mardi 31 décembre 2019

Fête(s), de Hemingway à nos jours...

Il ne vous aura pas échappé que nous sommes en période de Fêtes. Plaisant ou obligé, le rituel revient chaque année, mais de plus en plus chargé d'un doute existentiel : l'optimisme forcé trouve vite ses limites, même chez le consommateur le plus malléable.
Il se trouve que le hasard, à qui il arrive de bien faire les choses, me fait terminer mes lectures de l'année par Hémingway et son "Paris est une fête", livre ramené de chez un bouquiniste des quais de Seine. Hem y évoque ses années parisiennes dans les années 20, entre la Closerie des lilas et la Coupole, années d'une vie désargentée mais correcte, vie difficile à concevoir dans le Paris d'aujourd'hui.
Bien sûr, on sait que les souvenirs de jeunesse, lorsqu'ils sont relatés trente ans plus tard, peuvent se parer d'une auréole nostalgique quelque peu idéalisée. Il n'empêche. La vie d'Hemingway (et de bien d'autres) dans ce Paris est celle d'un correspondant de presse et écrivain aux maigres revenus, mais c'est une vie vivante, comme on dit en occitan ; la bohème n'est pas misérable ni systématique et elle garde à l'auteur de quoi vivre, fût-ce au prix de privations et de beaucoup de travail, et de quoi créer. L'époque était antérieure à la société de consommation et aux contraintes de nos régimes obligatoires. Mon propos n'est pas d'affirmer que "c'était mieux avant", mais d'apprécier certaines avancées de la modernité depuis ce XXème siècle jusqu'à nos jours.
Y était-on "heureux", selon l'injonction contemporaine ? Je ne sais pas, mais on y était plus riche de toutes sortes de choses, et plus vivant. Mais le mieux est de lire le livre.
Sur ce, bonne(s) fête(s)...

samedi 21 décembre 2019

Vacillantes Lumières

Evoquer les Lumières équivaudra bientôt, sans doute, à faire référence à ces animations électriques d'hiver, souvent très seyantes mais terriblement technologiques. Quant aux vraies Lumières, ce phénomène européen des XVIIème et XVIIIème siècles qui visait à la libération et à l'esprit critique, tout le monde s'accorde à dire qu'elles sont de plus en plus mal en point, secouées par les dogmes de toute nature que des minorités contemporaines décidées entendent imposer à tous.
Pourtant, on peut aussi s'inquiéter des errements d'un certain rationalisme forcené qui semble le dernier rempart de certitudes agonisantes et surtout tout aussi dogmatiques. On a connu récemment les offensives, aussi agressives que simplistes, menées contre l'homéopathie (déremboursement en attendant l'exclusion des facultés), la psychanalyse (voir mon billet du 31 octobre), les médecines alternatives (grosse opération récente de la DGCCRF), etc... Avec toujours ce reproche "d'allégations thérapeutiques non justifiées" et le sempiternel "manque de preuves scientifiques".
Sans être dupe des enjeux corporatistes sous-jacents, ces offensives apparaissent de plus en plus structurées et organisées sous la vertu du Rationalisme, pour qui, selon Wikipédia, "le réel ne serait reconnaissable qu'en vertu d'une explication". En latin de cuisine, cela signifie que ce qui n'est pas explicable scientifiquement n'existe pas : je me souviens de la guerre menée jadis contre l'acupuncture, affaire de charlatans, jusqu'à ce que l'Académie de Médecine se fende d'un piteux "On ne sait pas comment ça marche, mais ça marche...". Gageons que le futur nous réserve d'autres retournements de ce genre.
A une condition, que la Raison qui fait les Lumières ne meurent pas étouffée par ses enfants devenus fous. La psychanalyse, par exemple, et on le lui a assez reproché, a été un des fers de lance des avancées de la Raison, en démontant bien des dogmatismes, humains, religieux ou politiques... Les stupidités énoncées ces temps-ci par ses contempteurs au nom de la science sont proprement consternants de mauvaise foi (celle du rationalisme) ou d'inculture.
Je sais bien que ce rationalisme là est post-moderne, dévoyé, forcené, totalitariste... et qu'il convient plus que jamais de ne pas faire d'amalgame avec la Raison émancipatrice des Lumières. Mais voir un courant de pensée, long de trois siècles et demi, dériver au nom de cette pensée vers les mêmes pratiques qu'il dénonçait à ses débuts laisse mal augurer de l'avenir. On peut se demander si ces vacillantes Lumières, déjà en veilleuse, éclaireront encore bien longtemps...

jeudi 12 décembre 2019

Statistiques culturelles

L'époque est à la statistique, qui vous démontrera scientifiquement, mieux que n'importe quel sophisme, ce qu'il en est vraiment des choses. Ainsi le Baromètre Voltaire, une officine dont j'ignorais jusqu'ici l'existence et qui semble spécialisée dans les rapports entre les jeunes et la langue française, a mesuré les qualités orthographiques de ces jeunes en fonction de leurs inclinations musicales.
Et là, tenez-vous bien, on apprend que les amateurs de musique metal écrivent mieux que les adeptes du rap ou du reggae. Je m'en serais un peu douté, mais c'est bien de le voir mesuré. Je connais un tout petit peu, et par personne interposée, l'univers du metal, et je constate le rap : on retrouve là les "deux blocs" sociétaux chers à Jérôme Sainte-Marie, ou si l'on préfère le bloc du haut et celui du bas. 
On apprend aussi dans la même étude qu'écrivent mieux ceux qui s'adonnent  à Twitter que ceux qui se répandent sur Facebook. C'est désormais prouvé, tout comme le fait que les filles font moins de fautes que les garçons.
Et une dernière stat pour la route : il y a plusieurs dizaines de millions d'individus dans le monde, dont nous dit-on 9 % des Français, qui pensent que la terre est plate.
D'ores et déjà Bonnes Fêtes, la croissance occidentale compte sur vous.

vendredi 6 décembre 2019

Bons vivants, bons et vivants

Le Point du 05 décembre, derrière sa couverture "Qui veut la peau des bons vivants?", consacre un joli dossier aux "diktats qui menacent l'art de vivre à la française". Je n'aime pas trop cette dernière expression, qui fait un peu nostalgie réac-franchouillarde, mais les identités gastronomiques de nos provinces cumulées n'étaient pas dépourvues de sens ni de culture. Certes, les temps changent, l'activité physique aussi, et il n'est d'ailleurs pas difficile de manger avec plaisir 5 fruits ou légumes par jour, pour peu qu'on sache un peu cuisiner. Quant aux orgies pantagruéliques, pour beaucoup de français elles tenaient davantage du mythe que du quotidien.
Il y a pourtant, pour s'en tenir au sens, quelque chose d'inquiétant dans ces injonctions à la mode, souvent contradictoires d'ailleurs, qui déferlent comme une offensive idéologique : contre le vin, la viande, le gras... Que les modes de vie contemporains appellent certaines modérations est une chose, que cette nécessité se traduise en une hygiène culpabilisatrice et un puritanisme quasi-religieux en est une autre, quelque peu mortifère.
On apprend dans ce dossier quelques habitudes de politiques ou de dirigeants. Et si en regard de cela on observe un peu les pratiques managériales ou les postures politiques de ceux-ci, on constate que ces habitudes alimentaires en disent long sur l'humanisme supposé des uns et des autres. Idem, et de façon plus anecdotique mais culturellement significatives de la culture de l'époque, la ruée des nouveaux députés Lrem sur le coca et le red-bull à la buvette de l'Assemblée nationale, ou l'éradication du vin par A. Buszyn dans son ministère :"Du point de vue du foie, le vin est un alcool comme un autre", proclamait-elle il y a peu... Certes, lui répondra-t-on, comme du point de vue de Ripolin, une toile de Manet est une peinture comme une autre. Misère de misère...
On se souvient de Philippe Muray évoquant jadis le sinistre Pr Got en "marionnette terrorisante du bien-être". Ou de ce propos de Jean-Jacques Rousseau, pourtant protestant et pas du genre patachon : "J'ai toujours remarqué que les gens faux sont sobres et la grande réserve de la table annonce assez souvent des moeurs feintes et des âmes doubles".
Que faut-il craindre de cet hygiénisme forcené qui méprise la vie vivante ? Je suis de la génération qui a connu ce qu'on osait encore nommer Banquet républicain. Les banquets, on le comprend, ont disparu. Quant à la République...

mardi 3 décembre 2019

Macron : culture et dépendance, sans surprise.

Le Point du 28 novembre dernier consacre un long article au bilan de la politique culturelle du Président de la République à mi-mandat. Une réalité s'impose : alors qu'il promettait beaucoup, Macron n'imprime pas. Ce candidat qu'on nous avait (sur?)vendu comme cultivé et qui entendait faire de la culture un levier de sa politique sociale affiche un bilan plutôt transparent : sa fibre culturelle ne ruisselle pas.
En est-il le seul responsable ? Pas sûr... Il y eut d'abord au ministère F. Nyssen, prometteuse elle aussi mais pas faite pour le poste (voir ce blog en mai 2017) ; puis le pâle F. Riester, qui en est encore à protester de sa légimité (voir ce blog en novembre 2018). "Il me manque un Jack Lang !", dit E. Macron : lui arrivait à faire fonctionner son administration.
Erreur de casting, ou faiblesse des impétrants ? Le problème me parait se situer à un autre niveau : la culture du Président, trop classique et pas assez avant-gardiste, bref pas assez à gauche, n'est pas celle qui prévaut dans les arcanes du ministère post-languien. Etranger à ce milieu, il le court-circuite volontiers (Bern, Georgelin...). Quant aux conseillers culturels, leur immaturité politique génèrent des initiatives calamiteuses. Et la duplicité et l'arrogance des cabinets ne fluidifie rien, comme l'a raconté F. Nyssen après son départ. A l'autre bout de la chaine, le fameux Pass-culture ne fait pas recette là où il est expérimenté et se révèle aussi consumériste qu'on pouvait le craindre (voir ce blog en mai 2017). De l'efficacité de ce ministère...
Les fidèles de ce blog conviendront donc qu'il n'y a rien de surprenant à ce bilan... Même s'il ne sortira pas de l'ombre tutélaire de Mitterrand, la personne de Macron laisse encore espérer une ambition. En attendant du concret ? oui, hélas parfois. Exemple la restauration en grande pompe du château de Villers-Cotterêts, présenté comme emblématique : c'est là que fut signé le fameux Edit interdisant l'usage officiel des langues de France au profit du seul français.

