mardi 21 décembre 2021

Censures.

Avant d'entrer à pieds joints dans la période des voeux béats, jetons un oeil rétrospectif sur l'année 2021 et plus généralement sur l'un des relents de l'air du temps : le retour de la censure. Non pas l'insidieuse qui s'insinue peu à peu dans la vie du quidam par le biais d'injonctions moralistes, mais la censure brute, la vraie de vrai. Quand je dis retour c'est une façon de parler, car la censure n'a jamais disparu, et il en existe ailleurs de bien pires. Pourtant.

A l'occasion de l'élaboration d'une loi sur les bibliothèques, on entend préserver celles-ci des menaces liberticides et "révisionnistes" : ces établissements relèvant des collectivités territoriales (c'est-à-dire des élus), on estime utile de les protéger des pressions éventuelles de partis politiques ayant le vent en poupe : on voit aisément auxquels pense le législateur, et il n'est pas sûr que l'autre bord soit dans le collimateur.

Car aucun bord n'a le monopole de la censure, il peut être utile de le rappeler. Voir les Etats-Unis ou le Canada, et par conséquent la France à venir. La gauche, ou ce qui en tient lieu, hurle après les intégristes qui attaquent les supports LGBT ; la droite crie sur les autodafés qui visent Astérix, les contes et autres publications, au nom selon elle de l'idéologie woke ou de la cancel culture. Bien sûr, personne ne s'interroge sur les exactions de son propre camp. Il faut dire que l'hystérisation politique est bien alimentée par les réflexes pavloviens de certains groupes de pression, plus sensibles au mot qu'à la chose : on se souvient des suppliantes d'Eschyle, oeuvre d'une grande ouverture, clouée au pilori par le zèle de quelques crétins pré-pubères et boutonneux qui n'y  voyaient qu'un délit (selon leur propre justice) de blackface. Ces jours-ci, E. Macron est taxé de pétainisme pour avoir utilisé l'expression "vent mauvais", déjà usitée par Pétain. Zemmour évoque-t-il le surnom d'Abel Bonnard, ministre vychiste, surnom bien connu de "Gestapette", que certains entendent porter plainte pour homophobie. Trier l'essentiel de l'accessoire semble être au-dessus de la force cérébrale de certains.

On peut toujours relativiser, considérer l'activisme comme minoritaire ou peu représentatif, ou invoquer l'enflure médiatique ; Certes. Mais la tendance de l'époque, de judiciarisations en interdits, est bien à faire taire l'Autre. Et il me souvient que voilà bientôt vingt ans, des manifestations sociales se terminaient par un happening consistant à brûler le livre que venait de publier le ministre. Que valaient le livre et le ministre, je ne m'en souviens plus et peu importe. Mais le fait symbolique de brûler les livres, a fortiori chez des manifestants de gauche, traduisait une impressionnante inculture politique et historique. Et le pire était que ces manifestants étaient... des enseignants.

Oui, les vents sont mauvais.

mardi 14 décembre 2021

Lectures : Pleine terre, de Corinne Royer

Longtemps le livre de Corinne Royer Pleine terre (Actes Sud) fût dans les listes de nombreux prix littéraires, c'est dire l'unanimité qu'il a suscité. Il n'en a finalement remporté aucun, c'est dire qu'il n'était pas formaté pour cela : trop âpre, trop noir, trop tragique.

Ce livre raconte la cavale d'un éleveur aux prises avec l'agriculture moderne, et plus encore avec l'administration qui va avec. Une situation banale mais fatale qui va entrainer une descente aux enfers tragique : l'histoire est tirée de faits réels, tout aussi dramatiques. C'est un roman naturaliste, pétri de réalité ; Corinne Royer connait la campagne et les paysans, et elle est très bien documentée, sans que cette documentation n'obère l'écriture, remarquable et taillée à la serpe, digne du drame qu'elle décrit. Le livre n'est pas lisse, et il se lit lentement : il déborde d'humanité mais n'est ni joyeux ni démagogue.

S'il n'est pas crépusculaire, c'est qu'y sont identifiés les solutions autant que les problèmes. Mais plutôt que de s'attacher à de grandes incantations à la mode, abstraites et à la réalisation hypothétique, on retiendra du récit la réalité plus charnelle des situations, qui souvent ne demanderaient que du bon sens pour s'améliorer.

Quelques critiques : quid du consommateur, grand absent du roman ? Et peut-être un personnage central un peu trop intello. Et surtout quelques pages évitables, dont la présence semble tenir davantage à l'air du temps qu'à un réel intérêt narratif. Pour autant, Pleine terre est un beau et grand livre, au contraire des feel good books. Pas asssez consensuel pour être récompensé, mais assez fort pour faire date.

jeudi 9 décembre 2021

L'âme des chemins creux, toujours d'actualité...

 



"Un bel hommage au Midi sous forme de quarante-huit petits chapitres où l'Occitanie est embellie par des mots à la Brassens. Poux a du coeur et du style. Il nous semble entendre la superbe chanson de Nougaro : Toulouse." (Service littéraire)

"Une balade buissonnière au gré de ces petites et grandes choses qui tissent une certaine culture du Midi, sur les pas de l'Ome d'Oc, de l'Homme du Sud..."   Ph. Emery, La Dépêche du Midi

jeudi 2 décembre 2021

Lectures : La confrérie des innocents, d'Henri Gougaud

Voilà un an, à propos de la parution de J'ai pas fini mon rêve, j'évoquais ce livre qui relatait la carrière d'Henri Gougaud, tour à tour chanteur, parolier, homme de radio et conteur, depuis les années 60 jusqu'aux années 2020. Nouvelle parution cette année, pas de Mémoires cette fois mais un roman, un roman plein de Gougaud pourrait-on dire...

La confrérie des innocents (Albin Michel) se déroule au XIIIème siècle, entre Toulouse et Pamiers. S'il n'est pas fait explicitement référence au catharisme et à sa répression, la toile de fond du livre en est imprégnée. Il y est question de moines, d'architectes, d'inquisiteurs et d'un sulfureux manuscrit recherché par les autorités. Il y a des bûchers, des sbires, des rites païens. Mais aussi et surtout, dans ce récit médiéval et initiatique, historique et mystique, conte et légende, des personnages à la fois truculents et lumineux : cette cour des miracles occitane est une confrérie des innocents. On connait le bagage de Gougaud en matière d'histoire, de mysticisme et de philosophie : il donne ici toute la mesure de sa sagesse.

Pour l'anecdote (façon de parler), on retiendra aussi l'image de couverture : une miniature du XVIème siècle représentant "un autodafé présidé par Dominique de Guzman, fondateur de l'ordre des Dominicains" et grand pourfendeur de la cause cathare, dans une "épreuve du feu du livre hérétique et du livre orthodoxe". Un recours au jugement de Dieu, dont on peut se demander s'il ne redeviendra pas d'actualité un jour prochain...