur le plan politique, outre le rejet du communisme et la fidélité à Vichy, voire à l'Action française, il n'y a guère de consistance jusqu'à ce que la politique algérienne de "Gaulle" ne les réunissent tous dans un antigaullisme féroce. Quant à leur réussite, elle tient aussi du mythe. Nimier, disparu prématurément, ne laisse que deux ou trois titres, Laurent connaitra surtout le succès sous pseudonyme avec Caroline chérie, avant son Goncourt en 71 ; Blondin en dehors du magnifique Un singe en hiver laissera surtout une trace de chroniqueur sportif. Au total, quelques bons livres pour une production assez modeste, et beaucoup de journalisme.

Que retenir aujourd'hui de ces fameux Hussards ? Ce fut sans doute, comme l'écrit M. Dambre, une rebellion en littérature, contre le pouvoir de la gauche intellectuelle à la Libération, et le sujet de l'engagement que celle-ci prônait. De l'anticonformisme libertin donc, un style, le sens du dandysme et de la fête, mais cela n'a rien d'exclusif ni ne fait une école littéraire.

On a bien essayé de trouver des héritiers aux mousquetaires, avec Modiano, Besson, Tillinac et d'autres postérités hasardeuses, mais qui ont tous volé de leurs propres ailes et de leur propre talent. Il reste de l'histoire des Hussards une référence historique et culturelle pour l'extrême-droite et un clin d'oeil pour tous ceux qui préfèrent la virtuosité d'un style aux pensums idéologiques, fussent-ils nobélisés. Mais le livre de Marc Dambre confrme bien que le mythe, entretenu dès le départ et amplifié par le romantisme et la mort de NImier, que ce mythe sonne finalement un peu creux.

lundi 13 mars 2023

Poètes aux ordres ?

C'est le mois de mars, c'est le Printemps des poètes, c'est la 25ème édition. Et l'on continue à dérouler l'alphabet pour trouver le thème de chaque édition. Nous en sommes cette année à la lettre F. Comme Frontières. Pourquoi pas, c'est dans l'air du temps.

C'est la comédienne Amira Casar qui en sera la marraine, parce qu'elle a un héritage multi-frontalier, "et qu'elle n'a que faire des frontières", claironne la directrice artistique du Printemps. Encore une fois pourquoi pas, d'autant qu'on imagine mal un parrain s'agrippant à une frontière. Il n'empêche : ça ne déborde pas d'originalité et la manifestation n'a pas encore commencé que l'injonction politique fait son oeuvre.

S'agissant de frontières, on rappellera ici l'excellent ouvrage de Régis Debray, chroniqué en son temps sur ce blog. Cet Eloge des frontières démontrait brillamment l'intérêt de ces limites, qui autorisent l'identité et l'enracinement, et surtout la liberté. Mais même sans débattre des frontières (on pourrait penser que la seule poésie ouvrait unh champ suffisant) on regrettera qu'on s'en tienne à la seule notion douanière de celles-ci, avec un  totem "bon migrant-méchante frontière" digne d'une cour de récré. Mais il ne saurait apparemment y avoir dans nos époques si modernes une manifestation qui ne soit idéologiquement formatée. Certaines idées doivent être bien malades, que l'on veuille les imposer comme non discutables...

mardi 7 mars 2023

Librairies à gogo(s)

Heureusement que notre France est bien pourvue en officines de propagande officielle, qui nous inondent chaque jour de bonnes nouvelles. Sans quoi on finirait par croire bêtement que les temps sont difficiles et anxiogènes, mais non. Ainsi le Centre National du Livre vient-il d'annoncer que l'an de grâce 2022 a vu la création de 142 librairies, ce qui malgré 27 fermetures fait un solde positif de 115. Vous ne l'aviez peut-être pas remarqué, mais l'année 2021 avait déjà produit 140 créations. Et les années 2017 à 2020 entre 60 et 80 par an, avec 20 à 30 fermetures.

Bref, si l'on additionne tout cela et si l'on considère que la moitié de ces créations se fait dans des villes de moins de 15000 habitants, et 25% dans des bourgs de moins de 5000, on devrait trouver une librairie à chaque coin de rue et dans chaque village. J'exagère à peine.

Or n'importe qui peut constater que c'est l'inverse qui se produit, et que la réalié de l'économie de ces commerces est de plus en plus précaire. Certes, les trois-quarts de ces créations bénéficient d'aides diverses, du CNL, de la DRAC ou des régions. Certes, les libraires se contentent de peu, il en est de très dynamiques et leur surimplication peut durer plusieurs années. Mais il n'y a guère de miracle.

Aucune officine officielle ne prendra le risque d'étudier le turn-over des librairies, ni l'évolution de celles qui ont été subventionnées. Que le CNL, à coups de statistiques, veuille vendre et sa soupe et justifier son existence, c'est une chose ; vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes en est une autre...