mardi 26 novembre 2019

Marigots et crocodiles

S'il est une chose le plus souvent dérisoire, c'est bien les chamailleries entre célébrités du même acabit. Pourtant on s'y intéresse toujours, même sans illusion sur la vacuité de la chose.
Ainsi suis-je tombé avec quelques mois de retard sur une interview de Marc Lévy, l'industriel-romancier bien connu. Après avoir critiqué les émissions de Ruquier (on ne le lui reprochera pas) il s'en prend à Yann Moix et Eric Naulleau. Du premier, il rappelle qu'il se prenait jadis pour le meilleur écrivain du siècle (nous étions alors au XXème, la concurrence était rude). Vis-à-vis du second, il se fait plus dur : "Je n'ai jamais compris ce qu'il faisait dans la vie, je trouve le type sans intérêt intellectuellement parlant". Et à propos des deux : " Leurs non-réussite les rend méchants et agressifs à l'égard de ceux qui ont une réussite qu'ils jalousent"... Fermez le ban.
Avant d'aller plus loin, je précise que je n'ai rien contre l'homme Lévy, j'ai même trouvé parfois qu'il valait mieux que sa prose. Ce n'est pas difficile, direz-vous, mais ç'est à noter. Pour en revenir à son interview, le melon de Moix est bien connu, rien à redire. Pour Naulleau, le procédé me semble aussi facile que vachard; ceux qui le suivent un peu connaissent son parcours d'éditeur, d'écrivain ou de chroniqueur, et plus particulièrement son "Jourde et Naulleau" très corrosif : Marc Lévy se rappelle comment il s'était fait étriller... C'est pour cela que sa banale sortie sur la jalousie apparait un peu courte, comme s'il n'assumait pas la daube qu'il rédige : on a parfaitement le droit de choisir une carrière commerciale, mais encore faut-il garder la modestie de ne pas se comparer à ceux qui ont fait le choix de l'exigence. Claude François, à ma connaissance, ne se comparait pas à Brel ou Brassens... Si on décide de faire la comparaison, il faut disposer d'un certain talent de polémiste : Naulleau en est pourvu, on le sait, Lévy beaucoup moins.

jeudi 14 novembre 2019

Fac de Lille : salauds de livres !...

Ce billet est un peu la suite du précédent. Le syndicat estudiantin Solidaires, celui qui avait eu la peau de Mme Jospin a Bordeaux, vient de récidiver à Lille : cette fois c'est François Hollande qui a vu sa conférence annulée et sa personne exfiltrée, pendant que des petites frappes fascisantes et des pintades gloussantes déchiraient son livre devant les caméras et les smartphones.
Comme d'habitude, le gouvernement n'y trouve que peu à redire ; on sait que les mouvements de jeunes sont la hantise de tous les gouvernants, en général plus soucieux de durer que de faire respecter le pensée républicaine. On sait comment l'université américaine déteint sur la nôtre : cela c'est une chose, la destruction des symboles en est une autre, de même qu'il y a une marge entre l'imbécillité et la haine.
Il me souvient d'une manifestation contre Luc Ferry alors ministre de l'Education, en 2003 je pense, où son livre brûlait en tas lors d'une manifestation de... profs des écoles ! Aujourd'hui c'est à l'université qu'on détruit des livres.
Je ne prétends pas que les ouvrages de Ferry ou de Hollande soient des phares de la pensée humaine, loin de là, mais ce sont des livres : celui-ci est, de par sa nature et de par son histoire, un symbole sacré. Que ce soient ceux qui devraient être les gardiens du temple, enseignants et étudiants, qui transgressent à ce point en dit long sur la culture de notre société, pourtant de tradition française. Et que celle-ci s'incline devant les autodafés et devant la haine des petits nervis boutonneux (pas tous...) situe le niveau de notre mémoire.

mercredi 6 novembre 2019

P. Jourde contre l'ordre moral


J'ai souvent évoqué, sur ce même blog, le retour larvé d'un certain ordre moral. On le constate aussi un peu partout. Pourtant, comme pour bien des choses, on finit par s'accoutumer. C'est pourquoi le billet de Pierre Jourde paru dans le Bibliobs (www.nouvelobs.com/bibliobs) du 5 novembre est salutaire : en recensant , de façon bien sûr non exhaustive, divers interdits ou censures émanant de ce qu'il est convenu d'appeler le camp du Bien, il dresse un bilan glaçant de ces dernières années, depuis la censure de Renaud Camus et les avatars du carnaval de Dunkerque jusqu'à la récente interdiction de conférence de Sylviane Agacinsky.
Car cette liste fait froid dans le dos, surtout émanant le plus souvent de jeunes étudiants (Unef, Indigènes de la République) sur qui nous fondions il n'y a pas si longtemps nos espoirs de lendemains qui chantent. Accompagnés d'une certaine intelligentsia, il font grand cas de tout ce qui peut être suivi du mot phobe : dès lors que quelqu'un leur oppose un argument, il devient automatiquement "moi-phobe". Taxer ce quelqu'un de ( )-phobe est un argument définitif interdisant tout débat, et interdisant tout court le mal-pensant. Et tout syllogisme est bon pour l'amalgame : émettre de simples réserves sur la PMA, par exemple, vous vaut par le fait même d'être "homophobe", ce qui comme chacun sait est un délit, et on vous interdit de conférence (Sylviane Agacinsky, c'est-à-dire Mme Jospin, à Bordeaux).
De la même façon que la droite avait institué après la défaite de 1870 un "Ordre moral" à des fins de redressement national, une certaine gauche contemporaine jette, au nom du Bien et du Progrès et faute d'arguments, une nouvelle chape de plomb sur l'expression démocratique, avec aux manettes quelques nervis stalino-fascisants des plus actifs. Si je fais référence au trio Lagasnerie-Eribon-Louis, je viens de commettre un délit. Et on peut craindre que le pire soit devant nous (le baiser non consenti du Prince charmant à la Belle au bois dormant, par exemple...)
La liste est déjà longue, dans la seule sphère littéraire, de ceux qui ont fait les frais de cette hydre : R. Camus, R. Millet, M. Gauchet, A. Finkelkraut, Ph. Brunet, S. Agacinsky et bien d'autres. Pierre Jourde lui-même... qui après ce billet n'en aura pas fini avec les crachats.

jeudi 31 octobre 2019

Psychanalyse et psychologues vétérinaires...

On se souvient qu'il y a quelques mois l'establishment médical avait lancé diatribes et pétitions pour exclure l'homéopathie du champ du remboursement, puis de l'université : c'est désormais acquis pour ce qui est du remboursement, la suite va venir. Ce qui m'avait frappé à l'époque ce n'était pas le fonds de cette énième tentative (on devine les enjeux financiers et idéologiques qu'il y a derrière), mais la pauvreté et la mauvaise foi d'une argumentation à la limite de la haine.
Au tour maintenant de la psychanalyse : à l'initiative d'une réalisatrice, qu'on imaginera forcément compétente et objective, est activée une autre pétition pour exclure celle-ci des tribunaux et des universités. On y retrouve bien sûr les sempiternelles accusations de "pratiques idéologiques, obscurantistes et discriminantes", rejetant selon les signataires "tout contrôle ou évaluation". Pour faire bonne mesure, on y rajoute "l'exercice illégal de la médecine" ou "l'emprise sectaire". Cela pourrait, pour qui connait un peu le sujet, prêter à sourire voire à s'esclaffer...
Mais là où nos comportementalistes deviennent franchement désopilants, c'est quand ils stigmatisent le plus sérieusement du monde une science humaine qui selon eux "prête des intentions sexuelles aux bébés", "prétend qu'un enfant puisse être consentant à un inceste", "affirme qu'un rapport sexuel serait de la perversion ou du rapport de force", "prétend qu'un crime sexuel n'aurait pas de conséquence grave pour la victime", etc... Prêter de telles postures est encore plus grotesque qu'insultant.
Redevenons sérieux : pour tenir de tels propos de comptoir, il faut soit tout ignorer de la psychanalyse, ce qui serait ballot vu les prétentions des signataires, soit reprendre tous les vieux poncifs, clichés et stupidités avec une dose effarante de mauvaise foi. Ainsi sont ces humanistes praticiens de la santé mentale.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : comme leurs éminents confrères psychiatres russes qui prescrivaient le goulag comme rééducation à la normalité, nos soignants forcenés fustigent "la démarche antisociale" d'une pratique "qui enseigne le mépris des règles et des lois", et prônent l'affirmation d'une "santé mentale" et d'une "santé sexuelle". Ils nous diront bientôt la fréquence et la position idoines. C'est proprement terrifiant, surtout quand on lit les commentaires qui accompagnent la lecture de leur texte.
Pour avoir exercé une activité de psychothérapeute pendant près de trente ans, j'ai pu recourir indifféremment à des théories analytiques ou à des références comportementalistes, selon les situations. On peut débattre sans problème des mérites et travers respectifs des deux approches. La culture contemporaine de la performance mesurable donne du grain aux comportementalistes ; le pratique analytique était davantage de l'ordre de la libération, ce qui en effet ne plaisait pas toujours aux institutions mais qui a soulagé bien des souffrances.
C'est ce que la modernité refuse désormais. Dans notre monde agonisant de morale et de scientisme, il convient d'éradiquer tout discours critique, en le caricaturant pour mieux l'interdire, le tout au nom de ces dogmes que l'on reproche tant à l'autre. L'envie de pénal, avait joliment relevé Muray. La rationalité avait ouvert la période des Lumières, elle est en train de les éteindre.

mercredi 23 octobre 2019

Le Gall, la possibilité d'une île introuvable...

Jean Le Gall est apparu en littérature il y a quelques années avec Les lois de l'apogée, roman balzacien assez féroce où par le biais d'un personnage écrivain il égratignait notre société et ses faux-semblants. On  retrouve aujourd'hui Le Gall, ancien avocat d'affaires présentement éditeur, dans L'Ile introuvable (Robert Laffont), avec grand plaisir.
D'abord il y a l'humour, cette denrée si stipendiée qu'on finira bientôt par interdire, qu'il manie avec finesse et rugosité ; il y a le style, travaillé et élégant, enlevé et exigeant ; il y a la sagacité et un regard sur les quarante dernières années, et les délitements qui les structurent. Cela n'en fait pas pour autant un roman de vieux ronchon, grâce justement à cet humour et à ce style. Si la plume est acérée, les formules sont ciselées et percutantes, cinglantes mais tordantes : "Etre de gauche, c'est reprocher. Etre de droite, c'est se désoler. Etre du centre... c'est être assez con pour croire en tirer profit."
Le scénario de L'île introuvable est assez minimaliste, un peu foutraque mais perspicace autour de ses trois personnages : un écrivain raté, une éditrice marginalisée et un truand flambeur. De ce trio improbable s'ensuit un kaléidoscope qui se transforme, par la grâce de l'auteur et de son talent, en une plongée balzacienne dans le Tout-Paris germanopratin ; on y croise des célébrités de la presse et de l'édition, de celles qui font la culture de l'époque. Et c'est l'occasion d'autres formules, sur Jean d'Ormesson, par exemple : "... qui avait fabriqué le personnage désormais incontournable de grand écrivain de télévision. Longtemps il avait vendu des livres par dizaines à des amis qu'il avait par centaines. Longtemps Jean d'O s'était ému qu'une littérature si patiemment travaillée fût limitée à son quartier et confrontée ailleurs à l'engourdissement des foules. Mais un jour il imprima son style à la télévision plutôt que sur des pages blanches, et alors tout changea !"
Le propos du livre n'est pas de persifler ou de régler des comptes : l'ouvrage en dit long sur notre époque, ses moeurs et ses limites, mais surtout démontre comment derrière ces pages relatives à la littérature ou à la culture s'effrite une société et le vieux monde qui donnait du sens. "L'égalité des droits vaut l'égalité des intelligences qui vaut l'égalité des oeuvres". Derrière la financiarisation de l'édition, l'opportunisme d'élites ignares ou le consumérisme des lecteurs, derrière ces constats ou anecdotes qui fournissent la matière première aux 420 pages du roman, celui-ci est, au-delà de la plainte, un hommage à la littérature.

mercredi 16 octobre 2019

2019, Hommage à la Catalogne ?

