jeudi 23 février 2017

Janus Macron

Peut-être est-ce parce qu'il est En Marche qu'il est difficile à suivre... Chacun pensera ce qu'il voudra du postulat d'Emmanuel Macron, de sa revendication d'une parole supposée libre, individuelle et au-dessus des partis, de son rejet des sectarismes fossiles, de ses liens avec la finance, de son expérience du travail, de son obsession de dérèglementer, etc...
Mais qui est Emmanuel Macron ? Est-ce ce télévangéliste de meeting, lisant sur son prompteur avec des accents christiques d'ardentes vacuités ? Est-il le porte-parole d'une mondialisation heureuse, consumériste, individualiste et entrepreneuriale ? Est-ce cet ancien collaborateur de Paul Ricoeur ? Est-il le bras armé de ces élites incapables de comprendre que la vie des sociétés ne se résume pas à l'ubérisation de l'économie ? Est-il ce passionné de littérature qui "ne met rien au-dessus de l'écriture ?", affirmant qu'"il est impossible d'établir un lien entre le réel et la transcendance sans passer par l'écriture"? Est-il un esthète cultivé, ou bien le chantre post-historique de la grande déculturation ?
Durant ces derniers jours, il est celui qui a évoqué un crime contre l'humanité à propos de la colonisation : propos recevables mais calamiteusement exprimés. Il avait auparavant nié la notion de "culture française", lui préférant "des cultures en France" : même ses soutiens évoquent une stupidité liée à la fatigue. A l'inverse, interviewé dans l'Obs de la semaine dernière, il livre un témoignage et une réflexion de haute volée, attestant qu'on peut être Président et cultivé, ce dont le dernier quart de siècle nous avait fait douter.
Alors, Macron est-il le dernier avatar d'un progressisme devenu fou, ou le brillant premier génie d'un univers politique nouveau ? Une chose est sûre : il est capable de penser. Une autre ne l'est pas moins : le monde actuel ne s'y prête guère.

jeudi 9 février 2017

Canteloup, matraque et démocratie

La mode est à présent à ce que l'on croyait révolu depuis les heures des grands procès des dictatures communistes : avouer ses fautes en se couvrant de cendres publiquement. Ce matin jeudi, sur Europe 1, c'est Nicolas Canteloup qui se flagelle : "C'est moi qui mérite un coup de matraque sur les doigts ". Son sketch était "très très très très nul" (sic). Son voisin de studio, le Monsieur Loyal de l'émission, Thomas Sotto, le réconforte : "Je voulais t'embrasser plus fort que d'habitude !". Il parle de "belle chronique" et celui qui la veille trouvait le sketch "consternant"conclut : "Tu es un mec bien ! Bravo à tes auteurs !"...
Mais de quelle sordide vilénie l'imitateur s'était-il donc rendu coupable ? Un jour plus tôt, en relation avec un fait divers à Aulnay (ou un jeune a été violé par la matraque d'un policier) et imitant la voix de François Hollande, il avait osé, entre autres fredaines du même tonneau, "Pour Théo, j'ai rendu possible le mariage gay. Après l'épisode de la matraque, si Théo se découvre des sentiments sur le policier qui lui a introduit la matraque, ils pourront grâce à moi s'épouser". La polémique avait démarré sur le champ.
Alors oui, la vanne est nulle, facile, grasse et vulgaire. Même si faire rire tous les matins demande trop d'inspiration pour être toujours désopilant, il est des commodités à éviter. Cela étant, que lui reproche-t-on ? Si c'est le mauvais goût du propos, fort bien, mais on ne sache point hélas que cela soit interdit, sans quoi des centaines d'animateurs (?) de télé-réalité dormiraient depuis longtemps en prison, Cyril Hanouna en tête.
Sachant que la victime du fait divers d'Aulnay n'était pas offensée, se pourrait-il que ce soit une communauté qui se soit sentie "blessée" ? C'est probable, mais au fond peu importe. On constatera une fois encore que dès lors que quelqu'un n'aime pas l'expression d'un autre, il se déclare volontiers victime et entend faire taire cet autre. S'instille peu à peu ce poison moraliste qui, par la censure ou l'auto-censure, entend définir l'espace de l'expression. Même le bouffon que toléraient les monarques les plus autocrates n'a plus sa place dans la société, pavée de bonnes intentions, dont rêvent certains. Comme je l'ai souvent écrit ici, les formes nouvelles du fascisme seront plus insidieuses que celles du XXème siècle...