lundi 28 septembre 2020

Tillinac, retour en Corrèze

 Denis Tillinac s'est éteint voilà quelques jours, bien trop tôt. Comme il est d'usage, il croule sous les hommages, dont certains doivent bien l'embarrasser ; aussi nous ne plussoierons pas, comme on dit aujourd'hui, et retrouverons simplement ce que j'écrivais de lui en février 2012 (Tillinac hussard sur le Toi)...

D. Tillinac est trop agaçant pour que cela n'illustre un certain talent. On connait son côté ronchon, provincial réac ou post-adolescent rebelle à ses contemporains. Son ouvrage à paraitre (Considérations inactuelles, Plon) se veut une lettre aux jeunes d'aujourd'hui.

Certes, il est surprenant de voir D. T. jouer les grand-pères, lui dont la maturité est demeurée très épidermique. Certes, il n'y a parfois rien d'exceptionnel dans certains propos, banalement de droite, anti-Mai 68, anti-psychanalyse, anti-contre-culture, contre les "utopies fanées et infantiles, recyclées en un mélange peu ragoûtant d'hédonisme, de scepticisme et de cynisme". Encore est-il sans doute utile de le dire, même en enveloppant le tout dans un "politiquement correct" bien commode à fustiger.
Certes, ses coups de gueule fleurent souvent une amertume triste d'enfant désabusé. Mais le bougre sait écrire, et sa plume d'une élégante rugosité tranche avec l'époque ; et son discours porte une générosité devenu rare. Si quelques injonctions sonnent parfois comme des slogans : "Sois inactuel et n'écoute personne", "Sois le condottiere de tes désirs, pas leur délégué syndical", ou l'admirable "Les lendemains qui chantent ne savent que des airs militaires", d'autres valent bénédiction : "Edifie ton intériorité comme on construit une vraie maison de pierre. D'abord les murs et le toit (la frontière). Puis la cave (l'inconscient) et le grenier (la mémoire). L'agencement des pièces est secondaire ; la décoration superfétatoire."
Il reste du hussard chez cet homme là, provincial et réac.

mercredi 23 septembre 2020

Stéphane Bern et les bibliothécaires

 Il est bien connu que la petite histoire nous en dit parfois autant que la grande. Il en va de même des petits propos, même si ce ne sont que des paroles verbales, comme notre époque en raffole. Ainsi a-t-on entendu Stéphane Bern, gourou médiatique de la sauvegarde du patrimoine, regretter que d'intéressantes églises de campagne se dégradent dans l'indifférence générale tandis qu'on aménage des médiathèques qui restent vides.

Propos peut-être pas polémiques mais lapidaires et simplistes, on en conviendra, mais peu importe. Ce qui est plus attristant c'est la réponse que les bibliothécaires n'ont pas manqué de lui renvoyer. On aurait pu espérer que ces derniers auraient objecté les bienfaits de la lecture, de la littérature, de l'action culturelle, bref de tout ce qui peut justifier une politique publique, fût-elle volontariste en la matière. Il y avait à dire.

Au lieu de quoi, nos fonctionnaires et contrats aidés ont argumenté qu'ils étaient géographiquement proches de 89 % des français, que 76 % de ceux-ci approuvaient l'existence de ces médiathèques, que 40 %  des plus de 15 ans étaient allés au moins une fois en médiathèque. Bref un plaidoyer purement institutionnel digne d'un communicant de conseiller départemental, vantant des outils qui en dehors de la clientèle captive (merci les écoles) sont sympathiques mais peu valorisés.

Peut-être comprend-on mieux pourquoi ces équipements végètent. Ce ne sont pas les outils qui pèchent, mais les individus qui en ont la charge, dont on peut parfois douter de la créativité, de la motivation, ou tout simplement, comme le montre leur communiqué, du sens de leur mission.

vendredi 11 septembre 2020

Verlaine et Rimbaud, Panthéon décousu...

La blague du moment : une pétition circule, sous la haute bienveillance de Mme Bachelot, pour que le Panthéon, cette cathédrale aujourd'hui laïque dédiée aux grands hommes de Bien, acceuille ensemble les cendres de Rimbaud et de Verlaine.

Certains esprits, probablement mesquins, objectent que la fonction d'un poète n'est pas de s'inscrire dans cette démarche ni dans une morale institutionnelle, et qu'on voit mal, selon les critères d'admission en ce saint lieu, de quoi les poètes pourraient se prévaloir pour entrer là.

D'autres esprits, probablement réacs en plus d'être mesquins, font remarquer que ces deux impétrants, quel que soit leur incontestable génie de poète, furent des parangons d'immoralité polymorphe et que leur entrée seraient une vaste rigolade, y compris aux yeux des intéressés.

Mais ces évidences sont balayées par les pétitionnaires, pour qui l'enjeu est que Verlaine et Rimbaud entrent "ensemble" au Panthéon, c'est-à-dire en tant qu'amants, et ce pour avoir durant les quelques mois de leur tumultueuse liaison enduré l'homophobie, la discrimination et toussa...

Bref, on en est rendu là : deux des plus grands noms de l'Histoire de la poésie française seraient reconnus en tant que... LGBT. Outre le fait qu'on ne trouve de leur part aucune trace de plainte relative à leur sexualité, cette canonisation laïque aurait bien fait rire les amants terribles ; mais leur intrumentalisation en ce début de siècle finissant, avec l'onction de la bénédiction ministérielle, tient plus de l'insulte que de la reconnaissance.

mardi 1 septembre 2020

Fin du Débat.

C'était en 1979. Alors que s'annonçait la fin de la guerre froide, que sur la scène mondiale apparaissaient Reagan, Jean-Paul II, Thatcher ou Khomeini, Pierre Nora et Marcel Gauchet créaient Le Débat. Le but de la revue, portée par Gallimard, visait à perpétuer une tradition française du débat, autre que réduit à la démesure universitaire ou à la réduction médiatique. Claude Lévi-Strauss, Mona Ozouf, Milan Kundera et bien d'autres alimentèrent les échanges.

40 ans ont passé, et le rideau vient de tomber : on jette l'éponge. Le problème parait-il n'est pas tant financier (on aimerait quand même avoir l'avis de Gallimard à ce sujet) que fondamental : il n'y a guère plus de public pour une telle ambition, et notre époque sans pitié est aussi sans perspectives ni aspirations. Désormais la valeur de l'argument dépend surtout de la force de l'éructation d'un bateleur d'estrade, aux oreilles bouchées et à la langue bien pendue. "Les élites dirigeantes sont devenues incultes", assène Gauchet. Certes. Mais hélas le problème me parait bien plus large, quand s'imposent de toutes parts la démagogie et la reductio at hitlerum...

On peut penser ce que l'on veut de la revue, du débat, de l'entresoi ou du consensus. Mais la fin du Débat, avec ou sans majuscule, n'illustre et n'augure rien de bon.