La justice espagnole, structurellement très liée à l'Etat et au pouvoir madrilènes, a bien fait les choses, dans une tradition qu'on croyait révolue depuis plus de quarante ans : elle a condamné les prisonniers indépendantistes catalans à des peines de 9 à 13 ans de prison.
J'ai écrit sur ce blog, il y a deux ans, ce que je pensais de l'affaire catalane : voir Culture ou dépendance, d'octobre 2017. Il ne s'agit pas davantage aujourd'hui d'analyser politiquement le dossier, mais simplement de savoir si un peuple nanti d'une langue, d'une culture et d'une identité peut, dans une démocratie, demander la tenue d'un référendum. Le pouvoir central dénonce, comme il se doit, les agissements d'une minorité ? Eh bien laissons les urnes démontrer cette minorité ! Car aucun militant catalan, dans la longue histoire du mouvement autonomiste, n'a jamais prôné un quelconque passage en force... Est-il impossible dans une démocratie, et l'Espagne en est une, de demander un référendum sans risquer 10 ou 15 ans de prison ?
En attendant que la Catalogne s'embrase et s'ensanglante, car c'est à cela que mène tout droit la décision de justice, en dépit du pacifisme historique de la revendication catalane, on retrouve nos journalistes et chroniqueurs français qui, englués dans une pensée jacobine cacochyme, sont incapables d'appréhender le fait catalan autrement que sous l'angle d'un populisme égoïste et rétrograde ou d'un "retour au Moyen-Age" forcément obscur et, surtout, obscurantiste.... Il est vrai que cela fait quelques siècles que cela dure.

jeudi 10 octobre 2019

Modiano tel qu'en lui-même...

Est donc paru il y a peu le dernier Modiano, Encre sympathique (Gallimard). Prix Nobel ou non, Modiano reste Modiano, et un Modiano offre un peu toujours les mêmes ingrédients: un scénario léger, voire minimaliste, qui s'estompe derrière le sentiment et l'émotion. Et le lecteur marche, happé par une quête qui serait souvent anecdotique si elle ne mobilisait les ressorts de l'âme humaine. Il se retrouve dans une ambiance, celle dont Modiano nous fait l'offrande dans chacun de ses livres, nimbée de nostalgie, de romantisme, d'affects à fleur de peau, de mémoire du temps qui passe.
Et il y a le style Modiano, sobre, épuré, moucheté... qui remet à leur place quelques sommités littéraires de tête de gondole contemporaines. Et puis l'oeuvre de Modiano, où chaque nouveau titre puise dans des livres antérieurs, où quelle que soit l'histoire le lecteur est immergé dans la même vie.
On a pu lire, sur ce dernier titre, quelques critiques aussi dérisoires que de mauvaise foi : que Modiano faisait du Modiano, qu'il écrivait toujours le même livre... Peut-être, mais cette critique-là on n'a jamais pu la faire qu'à des très grands.

lundi 30 septembre 2019

Rentrée littéraire, sorties médiatiques

A ce qu'il semble, le cru 2019 de la rentrée littéraire et des Prix ne s'annonce pas des plus fameux. Nous verrons bien. En attendant, les ventes continuent, portées par quelques coups de marketing.
En premier lieu, bien sûr, Yann Moix (Orléans, Grasset). Vous n'ignorez plus rien des turpitudes de son enfance maltraitée, selon lui, des vacheries de son frère, de celles qu'il lui a rendues, de la violence de son père, toussa... Un plan média n'aurait pas été mieux élaboré ; jour après jour, semaine après semaine, chacun concourt à son tour à entretenir le buzz : Yann, son père, son frère, sa grand-mère... en attendant le facteur et la voisine d'en face. Volent au secours de YM, par ailleurs pris à partie pour des dessins de jeunesse antisémites, tout un tas de copains qui ne veulent pas laisser dans l'embarras quelqu'un d'aussi prescripteur.
Bien sûr, il y eut Poil de carotte ou Vipère au poing : on peut faire de la littérature avec ce matériau là. Malheureusement, vingt ans après la mode de l'autofiction est arrivée celle du déballage intime et cradingue, et Moix, qui n'est pas sans talent, peine à s'extraire du troupeau, notamment féministe, qui exploite ce filon.
L'actualité sacre également le déballage des fonds de tiroir de Françoise Sagan (Quatre cris du coeur, Plon), présentés par son fils Denis Westhoff, qui a récupéré, collé, rédigé les blancs, complété et vendu le résultat, que même sa mère surendettée n'avait osé proposer. Affligence générale.
On n'oubliera pas Emma Becker (La Maison, Flammarion) qui pour écrire son livre a choisit de travailler deux ans dans un bordel en Allemagne. On ne peut écrire que ce qu'on a vécu, dit-on aujourd'hui... L'appât est solide.
Que retenir de tout cela ? ce que vous voudrez, mais rien serait le mieux car dans un an ou deux personne ne se souviendra de ces produits. Peut-être les relancera-t-on : je ne serais pas surpris si Mme Becker annonçait dans quelque temps avoir tout inventé ; pareil pour Moix, voire pour Westhoff. On nous dira alors que cela ne change rien, que l'important c'est le livre et l'écho qu'il trouve chez le lecteur. Mouais.
Le scandale, on le sait, paye davantage que la qualité. Pour en revenir aux Prix littéraires, il est de coutume que les bons livres n'y soient pas. Généralement pas assez rentables.

lundi 23 septembre 2019

Rémi Soulié, de la terre aux cieux...

C'est très récemment que j'ai découvert Rémi Soulié, séduit que j'étais par le titre de son dernier livre, Racination (PG de Roux). Pour le connaitre, il aurait fallu que je sois familier de Radio Courtoisie, de Familles chrétiennes, du Figaro magazine et de quelques officines sulfureuses, et ce n'est pas le cas. Rémi Soulié est philosophe, critique littéraire, essayiste et poète ; il a écrit sur Péguy, Nietzche, Boutang et d'autres. Autant dire qu'il est tout sauf mondialiste, plutôt pétri de culture gréco-latine, à rebours de l'air du temps et un peu provocateur... Bref réac et franchement maurrassien, au moins du Maurras fédéraliste et félibre.
Car Rémi Soulié, d'origine rouergate, est aussi Mainteneur du Félibrige, que Frédéric Mistral avait créé pour défendre la langue d'oc ; on lui doit parallèlement quelques ouvrages sur "Le vieux Rouergue" et sur "Les chimères de Jean Boudou"... Racination est un manifeste "poétique", philosophique, forcément politique, et me semble-t-il fondamental dans ce qu'il soulève. L'ouvrage n'est pas facile d'accès, aussi ma critique se veut-elle très modeste. On connait les écrits de Simone Weil sur l'Enracinement ("le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine") : Rémi Soulié, qui reprend un mot de Péguy, revendique que "la racination peut faire entendre la race, la grâce, la racine, la nation, donc la naissance".
Rémi Soulié apparait très "Mistralenc" : Mistral définissait la race comme le "peuple lié par la langue, enraciné dans un pays et une histoire" ; Soulié répond "je suis chez moi sur cette terre et sous ce ciel où mon nom est gravé", et prône le résonnement avant le raisonnement. La racination prime sur l'enracinement, qui prime sur l'identité, qui prime sur le nationalisme : "Ni conscience républicaine, ni fantasme d'une France pseudo-universelle ou d'obsession souverainiste".
La terre de Soulié, c'est le Rouergue ; ses origines françaises remontent à l'annexion du comté de Rouergue par la couronne de France en 1271 ; mais sa "petite patrie", sa "patrie charnelle", demeure ce Rouergue où il est né et où il s'enracine.
On peut, surtout dans ses injonctions contemporaines, ne pas partager les idées de Rémi Soulié. Mais il a le mérite de poser cette question, si basique et si actuelle : qu'est-ce qui permet de former un peuple ? et de démontrer pourquoi une culture "terrienne" est nécessaire à l'élaboration de l'individu, loin des habituels gloubi-boulga sur les origines et toussa. A tout le moins, on aimerait que son ouvrage, sur lequel j'aurais l'occasion de revenir, fasse débat... car on parlerait aussi de civilisation.
Au delà de son propos, Rémi Soulié illustre comment sa patrie occitane, en l'occurrence, répond à cette nécessité pour l'être humain telle que l'énonçait Simone Weil :"il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie"...

dimanche 15 septembre 2019

Déjà parus...

Pour mémoire, un petit récapitulatif de mes oeuvres :

- Les Saints des derniers jours     L'Harmattan 2018
- Le Répountchou qu'es aquo ?     Vent Terral 2017 (avec AM Rantet-Poux)
- Mona Lisa ou la clé des champs     L'Harmattan 2014
- Passeport pour le Pays de Cocagne     Elytis 2012 (avec AM Rantet-Poux)
- Aveyron Croatie, la nuit     L'Harmattan 2011
- Histoires peu ordinaires à Toulouse     Elytis 2007
- Histoires peu ordinaires au Cap-Ferret     Elytis 2006 (avec Ch. Oyarbide)
- Week-end à Schizoland     Elytis 2005
- La Branloire pérenne     Elytis 2002

En vente dans toutes les librairies, chez l'auteur (voir rubrique commentaires) ou chez l'éditeur.
Les ouvrages publiés chez l'Harmattan sont aussi disponibles en version numérique (www.harmattan.fr)

dimanche 8 septembre 2019

Gilet jaune : à moitié condamné, à moitié regretté...

