dimanche 26 novembre 2023

Denys Arcand, douce amertume...

 Le réalisateur québécois a 82 ans, un âge où on a le droit de faire des bilans. Voilà déjà quelque temps qu'il a commencé, ne serait-ce que dans ses deux films de référence : Le Déclin de l'empire américain (1986) et Les Invasions barbares (2003), qui sont un peu sommairement dépeints comme illustrant les désillusions de l'esprit de mai 68. Si ces deux films sont souvent, et à juste titre me semble-t-il, considérés comme des chefs d'oeuvre, c'est que à l'humour et à la satire s'ajoutent à la fois une bienveillance et une acuité qui analysent comment un espoir s'est désagrégé en pantalonnade.

On ne sera donc pas surpris qu'à l'occasion de la sortie récente de Testament, son dernier film présenté comme un post-scriptum des deux évoqués ci-dessus, il aborde logiquement, mutatis mutandis, les avatars du wokisme et de la cancel culture, et plus globalement la suite de ce qu'il faut bien appeler la désintégration de la société occidentale. Dans son style habituel, doux-amer, irrévérencieux et moraliste, oscillant entre humour et tristesse, amour et désenchantement, il fustige le néoféminisme, un certain antiracisme, l'hygiénisme ou la communication politique. Et leurs corollaires : représentativité des associations fantoches, fantasme d'immortalité, hystérisation médiatique...

Il n'est certes pas le premier, y compris parmi les gens de gauche. On ne le leur pardonne généralement pas. Pourtant Arcand reste fidèle à lui-même, à son oeuvre, à sa personne. Québécois militant, il reconnait volontiers que les premières nations furent spoliées et colonisées, mais il "préfère les écouter eux que les étudiants en anthropologie". Et il assène très justement que "le mouvement woke n'est pas de gauche, il vient du vieux fonds religieux des Etats-Unis, qui adopte une positions morale supérieure contre laquelle on ne peut pas lutter". Et même si de toute évidence il ne baigne pas dans l'optimisme il ne désespère pas d'un futur sursaut de bon sens.

Evoquant tout cela, Denys Arcand n'est pas dans la politique, a fortiori partisane. Il continue, entre tendresse empathique et courage critique, à commenter les derniers trois-quarts de siècle de l'occident, à travers un mouvement qui passa de l'utopie à l'espoir, de l'espoir au demi-succès, du demi-succès au demi-échec, du demi-échec à la désillusion, de la désillusion à la perversion...

Alors, à lui enfant de la gauche québécoise et soixante-huitarde pas plus qu'à d'autres il ne sera pardonné de s'affranchir du déni prêché par les Pangloss d'une certaine gauche contemporaine. Pourtant la gauche historique du XXème siècle n'a aucun complexe à  avoir face à notre gauchisme prépubère. "Arcand sombre dans l'antiwokisme", assène Le Monde sans surprise. Hommage du vice à la vertu, fermez le ban.

vendredi 10 novembre 2023

Et c'est le numéro 500 !

 Tout vient à point à qui sait attendre, dit-on. Et c'est ainsi que ce billet sous vos yeux est le 500ème... Le 23 mars 2011, un premier billet inaugurait ce blog. Un demi quart-de-siècle plus tard, nous pouvons saluer la pérennité de celui-ci, parfois aisée, parfois poussive, mais le temps a passé et le blog a duré.

Faut-il faire un bilan de cette histoire ? Rien ne l'impose, car c'est au fil des jours qu'elle s'est écrite, faite de critiques de lectures, de commentaires d'actualité, de témoignages autour de mon activité littéraire. Avec me dira-t-on beaucoup de nostalgie atrabilaire, mais, quitte à en rajouter, c'est le pich de ce blog, peut-être moins pessimiste qu'affiché... Avec, s'il fallait avoir un regret, celui de ne pa être toujours en accord avec moi-même, comme disait Marcel Aymé.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? D'une part, sur la période six titres ont vu le jour sous ma plume, depuis Aveyron-Croatie, la nuit (2011), Passeport pour le Pays de cocagne (2012), Mona Lisa ou la clé des champs (2014), Les Saints de derniers jours (2018) et bien sûr le célèbre Le répountchou qu'es aquo ? en 2017.

D'autre part le monde ne va pas mieux, et pas plus en littérature qu'ailleurs : montée de la censure, hystérisation woke ou réac, triomphe de la médiocrité sur les réseaux sociaux, amalgames ou raccourcis comme arguments de débat, arrogance des populismes les plus crasses, rejet de l'altérité, la liste est trop longue pour la poursuivre... Reste quand même la désagréable impression que bien des constats ont été établis, le plus souvent hors micro, mais que rien ne vient laisser espérer une inversion du cours des choses.

Comme écrivait je ne sais plus qui, il ne faut pas se plaindre aujourd'hui d'un temps qu'on pourrait bien regretter demain. Pour autant, je continuerai de m'affranchir, selon le mot de Chesterton, de la dégradante obligation d'être de mon temps.

dimanche 5 novembre 2023

Ecriture inclusive, vote au point.

 C'est peut-être faire beaucoup d'honneur à une plaisanterie, mais l'écriture inclusive mérite qu'on s'en occupe, tant elle commence à pourrir la vue et la vie des gens qui lisent. Outil de combat aux mains d'une minorité groupusculaire, elle surfe sur l'activisme militant, l'appétence des medias pour tout ce qui suscite une émotion et, disons-le, la couardise de certains mouvements politiques. Elle est devenue en tout cas assez agaçante pour que le Président de la République lui-même rappelle son inutilité (Villers-Cotterêts, 30/09/23) et que la droite du Sénat fasse adopter (221 voix contre 82) une proposition de loi visant à l'interdire "si le législateur exige un document en français" : modes d'emploi, contrats de travail, règlements intérieurs, actes juridiques... seraient ainsi protégés des ponctuations ou des pronoms post-modernes. Evidemment, on n'a pas échappé aux habituelles joutes politiciennes, qui feraient rire si elles ne masquaient un certain vide idéologique contemporain : "rétrograde et réactionnaire", "Quand on parle de l'éciture inclusive on parle du chemin vers l'égalité homme-femme", etc... Ah oui ? 

On a pu assister aussi aux atermoiements laborieux de la Ministre de la Culture, écartelée entre les propos de son patron soucieux de résister à l'air du temps sur les points médians, d'une part, et la pression de ces minorités qui phagocytent son ministère, de l'autre...

Reste que le vote du Sénat, dont on peut quand même regretter qu'il faille en arriver là, peut très bien demeurer lettre morte si l'Assemblée Nationale ne s'en saisit pas. Ce qui peut très bien arriver.