La presse s'en est largement faite l'écho la semaine dernière : l'un de mes presque voisins a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir affiché sur sa camionnette "Flic suicidé, à moitié pardonné". Cette affaire ne m'a jamais passionné -des blaireaux qui répètent des "bons mots" sans les comprendre vraiment on en voit tous les jours- mais son épilogue me semble doublement attristant.
Sur le fond, la condamnation ne me parait pas très sévère, et autant il est grave de le faire sur un représentant de l'ordre autant il est inique et indécent de se réjouir d'un suicide : on peut être bête et méchant, et la tension autour du mouvement des Gilets jaunes n'excuse rien.
En même temps, comme il convient de dire ces temps-ci, on constate l'incapacité de notre époque à tolérer, sinon comprendre, le second degré : la justice traite la matière au premier degré, et dès lors bien des choses deviennent répréhensibles. Or en l'occurrence, et quoi qu'on puisse penser de sa valeur humoristique, il me semble que le "bon mot" que notre crétin a repris pouvait se relativiser, je dirais même s'interpréter ou se mettre en perspective, si l'on se réfère à une vieille tradition satirique ou pamphlétaire...
Sinon, combien de chansons de Brassens ou de Brel, par exemple, tomberaient de nos jours sous le coup de la loi, depuis le classique "Mort aux vaches" jusqu'aux émasculations de Brive la Gaillarde ? Et quel éditeur accepterait de prendre le moindre risque pour publier une oeuvre trop persifleuse ? Combien de morceaux d'anthologie seraient aujourd'hui morts nés ? Et d'ailleurs combien le sont ?
On peut se réjouir que la justice oblige chacun à prendre ses responsabilités, au lieu de bêler en troupeau. Mais je ne suis pas sûr que la démocratie, et tout ce que l'on met derrière ce mot, progresse beaucoup si cette justice refuse de distinguer la lune et le doigt...

vendredi 30 août 2019

Destins

La gloire s'enracine souvent dans la modestie : cette évidence m'est revenue en tête il y a quelques jours au hasard d'une déambulation dans les gorges du Viaur, la rivière récemment évoquée sur ce blog. Plus précisément, sur un lieu perdu d'un pauvre plateau de l'Albigeois aux confins du Rouergue. Un croisement de petites routes, un maigre hameau, trois fermes isolées, dont la Nougarié.
Une stèle qui rappelle que l'on n'est pas n'importe où, même si l'on est au milieu de nulle part.
Ici vit le jour, dans la deuxième partie du XVIIIème siècle, un homme plein de vie. Né dans ce Ségala paysan pour y être pauvre et berger, mais lettré par le curé de l'endroit, il fit partager à une jeunette locale sa pulsion de vie, l'engrossa mais refusa de l'épouser ; contraint par la justice, il dédommagea la belle et fuit la contrée. Albi, puis Toulouse, puis Tours, Paris et les lumières, comme secrétaire au conseil du Roi et quelques autres prébendes. Pendant ce temps, son frère est accusé d'avoir assassiné une jeune fille. A tort, certes, mais guillotiné quand même en lieu et place d'un notable.
Une maison, proche de la route, garde le souvenir de celui qu'elle a vu partir sous d'autres cieux, mais elle n'est pas la seule ; il n'était ni le premier ni le dernier à s'en aller ; peut-être serait-il aujourd'hui enfoui dans les limbes de l'Histoire si, pour faire oublier son patronyme de Balssa encombré de trop de faits de justice, il ne l'avait changé en Balzac. Son fils Honoré y adjoint une particule et lui donna aussi la gloire.


vendredi 23 août 2019

De mal en pis

Après la traditionnelle pause estivale, je me préparais à affronter la rentrée, mais sans zèle particulier. Mais ne voilà-t-il pas qu'une nouvelle s'étale sur le site de France 3 sud, nouvelle dont comme souvent on ne sait s'il convient d'en rire ou d'en pleurer...
Cela se passe sur Twitter. Une éleveuse aveyronnaise y avait posté la photo du pis d'une de ses vaches laitières, qui avait la particularité de posséder cinq mamelles (ce n'est pas si exceptionnel). C'est donc de belles rondeurs et une solide promesse de lait qui s'étalaient sur les écrans des smartphones ; une vache comme devait les aimer Rubens. Mais Twitter a supprimé la photo.
La raison reste mystérieuse, mais il est permis de craindre que la censure, peut-être algorythmique, ait souscrit à la fureur anthromorphique qui fait rage ces temps-ci. Et que la photo a été jugée indécente pour nos chères têtes blondes et nos incontournables talibans (pas toujours blonds).
C'était juste pour préparer la rentrée. Pourtant il m'arrive parfois de me demander si, un jour prochain, ce ne sera pas les femmes de Rubens qu'on effacera.

lundi 5 août 2019

Salons d'été

Les salons d'été se succèdent dans la campagne rouergate, et je participe à quelques uns. Le dernier week-end de Juillet a confirmé la dimension acquise par celui de La Fouillade depuis 22ans. Du monde, des ventes, des rencontres, et toujours une bonne ambiance.

Samedi 10 Août, ce sera à NAUCELLE (12) d'accueillir le circus, de 9 heures à 18 heures.

Dimanche 18 Août, cap sur le Sud Quercy avec la sympathique rencontre de LARAMIERE (46).

Les entrées sont libres. Autant d'occasions de nous rencontrer...

jeudi 1 août 2019

Viaur, fascinante rivière...

C'est le titre du dernier livre que j'ai lu. Il est signé Michel Lombard, l'éminent spécialiste dudit cours d'eau.
Peut-être, probablement même si on se fit aux statistiques de la fréquentation de ce blog, ne connaissez-vous pas cette rivière. Alors sachez simplement que sur 170 km elle traverse le département de l'Aveyron (dont il serait d'ailleurs plus juste qu'il s'appelât Viaur) depuis les plateaux du Lévézou jusqu'aux frontières du Rouergue à La Guépie, où elle se jette dans l'Aveyron (la rivière). 
Plus de quarante lieues au cours desquelles le Viaur gagne en sauvagerie (sauvagitude ?) ce qu'il perd en altitude. Peut-être est-ce pour cela que ceux qui le connaissent le trouvent fascinant. Ou à cause d'une Histoire forte ; ou à cause du caractère de ceux dont le destin s'y rattache, depuis les anti-papes du XVème siècle jusqu'au génial Jean Boudou du XXème, qui en fit le creuset de son oeuvre, en passant par l'immense Balzac du XIXème. Ou bien encore grâce à une flore et une faune comme peu de régions peuvent s'enorgueillir.
Le livre de Michel Lombard (aidé de quelques acolytes) vous donnera une vision exhaustive de toute cette richesse : Histoire, mythe, économie, flore, faune, tot aquo... Avec beaucoup de belles photos. Lisez-le donc, et vous commencerez à comprendre pourquoi le Viaur n'est pas une rivière comme les autres. Et alors vous vous jetterez sur les Contes et légendes du Viaur, du même auteur. Parce que le Viaur est envoûtant.

jeudi 25 juillet 2019

Festival de La Fouillade (12)

Comme chaque année se tiendra l'excellent Festival du Livre et de la BD de

                                          LA FOUILLADE (Aveyron)
                                                     27/28 Juillet

Ce sera la 22ème édition.
Ce salon, solide référence en matière de BD, reste également un très bon endroit pour les amateurs de littérature. Et, qui plus est, c'est un agréable moment d'accueil, d'affluence, d'ambiance et de complicité...
L'occasion de nous y rencontrer ?

samedi 20 juillet 2019

Gayssot et Avia, Charybde et Scylla

Nul besoin d'avoir franchi le Styx pour savoir que l'Enfer est pavé de bonnes intentions. Déjà en 1990, la loi Gayssot inaugurait la série des lois mémorielles, destinées à  combattre racisme, antisémitisme et xénophobie, tout ça... Louable intention, et même consensuelle à l'exception de quelques fronts bas. Mais s'il y eut une opposition auxdites lois mémorielles, elle vint des historiens, de tout bord et parmi les meilleurs (Nora, Furet, Ozouf, Rémond, Vidal-Naquet, Bédarida, Azéma, Juilliard, Winock, Decaux...) qui considéraient que c'était à la recherche et au débat d'émettre l'Histoire et non aux politiques de déclarer une vérité officielle. 
On aurait dû les écouter. Trente ans après, résultat des courses, le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie n'ont jamais été aussi présents ; et à cela s'est rajouté les diktats de toutes les minorités que ces lois ont encouragé, voire créé : brillant résultat pour la République...
Aujourd'hui tout le monde s'accorde pour contenir la fange qui inonde les réseaux sociaux : louable intention, comme d'habitude. Mais la motivation de combattre la "haine" (?) tient davantage du sentiment que du droit, et c'est bien sûr un premier risque. La mise en oeuvre de la loi transformera les fournisseurs d'accès, les réseaux, les plateformes... en gendarmes du web. Une forme de censure privée, c'est me semble-t-il un deuxième risque. Ce sont donc les algorythmes des GAFA qui vont décréter ce qui peut se dire et s'écrire, et éliminer aussitôt ce qui ne leur agréera pas (et effacer ainsi les preuves, mais c'est un autre problème...). On voit mal un propos au second degré faire rigoler cette intelligence artificielle, pas plus que la mise en contexte ou le clin d'oeil érudit... Iront-ils jusqu'à éradiquer sur You tube les images d'un Desproges, d'un Brassens, d'un Bedos, d'un Brel jonglant avec ce deuxième degré ? Mais bien sûr il nous restera ces phares de la pensée tordante que sont Hanouna ou Debbouze, d'autant plus fédérateurs qu'ils sont d'accès facile...
Perseverare diabolicum, est-il convenu de conclure devant ce constat. Et pendant ce temps, transparence et hygiène mentale obligent, un Robespierrisme moustachu obtient la peau d'un ministre à la vertu contestable mais respectant la légalité, et au surcroît démocratiquement arrivé dans ses fonctions... Mais y voir une manifestation de haine serait hors de propos.
On voit que monde avance, qu'il rassure et qu'il est chaque jour un peu plus moderne.

mardi 16 juillet 2019

LF Céline : y avait longtemps...

Nous en étions resté, début 2018 lorsque le projet de rééditer les pamphlets céliniens avorta, au traditionnel débat Céline-l'homme-et-l'oeuvre. Ces jours-ci, c'est France Culture (Grandes traversées) qui diffuse quelques émissions sur ces pamphlets, comme Libération le relate dans un article daté du 14 juillet. Les émissions semblent sensiblement à charge, refusant de distinguer l'homme et l'écrivain, l'esthète et le politique. Rien de bien nouveau donc, sinon que cette fois certains veulent faire de Céline un théoricien du nazisme, rien de moins. C'est ainsi que l'inénarrable et habituel Fourest proclame : "Céline s'est situé comme un porte-parole d'une vision militante du roman fasciste". Un certain Chapoutot, historien-chroniqueur à Libération, ne le lui cède en rien, qui décrit sans rire "un Céline militant pour Hitler" et exprimant "toutes les idées nazies, avec une force expressive qui n'existe pas dans la littérature nazie." Et d'en rajouter sur l'obsession de l'écroulement de l'homme blanc dans les textes céliniens, dans un parallèle avec Zemmour qui en dit long sur la hauteur de vue dudit Chapoutot. Qui en remet une couche en notant que l'écrivain était un médecin, passionné de médecine... comme les nazis. Si ça c'est pas un signe...
On a justement reproché bien des choses à Céline, outre ses propos ; son pacifisme intégral ramené de la guerre de 14, ses préventions vis-à-vis du Front populaire source de tension quand Hitler serait gage de paix, etc... Mais le voir comme un militant ou un théoricien nazi, ou même lui attribuer un réel rôle politique relève, de la part d'un historien, de la pure fumisterie. L'époque n'était pas encore aux écrivaillons qui croient refaire le monde en passant quelques minutes sur un plateau de chaine d'info. L'antisémitisme en France n'avait que foutre de Céline et se suffisait à lui-même. Ou alors il faudrait aujourd'hui de la même manière faire un procès à tous ceux qui, voilà quarante ou cinquante ans, louèrent les mérites de Pol Pot et quelques autres...
Alors oui il y a à l'heure actuelle un risque Céline car, comme le remarquait justement Serge Klarsfeld, les pamphlets sont "très talentueux, et aucun appareil critique ne tient le coup devant le torrent célinien". Cela étant, les antisémites de maintenant ont largement ce qu'il faut, sur Internet ou dans leurs mosquées, sans avoir recours aux éructations de Bardamu, qui d'ailleurs ne leur conviendrait guère.
J'ai la faiblesse de croire qu'il reste assez de gens intelligents pour distinguer les saloperies de Céline et son oeuvre hors norme : on peut ne rien pardonner à l'auteur des pamphlets et saluer ses livres. Il est curieux de voir comment ceux qui fustigent à juste titre le risque d'amalgame dans certains cas n'ont recours qu'à lui en l'occurrence. Alors on aimerait que plutôt que de produire des pages dans l'air du temps, les contempteurs de Céline fassent preuve d'arguments et non de slogans à la mode, sinon il ne restera bientôt rien à reprocher à Céline, si ce n'est un truisme du genre "c'est pas bien pour le vivre-ensemble". Et c'est bien là le vrai danger, de noyer l'antisémitisme abject d'un génie dans un gloubi-boulga militant...

vendredi 28 juin 2019

Vargas : confusions perverses

Le Point de cette semaine consacre, sous le titre "Fred Vargas : Cassandre ou faux prophète ?", un article sur les prétentions littéro-scientifiques de l'écrivaine. On sait que celle-ci a produit nombre de polars, qui se vendent très bien. Mais elle se hasarde régulièrement à des livres plus "scientifiques", arguant de son ancienne qualité de chercheur au CNRS.
Ainsi a-t-on connu en 2006 Vargas face au virus H5N1, contre lequel elle inventa une sorte de cape intégrale (un super burkini) pour s'en protéger. Car elle sait : "J'ai réalisé que l'épidémie se propage comme un feu de prairie et que, malgré tous les dénis, elle est inéluctable." La suite, ingrate, ne lui a pas donné raison.
On sait aussi que FV a animé le soutien à Cesare Battisti, ancien militant italien d'extrême-gauche accusé de 4 meurtres, réfugié en France puis en cavale, qu'elle avait décrété innocent. Aujourd'hui, même après les aveux de Battisti arrêté et extradé, elle s'appuie " non sur une conviction mais sur des recherches scientifiques et je maintiens mes conclusions". Circulez.
Elle vient de sortir "L'Humanité en péril" (Flammarion), un essai écolo-catastrophique comme l'époque les aime, dans lequel elle pronostique la disparition des trois-quarts de la population mondiale d'ici un demi-siècle. Même les plus motivés de nos climatologues en rigolent.
Bien sûr, l'impétrante retombe toujours sur ses pattes : tant mieux si la grippe aviaire a fait un flop, mais c'est elle qui avait raison. Battisti ? Elle maintient ses conclusions scientifiques.
Faut-il  voir là un problème ? Non, puisque c'est bien le privilège d'un auteur de s'inspirer de ses connaissances pour en écrire une transfiguration. Que Mme Vargas s'inspire de ses expériences simultanées d'auteure et de chercheuse (Tiens, à propos, pourquoi pas auteuse et chercheure ?) est tout à fait banal et logique.
Ce qui me parait pervers (les psy comprendront), c'est ce désir de soumettre les faits à ses désirs d'écrivain, fût-ce en niant le réel. Elle se sert de ses antériorités scientifiques, d'archéozoologue en l'occurrence (ça existe) pour poser l'écrivain et lui donner raison, comme si celui-ci ne faisait que la vulgarisation d'une Vérité. Certes, la notoriété de FV et le catastrophisme déjà évoqué se vendent très bien, mais on ne fera pas ce procès de vénalité à l'auteur. Pourtant tout cela ressemble finalement plus à un plan marketing bien ficelé qu'à une quelconque prise de conscience. Quant à la preuve que la grippe aviaire, la défense des persécutés ou le réchauffement climatique sont très importants, c'est qu'elle travaille beaucoup dessus, nous dit-elle. Peut-être finit-elle par croire à ce qu'elle a écrit.
On sait que les certitudes des petits scientifiques ne sont pas les plus molles, quitte à se révéler calamiteuses l'instant d'après. Si Fred Vargas s'inspirait de problématiques scientifiques, quelles qu'elles soient, pour asseoir une roman, il n'y aurait rien à redire : beaucoup l'ont fait avant elle, on appelle d'ailleurs ça science-fiction. Le problème vient qu'elle prétend, avec le soutien de quelques amis journalistes d'extrême-gauche, avoir écrit un essai rationnel, argumenté et objectif.
Reconnaissons toutefois un mérite à FV, c'est que, avec quelques années de recul, elle fait beaucoup rire. Et telle les généraux de Cocteau, elle ne se rend jamais. Même à l'évidence.

mercredi 19 juin 2019

Déjà parus...

A l'approche de l'été, et en attendant de se croiser au hasard d'un Salon du Livre, un petit rappel de mes œuvres :

          . Les Saints des derniers jours - L'Harmattan 2018
          . Le répountchou qu'es aquò ? - Vent Terral 2017 (avec AM Rantet Poux)
          .  Mona Lisa ou la clé des champs -L'Harmattan 2014
          .  Passeport pour le Pays de Cocagne - Elytis 2012
          .  Aveyron Croatie, la nuit - L'Harmattan 2011
          .  Histoires peu ordinaires à Toulouse - Elytis 2007
          .  Histoires peu ordinaires au Cap-Ferret - Elytis 2006 (avec Ch. Oyarbide)
          .  Week-end à Schizoland - Elytis 2005
          .  La branloire pérenne - Elytis 2002

En vente aussi dans toutes les librairies, chez l'auteur, sur ce blog (en rubrique Commentaires) ou l'éditeur.
Pour les ouvrages publiés chez l'Harmattan, disponible aussi en version numérique (www.harmattan.fr).

mardi 11 juin 2019

Du temps des intellectuels en politique

C'est un pavé. Plus de 600 pages, plus une centaine d'autres en annexes. Un bon kilo sur la balance. Le genre d'ouvrage qui assure quelques semaines de bonne lecture, si vous aimez l'Histoire et notamment le rôle des intellectuels dans celle-ci.
Le livre s'appelle "Les intellectuels français et la guerre d'Espagne", de Pierre-Frédéric Charpentier, aux éditions du Félin. Comme le titre l'annonce, l'auteur recense et analyse l'engagement des intellectuels français, de droite et de gauche, face à cet évènement majeur, complexe et tragique, que fut la guerre civile espagnole. Il montre les différents aspects de cet engagement, depuis les sincérités jusqu'aux cynismes ; on y retrouve bien sûr les grands noms connus (Bernanos, Malraux, Weil...) mais également nombre de plumes d'auteurs ou de journalistes que le temps a renvoyé, parfois à tort, dans l'anonymat. L'auteur aborde aussi les fractures idéologiques au sein de chaque camp : pacifistes-interventionnistes ou staliniens-révolutionnaires à gauche, chrétiens progressistes-maurrassiens à droite, par exemple.
P.F. Charpentier, universitaire toulousain, écrit bien, mais ce n'est pas un conteur. Et son travail se veut trop exhaustif pour être léger ; peut-être aurait-il gagné parfois à synthétiser un peu plus. Mais son ouvrage est très intéressant, à plusieurs niveaux ; on peut certes débattre du sous-titre "Une guerre civile par procuration". Mais il illustre ce que pouvait représenter l'engagement des "clercs" lettrés et le poids qui était le leur à l'époque. Et, serait-on tenté d'ajouter, la force de leur pensée et de leur parole.
Comparer les époques ne présente guère de sens, mais on regrettera que cette force, diverse, multiple, contradictoire, polémique, violente souvent, hétérogène, qui offrait un débat de haut vol, que cette force se soit liquéfiée au fil du temps. On a perdu à la fois l'essence pamphlétaire, la hauteur de vue et la qualité de plume : la télévision, l'affairisme et la démagogie y ont gagné, la démocratie et le débat y ont perdu.
Quoi qu'il en soit, si le sujet vous intéresse, "Les intellectuels français et la guerre d'Espagne" vous offre un aperçu très complet d'un temps qui pensait.

mardi 4 juin 2019

D'Appollinaire à Daesh

L'actualité a ceci de remarquable qu'elle permet immanquablement de constater la redondance des choses, et par là même de montrer que c'est le regard porté sur ces choses qui autorise l'esprit critique.
Ainsi ces jours-ci compte-t-on les ressortissants français condamnés à mort en Irak pour leur appartenance à Daesh. On atteint désormais la douzaine. Le gouvernement français a pour position de les laisser juger là-bas, où ils ont sévi ; mais la France demeurant fidèle à son opposition à la peine de mort, elle insistera pour que cette peine soit commuée en perpétuité. Je ne serais pas surpris si un proche avenir voyait surgir des complications ou des contradictions, mais la position française me parait cohérente, malgré les habituels cris d'orfraie de quelques impuissants aux mains forcément propres.
Flash-back : en août 1914, Guillaume Appollinaire veut s'engager dans l'armée française (ce qu'il n'obtiendra qu'en décembre), pour remercier le pays qui l'a accueilli enfant, qui l'a éduqué et qui lui a permis de s'exprimer. Pas la CMU, pas le RSA, pas les Allocs, simplement de quoi vivre, apprendre et créer...
Les condamnés français d'Irak sont généralement, eux aussi, issus de l'immigration. Ils ont quitté la France pour aller aider les terroristes qui entendent la détruire.
Si l'attitude d'Appollinaire, et avec lui de nombreux autres étrangers, auteurs ou rapins de Montparnasse ou de Montmartre dont le mode de vie ou les oeuvres n'avaient rien de va-t'en-guerre, si cette attitude conforte la grandeur d'une France terre d'asile, celle des salafistes appelle des constats plus mitigés et des analyses plus subtiles. Il y aurait la nécessité d'un débat apaisé, par exemple sur la dimension culturelle de l'intégration ou le sens des migrations. Malheureusement on en est loin, et sans doute pour longtemps.

lundi 27 mai 2019

Une belle çonnerie...

En ces temps d'élections, il n'est pas inapproprié de poser la question "De quoi l'efficacité politique est-elle faite ?". Sans doute de qualités d'analyse, et de synthèse, de ténacité, de cynisme, de courage, etc... Mais aussi du sens de l'Histoire, du passé qui colle aux bottes et du futur qu'il faut façonner, quand le présent et sa dictature de l'instant ne laisse guère de loisir à la réflexion. Et donc de la nécessité d'une culture, politique et historique, chez le personnel politique.
Au niveau de la société, chez l'électeur lambda, le gilet jaune ou l'abonné au gaz, il y a longtemps que les titres des musiques d'Ennio Morricone se sont effacés derrière les marques de la pub qu'ils accompagnaient ; idem pour les morceaux classiques recyclés en sonneries de portable. Aujourd'hui, même sur les futures "élites" supposées, tendance Unef ou Sciences-Po, l'inculture s'est abattue et veut en imposer aux autres ; on décontextualise et on réécrit l'Histoire, entre stupidité ignorante et mauvaise foi intéressée. Les Suppliantes d'Eschyle sont ramenées à une lecture, en contresens anachronique, de campus américain du XXIème siècle, alors que la vieille pièce offre tout ce qu'il faut pour aborder l'altérité et le déracinement. Pierre Loti, Malaparte, Audiard, Voltaire lui-même, et beaucoup d'autres, voient leurs écrits relus à la mode de maintenant. L'écriture inclusive, débilité communautariste et totalitariste, participe de cette fâcheuse (fasceuse ?) tendance contemporaine à voir l'Histoire de monde à la lumière de son nombril, forcément éclairé. Et ajoutons que l'impossibilité d'user du second degré, sauf à courir de gros risques, ne relève en rien la finesse d'expression de ces débats de cornecul.
Pour en revenir aux politiques, on sait qu'ils doivent être peu ou prou en phase avec leur peuple : on ne s'étonne pas des Roujon Macquart de l'un, du Zadig et Voltaire de l'autre, ou des errements d'un porte-parole de gouvernement attribuant à Marc Bloch le concept maurrassien de pays légal-pays réel.
Il faudra hélas s'y faire : l'inculture est un pilier de la société du consommateur, qui a remplacé le citoyen, et tout autant une arme de pouvoir. A quand un ministre ou un président qui fera de Mozart ou Beethoven un auteur de sonneries de portable ? Ce jour là, restera-t-il quelqu'un pour dire, comme Bobby Lapointe, que pour une belle sonnerie c'est une belle sonnerie ?

dimanche 19 mai 2019

Valéry, Debray, l'Europe

Tout n'est pas négatif dans les élections européennes ! Ainsi est-ce l'occasion pour Régis Debray de publier simultanément "L'Europe fantôme" (Gallimard) et "Un été avec Paul Valéry" (Equateurs). Ce dernier ouvrage permet de redécouvrir Valéry le sétois, et pas seulement pour son "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.", même si ces vers donnent de plus en plus à penser. Car Valéry, hélas un peu tombé dans l'oubli, avait eu des fulgurances qui, depuis ses années 20, avaient à peu près tout prévu. Celui-ci rêvait d'une "société des esprits" à l'échelle européenne, mais son Europe à lui était celle accouchée de la Mare nostrum méditerranéenne, "là où ont conflué la géométrie grecque, le droit romain et la conscience chrétienne." Mais il a vite saisi en 1945 qu'une civilisation atlantique allait supplanter la méditerranéenne. On connait la suite.
Aujourd'hui l'Europe du nord a pris le pas sur l'Europe du sud et sa "pensée de Midi" (Valéry), pour "une Europe managériale qui parle anglais et qui pense américain" (Debray). On a pensé, naïveté ou inculture d'économiste, qu'on pouvait faire un peuple avec une monnaie ; on a juste un néolibéralisme destructeur qui produit en réaction des populismes inquiétants. Il n'y a pas de peuple sans imaginaire commun, et le seul imaginaire partagé désormais est un imaginaire venu de Californie : il n'y aura pas de peuple européen avant longtemps. Et pourtant, veut croire Régis Debray, notre vieille Europe reste encore un endroit où "l'économie ne fait pas la loi, où le politique a le pas sur le business, et le forum sur la banque".
On sait le médiologue critique vis-à-vis des Etats-Unis, et de cette forme d'Europe qui selon lui en découle. Son propos peut être critiqué. Mais celui-ci a au moins le mérite d'être plus intéressant que les discours poussifs des listes en campagne, davantage formatées pour la politique intérieure, entre démagogie populo-souverainiste et arguties techno-mondialistes. Et Debray de citer fort opportunément, au sujet des militants européistes, la définition de l'amour selon Lacan : donner ce que l'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.
 Et je me surprends à rêver, tel un Valéry, à une Europe des esprits...

mercredi 15 mai 2019

Verte campagne, ou comment perdre une voix...

Pendant les campagnes électorales aussi, il arrive des choses dont on ne sait s'il convient d'en rire ou d'en pleurer. Ainsi l'autre jour, voguant au gré des humeurs de ma zapette, je tombe sur un débat sur C8, dans l"émission de Pascal Praud ; celle-ci s'appelle "punchline" et illustre assez bien l'air du temps, vaguement beauf et réac. Quelques invités s'invectivent, s'interrompent, parlent en même temps, rivalisent de slogans simplistes et accessibles : bref un débat (?) pour divertir, davantage que pour se faire une opinion ou élever sa pensée.
C'est là que s'est fourrée Claire Nouvian, militante écologiste connue, parait-il, et embarquée en 78ème position sur la liste Glucksmann, dont elle est une des têtes d'affiche. J'ai pris l'émission en marche mais assez tôt pour constater qu'elle n'était pas dans cette disputatio pour débattre mais pour conférencer, si j'ose dire, du nom de ces activités, généralement rémunératrices, qui occupent nos penseurs contemporains. Elle récite donc le discours habituel sur le réchauffement climatique qui va tuer la planète par la faute de l'homme. Manque de chance, ou comme de bien entendu, ses contradicteurs ne sont pas sur la même longueur d'onde. Et c'est là que les choses dérapent : on sait bien qu'un politique vise plus à convaincre le téléspectateur-électeur qu'à changer l'avis de ses opposants, mais un débat a sa logique, c'est justement de débattre en échangeant des idées différentes. Quant on objecte à Madame Nouvian, à tort ou à raison, que si la modification climatique de puis trente ans est incontestable, cela ne nous dit rien de la durée et de la portée historique du phénomène, elle ne le supporte pas : "Mais vous êtes dingues !" Malgré la puissance de l'argument, le camp d'en face insiste et reste prudent, en conséquence, sur la responsabilité de l'homme dans ledit phénomène. "Mais vous êtes tarés !" vocifère l'égérie verte. L'échange (?) devient bruyant, on entend "c'est vous qui êtes dingue", "religieuse", "rétrograde", "folle"... dans ce pugilat verbal. De son air de chattemite, Praud invite à se calmer, et souhaite qu'on puisse parler du climat sans être "hystérique". "Ah, c'est parce que je suis une femme !" hurle l'héroïne. Je vous fais grâce de la suite.
On pourrait rire de tout cela ; pourtant quelque chose me fait peur. Je ne sais pas si Madame Nouvian sortait d'un apéritif trop arrosé, ou si elle s'est trompée dans le dosage de son nouveau médicament, si elle s'était donné du courage avec un produit illicite ou immoral, ou si elle est toujours comme ça. Mais si je m'en tiens à sa prestation ce n'est pas conférencer que j'aurais du écrire, mais prêcher. Car toute sa réthorique repose sur un dogme de départ, un présupposé qui ne saurait être mis en doute. Car le dogme est sacré, d'ailleurs si on ne le considérait pas comme tel, il pourrait bien s'effondrer tout seul ! En gros, l'argumentation commence par "Puisque les choses sont ce qu'elles sont", à partir duquel on déroule l'argumentation : malheureusement rien ne prouve que les choses sont ainsi. Certes Madame Nouvian et une certaine frange écolo ne sont pas les seuls à procéder ainsi, mais une idéologie qui a fait du terme "sceptique" une insulte puis une injure ne me dit rien de bon. Et on est est à présent à "climato-négationniste", entendu dans la bouche de notre candidate : et là on a beau savoir que tout ce qui est excessif est dérisoire, on est au bord de l'abjection.
Si cela présentait le moindre intérêt j'ajouterais que la liste Glucksmann faisait partie de celles pouvant encore prétendre à ma voix le 26 mai, car justement Glucksmann me semblait porteur d'idées de débat. Mais là...
J'ai souvent, dans ce blog, dénoncé les fantasmes totalitaires de certaines idées à la mode et bienpensantes. On a connu la totalitarisme brun et le totalitarisme rouge. Désormais on pourrait craindre également le vert. Contrairement à ce qu'on dit, les goûts et les couleurs se ressemblent souvent.

vendredi 3 mai 2019

Renaissance (pour les nuls)

L'actualité dans ce pays est à la Renaissance : le fantasme de nouveau monde parvenu au pouvoir en 2017, la récente lettre aux Français intitulée Renaissance, la commémoration de Léonard de Vinci, ... et le nom de la liste macronnienne aux élections européennes.
On sait que ce terme est riche, pour les pubards : renaissance, essence, sens... et l'idée même de ce qu'il évoque est sympathique. Le seul problème est que les acteurs ne sont pas à la hauteur de la pièce, et c'est ainsi qu'on définit cette période par rapport à celle qui l'a prétendument précédée. Et Madame Loiseau, qui une fois de plus vole assez bas, n'a pas échappé aux clichés en expliquant le nom de sa liste par l'habituel concept d'une nouvelle et brillante civilisation succédant à l'obscurantisme du Moyen-Age.
Nous y voilà. Depuis le début des Lumières, on nous rabat les oreilles au nom qu'il y aurait eu dans l'Histoire deux périodes éclairées : l'Antiquité puis la Renaissance, qui a ouvert l'ère merveilleuse dans laquelle nous vivons encore. Entre l'Antiquité et la Renaissance, un Moyen-Age obscur, sale, grossier et barbare, fait d'inquisition, d'autodafés et de terreur diverses. Certes ce moment de l'Histoire ne fut pas un long siècle tranquille, mais je ne sache point qu'il ait eu l'exclusivité de la répression des idées ou du terrorisme religieux. Et la violence n'a pas disparu depuis, même si ses formes ont pu varier. Sur le plan de la science, il fut quand même le temps des moulins, de l'horlogerie, de l'imprimerie, de la cartographie, des bains publics (tradition qui se perdra sous la Renaissance et ses parfums), etc... Ces siècles furent aussi ceux d'Averroes ou d'Avicenne, ceux des châteaux et des cathédrales : il faut un certain degré de mauvaise foi ou d'inculture pour prétendre que l'architecture du Moyen-Age était "obscurantiste".
Donc Madame Loiseau se révèle ici un peu fainéante. Peut-être est-il difficile pour une juppéo-macronienne contemporaine de comprendre une époque inscrite dans le temps long et portée par un élan spirituel, quand notre temps se réduit aux errements du CAC 40 et aux aboiements de rond-points. Et la communication politique ne pousse pas à la subtilité. Cela dit, on peut avoir assez de noblesse personnelle pour éviter la médiocrité.

lundi 29 avril 2019

Notre Drame de France

La France est ainsi faite que tout y est matière à chamaillerie, nobles causes ou faits divers. En l'occurrence le sujet en vaut la peine : comment restaurer Notre-Dame de Paris après le drame. Personnellement ce travers français ne m'est pas a priori antipathique, ni sur le fond (peu de pays au monde sont capables de s'emplâtrer sur un tel thème) ni sur la forme lorsqu'elle est avenante (on connait mon intérêt pour les pamphlets). Pourtant, à ce stade du débat non seulement je ne me suis pas fait d'opinion définitive, mais je suis encore aux prises avec une certaine perplexité.
D'abord parce que l'affrontement entre les tenants d'une restauration à l'identique et les partisans d'un ajustement architectural contemporain serait plus transcendant s'il n'était pas surfait pour des raisons essentiellement partisanes, donc quelque peu caricaturales. Les "conservateurs" arguent de la culpabilité de n'avoir pas su, pour notre génération, transmettre Notre-Dame comme nous l'avions reçue, n'osent pas toucher à un symbole de huit siècles et demi et réclament bizarrement  qu'on refasse telle qu'elle était la flèche de Viollet le Duc, d'un néogothique pour le moins discutable, qui date de... 1860.
En face, ceux qui entendent profiter de l'occasion pour laisser une trace de la vie de la cathédrale, tout en la rendant plus "sécure", comme on dit de nos jours. Les "conservateurs" se veulent fidèles et respectueux du spirituel. Les autres se veulent pragmatiques, modernes et inscrits dans l'Histoire. Les premiers fustigent une volonté profane et macronienne de marquer un passage ; les seconds agonisent la droite et l'extrême-droite réactionnaires. On l'aura compris : les premiers sont proches de l'opposition, les seconds de la majorité.
On aura compris aussi que, parti de haut, le débat a baissé de quelques crans.
Alors, plutôt que de vouloir reconstruire Notre-Dame "plus belle encore" et en moins de cinq ans ou de vouloir en réponse dénoncer un narcissisme présidentiel et moderne, serait-il inenvisageable de laisser la parole aux experts, quels que soient les travers qu'on peut leur connaitre, et d'attendre des avis sensés ? et d'adopter des postures modestes face aux siècles qui nous contemplent ?
Dans mes jours d'optimisme, je me prends à croire qu'il doit être possible de bâtir du beau, du spirituel, du contemporain, du grand,... dans le même geste, car c'est bien in fine notre regard qui donnera à l'objet architectural sa dimension.

mardi 16 avril 2019

L'Unef des fous

Prenons les choses dans l'ordre, sans exhaustivité hélas mais de manière chronologique.
Il y a quelques jours, un groupe de nervis étudiants de l'Unef envahit la Sorbonne, lieu hautement symbolique, et interdit la représentation d'une pièce d'Eschyle, au prétexte que les acteurs sont grimés de noir, selon la tradition du masque antique signifiant que les personnages étaient d'une couleur de peau particulière : nos godelureaux (-relles) sont infoutus d'y voir autre chose qu'un blackface, selon la pauvre culture américaine qui les a nourris.
Hier soir, alors que Notre-Dame de Paris flambe sous les regards du monde entier, la vice-présidente de l'Unef de Lille fait son show sur Twitter, dans le langage qui y sévit :"Je m'en fiche de notre-dame de paris car je m'en fiche de l'histoire de france je sais pas quoi" "Jusqu'à les gens vont pleurer pour des bouts de bois" "wallah on s'en balek objectivement c'est votre délire de petit blanc"...
Simultanément un membre du Bureau national ironise à son tour "ça y est drame national, une charpente de cathédrale brûle".
Evidemment, suite à ce feu d'artifice de subtilité et de culture, les réponses tombent en masse, pas vraiment consensuelles, et la présidente nationale s'en offusque, défendant mordicus les deux blaireaux (-relles). Elle s'en désolidarisera vaguement un peu plus tard.
Jadis l'Unef était le tremplin de carrière des jeunes ambitieux de gauche. Aujourd'hui elle est devenue, comme le dit Pierre Jourde (un ancien de la maison) un syndicat de talibans et un mélange de SA et de Gardes rouges. Si le futur de la gauche de demain est à chercher chez ces abrutis là, il y a quelques soucis à se faire, et je m'en vais de mon côté désespérer de l'avenir du monde.

mardi 2 avril 2019

Salon du livre de Figeac

L'édition 2019 du Salon du Livre de Figeac se tiendra le

                        Dimanche 07 avril 

                       de 09 h à 18 heures

               Espace François Mitterrand

L'occasion de nous y rencontrer ?

vendredi 29 mars 2019

Truffaut, Critiques et temps qui passe...

Il est beaucoup question de François Truffaut dans la presse de ces jours-ci, avec la réédition chez Gallimard de ses Chroniques (1954-58), chroniques constituées de critiques, souvent au vitriol, sur un bon nombre de réalisateurs de la période. Avant de devenir un grand réalisateur, Truffaut fut un critique à la plume acérée, impitoyable et doué, parfois génial, souvent injuste, toujours inscrit dans la culture de ces années là, flinguant allègrement le cinéma commercial et, surtout, "bourgeois".
Mais si j'évoque ces critiques, c'est moins pour le fond que pour la forme. On qualifie aujourd'hui le Truffaut critique de féroce, impitoyable, incendiaire, caricatural, outrancier et j'en passe. Et si la critique, au delà de l'analyse de fond, c'était aussi cela, une forme de pamphlet où l'élégance de l'expression vient enfoncer l'oeuvre visée tout en élevant le propos ? Et il y faut sa part d'outrance, de férocité et de mauvaise foi, dont d'ailleurs personne n'est dupe et qui crée même une atmosphère de complicité entre protagonistes. Truffaut ne s'y montre ni injurieux ni calomnieux, et il ne flatte pas la sottise populaire.
A présent, en des temps qu'on voudrait apaisés (mais où le refoulé revient régulièrement au galop) on ne supporte guère que la médiocratie et le consensus mou. Et là où nous avions jadis un langage ou une écriture fleuris et le duel si le sens de l'honneur s'en mêlait, nous vivons aujourd'hui sous le sabir des communicants et les procès systématiques. Sans doute ce qu'on nomme Progrès.

mercredi 20 mars 2019

Salauds de pauvres (d'esprit)...

Acte XVIII, ou je ne sais plus combien, de cette queue de comète du mouvement nommé Gilets jaunes. Au bout de quatre mois d'une insurrection pour débutants, l'intéressant mouvement initial en est réduit à une mobilisation qui ne remplirait pas un stade de Ligue 1. Pourtant cette micro-agitation, excitée par trois ou quatre têtes-à-claques, suffit à pourrir la vie et l'économie française, grâce à une radicalisation violente.
Les ultras s'en prennent aux symboles, nous dit-on. Certes. Mais quelqu'un peut-il m'expliquer la logique militante qui se niche derrière la destruction des kiosques à journaux ? Ces kiosques, qui datent du second Empire, appartiennent au patrimoine parisien ; on y trouve la presse, populaire ou savante, les tabloïds, les programmes télé, les grilles de sudoku, les revues coquines... dans lesquels chacun trouve ce qu'il veut. Quant aux kiosquiers, dont le nombre d'heures de travail dissuaderait n'importe quel Gilet jaune, ils sont juste des travailleurs pauvres : leur taux horaire est parfaitement ridicule, mais eux travaillent, et sans emmerder personne. Alors pourquoi ?
Faut-il voir dans ces autodafés de blaireaux une attaque de la démocratie, à travers la destruction d'une presse qui reste la meilleure illustration de celle-ci ? Faut-il y voir une jouissance mauvaise à voir brûler livres et journaux, en référence aux autodafés d'une autre époque ? Faut-il y voir simplement une revanche de frustrés sur ce papier rappelant une scolarité douloureuse ?
Je crains que, quelques soient les explications si tant est qu'il y en ait, il ne faille y trouver qu'une pauvre pulsion de crétins impuissants, pervers et incapables de lire. Et que ces ceux-ci arrêtent de s'abriter derrière un mouvement qui valait mieux que ça. Et que les Gilets jaunes, s'il en reste, prennent enfin leurs responsabilités, s'ils savent ce que c'est.

lundi 18 mars 2019

Delbourg, fils de chamaille

Le dernier titre de Patrice Delbourg, Fils de chamaille (Le Castor astral) est un ouvrage comme on en fait peu : il n'est pas bâti sur l'idée sirupeuse du consensus moderne. C'est même l'image d'un ring, posé sur une couverture de livre, qui décore celle-ci. Et la suite est un long combat de poids lourds.
A ma gauche, Aimé Ratichaud, à ma droite Gaetan Malinois. L'un est un vieil auteur has-been, d'origine prolo, amateur combatif de langue et de littérature. L'autre est un jeune économiste promu éditeur, fils de bonne famille, genre start-uper, qui ne jure que par les chiffres. Pas forcément original comme pitch, mais ça le devient lorsque s'opposent les caractères. Au pragmatisme cynique du jeune blanc-bec se heurte la misanthropie atrabilaire, grincheuse et lyrique du vieil auteur pour qui, disons-le, le lecteur a plutôt tendance à prendre partie. Et on s'embarque pour 300 pages de franche engueulade.
Vieil auteur à la dérive qui a hérité de sa mère (la "chamaille") un caractère de cochon, et qui mène le bal d'un pugilat verbal picaresque et d'un dialogue de haute volée. Dialogues outranciers, hystériques, déjantés, d'une parfaite mauvaise foi, dignes d'un capitaine Haddock des meilleurs jours, dans un déluge de vocabulaire comme on n'en trouve plus... Il se trouvera bien quelque pisse-froid pour regretter qu'il faille souvent avoir recours au dictionnaire (et un bon), qu'on y trouve quelques ficelles houellebecquiennes, ou que sur 300 pages c'est longuet. Mais le numéro de Delbourg est une virtuosité d'écriture, de style et d'érudition, qualités d'une littérature en perdition.
Au delà de l'écriture on appréciera, du moins pour ceux qui connaissent un peu le milieu, la peinture un rien pamphlétaire du monde de l'édition et du livre, ses difficultés, ses travers et ses hypocrisies ; du narcissisme des auteurs jusqu'au consumérisme du lecteur en passant par le double, ou triple, ou... des professionnels ou des critiques, personne n'en sort indemne, sans que le moindre jugement ne soit prononcé, même si le fond de la pensée de l'auteur ne laisse guère de doute...
Pour en revenir à la littérature, le livre de Patrice Delbourg, qui ne cache pas ses références à Flaubert, brasse large et vise juste. Loin d'être facile à consommer, il s'appuie sur l'humour, l'érudition et... l'expérience. C'est un objet littéraire difficilement classable, mais qui réconforte par sa dimension profondément humaine, loin du consensus et de ce qu'on nomme objectivité.

lundi 4 mars 2019

E.E. Schmitt ou l'éloge de la daube

Dans l'Obs de cette semaine, l'excellent David Caviglioli relate une expérience intéressante, celle de son immersion dans un happening que précise le titre de son article : "Les leçons d'écriture de Monsieur Schmitt". Car c'est bien Eric-Emmanuel Schmitt qui propose, par officine interposée, une masterclass, un séminaire, un cours de littérature, appelez ça comme vous voudrez. Le principe commercial : faire croire à tous les scribouillards en mal d'inspiration ou d'édition que tout va devenir simple. Moyennant entre 100 et 500 euros ils bénéficient des propos d'un gros producteur littéraire (on peine à écrire écrivain) de première force. Et le succès est énorme, nous dit-on.
Mais l'intérêt essentiel de l'article tient dans sa conclusion. Caviglioli observe, à juste titre, que le marché du roman est "commercialement dominé par de mauvais romans. Par des écrivains qui écrivent mal." Et de citer quelques noms, comme Marc Lévy, et de penser très fort à d'autres, dont le susnommé Schmitt. Et il observe qu'en comparaison un musicien classique à succès est quelqu'un qui sait jouer, un cavalier émérite est quelqu'un qui sait chevaucher, et même un chanteur de niaiseries (ça s'est vu) dispose d'un minimum de talent d'interprétation. Il semble bien qu'il n'y ait qu'en littérature que le médiocre accompagne  le succès avec autant de constance.
Les éditeurs de best-seller ne s'en plaignent pas ; on a coutume de dire, à propos du Prix Goncourt (pas le pire), que c'est l'ouvrage qu'achètent les gens qui n'achètent jamais de livre pour les offrir à des gens qui n'en lisent jamais : peut-être y a-t-il là une explications de marketing, quant à la demande du grand public et  la prescription médiatique. Quoi qu'il en soit, le constat de Caviglioli, pour amer qu'il soit, est difficile à contester... 

mercredi 27 février 2019

De la tentation opportuniste de réécrire l'Histoire

La période, on le sait, est au débat, pas forcément nouveau, sur l'antisémitisme et l'antisionisme et les différences -ou pas- entre les deux. Israël étant au coeur de la problématique, au traditionnel antisémitisme s'est greffé un antisionisme lié au conflit israëlo-palestinien. Antisionisme désormais largement installé dans les banlieues, parait-il, et qui permettrait selon certains d'être aujourd'hui, selon le mot de Jankélévitch, "démocratiquement antisémite"...
Pendant ce temps, vient de paraitre en France un "Les musulmans et la machine de guerre nazie" (La Découverte) sous la plume de David Motadel, un jeune historien allemand. Je n'ai pas lu le livre, juste quelques critiques sur l'ouvrage. J'ai donc cru comprendre que le postulat de l'auteur vise à tordre le cou à ce qu'il estime être le "cliché" d'une alliance objective entre nazis et musulmans, au vu des résultats de l'Islampolitik hitlérienne. Preuves à l'appui selon lui, l'échec de cet Islampolitik à mobiliser les grandes contrées musulmanes au profit de l'antijudaïsme allemand. Bref à l'en croire les musulmans de l'époque auraient mis Hitler en échec...
Qu'il faille en toute chose raison garder, on ne peut que souscrire au propos. Et on peut en effet constater que le Maghreb ou l'Afrique ne s'embrasèrent pas contre les Juifs ; à l'inverse on ne notera pas non plus, dans ces contrées, de grands signes d'opposition au IIIème Reich, mais cela vaut pour bien des régions dans la période. Et nombre de nazis y trouvèrent refuge après la guerre.
Par contre, Motadel ne peut passer sous silence l'engagement auprès des nazis du Grand Mufti de Jérusalem, Al-Husseini, ou de celui de Pologne Szynkiewicz. Mais il ne s'agirait là que de musulmans "embrigadés", selon le terme utilisé par Omar Saghi dans son article pour l'Obs, article titré sans rire "Comment les nazis ont tenté d'instrumentaliser l'Islam". En clair, on retrouve ici à propos des musulmans la vieille réthorique gaulliste selon laquelle les Français, hormis quelques crapules "embrigadées" étaient tous des résistants.
Je ne suis pas historien, et n'entends pas le devenir. Cependant j'ai longtemps travaillé, pour la rédaction d'Aveyron Croatie, la nuit (L'Harmattan 2011) sur la division SS musulmane Handjar, dont un Bataillon atterrit à Villefranche-de-Rouergue en 1943.
Cette division, la 13ème Division SS, composée essentiellement de volontaires musulmans bosniaques, est sans doute la pire de toutes, au delà même de la sinistre Das Reich car ses méfaits sont beaucoup plus nombreux. Créée à l'initiative de Himmler, pour qui l'Islam était la seule religion compatible avec la guerre, elle a témoigné d'un engagement sans faille auprès des nazis et des oustachis, et accessoirement auprès de leurs charniers et de leurs camps d'extermination.
Encore une fois, et sans ajouter à la polémique ni évoquer la descendance d'Al-Husseini, il serait convenable de ne pas réécrire l'Histoire, fût-ce pour de supposées bonnes intentions (celles qui pavent l'Enfer...). On peut ensuite analyser celle-ci comme on l'entend, mais les faits ont une particularité, celle d'être têtus.

jeudi 21 février 2019

Salon du Livre Onet le Chateau (Aveyron) 03 Mars 2019

L'édition 2019 du Salon du Livre et des Auteurs d'Onet le Chateau (Aveyron) se tiendra

                        Dimanche 03 Mars
                    de 10 heures à 18 heures
          Salle des Fêtes d'Onet le Chateau

L'occasion de nous y rencontrer ?

jeudi 14 février 2019

Jourde, vaches de lectures...

J'évoquais dans mon précédent billet Le voyage du canapé-lit de Pierre Jourde ; je n'ai pas mentionné les diverses émotions, fortes et touchantes, que suscite la fin du livre... Parmi celles-ci , même si elle n'est pas la plus essentielle, il en est une qui me touche particulièrement. J'ai déjà noté dans ce blog (voir en septembre 2012 et Novembre 2013) comment le Pays perdu cantalou de Pierre Jourde me renvoyait à mon Rouergue natal. Et j'ai la faiblesse de croire que nos références communes expliquent une certaine communauté de pensée face à bien des aspects du monde qui nous entoure... Mais là n'est pas le propos.
Dans les dernières pages du Voyage (celui du canapé, pas celui de Céline), Jourde affiche le plaisir qu'il éprouve à croiser les troupeaux sur ses routes, et les satisfactions qu'il connut enfant à garder les vaches, avec pour seule compagnie celle d'un livre. Et cela, nous sommes très peu d'auteurs dans le landerneau littéraire à pouvoir nous en flatter ! Et pour avoir si souvent meublé ces longues demi-journées de garde bovine (parfois un peu distraite) en plongeant le nez dans un ouvrage, à plat ventre dans l'herbe le plus souvent, je pense pouvoir partager les mêmes sensations que Pierre Jourde.
Et il ne s'agit pas d'un cliché folklorique ni de sentimentalisme nostalgique, surtout sous la plume de Jourde : celui-ci sait dire la vie sans puérilité ni moralisme, et surtout parler des humbles sans mépris ni condescendance. Même s'il est né à Créteil, avant de devenir universitaire, ses souvenirs sont ceux d'un ancrage dans la vraie vie rurale, rude et forte. Souvenirs qui mettent à l'abri des tentations de démagogie et de flatterie vis-à-vis des puissants. C'est même ce que certains d'entre eux ne lui ont jamais pardonné. Les vaches...

jeudi 7 février 2019

Pierre Jourde écrit et le canapé lit


Enfant terrible de la littérature française et bête noire de l'establishment, Pierre Jourde poursuit désormais sa carrière littéraire chez Gallimard. Il ne s'est pas pour autant soumis mais il impose peu à peu son talent dans une oeuvre qui en fait un des tout meilleurs écrivains français contemporains.
Dernière livraison, Le voyage du canapé lit, ou comment le retour d'un vieux canapé-lit, plutôt moche, depuis Créteil jusqu'à sa maison d'origine dans le Cantal fait l'objet d'une transhumance dans un Jumper Citroën, où deux frères et une belle-soeur ("trois hommes dont une femme", dixit Jourde) revivent leur histoire familiale. Le pitch est maigre et pourtant le récit est riche, où on voit les parallèles se rejoindre.
J'ai déjà souvent eu l'occasion de le dire dans ce blog, l'écriture de PJ est intelligence et ambitieuse, posture de plus en plus rare, à la fois "technique", ouvragée et humoristique. Il y a certes une part de narcissisme et une autre de potacheries, sans compter quelques digressions plus ou moins capillotractées, que chacun goûtera comme il l'entend, mais l'humour est toujours fin et de bon aloi.
Disons-le, Le voyage du canapé-lit n'a pas la chair ni la profondeur du beau Pays perdu, qui me fit découvrir l'auteur voilà plus de quinze ans, mais on s'y laisse aller et on rigole. Intelligence et humour n'étant plus depuis longtemps ni forcément synonymes ni automatiquement compagnons, on appréciera d'autant...

lundi 28 janvier 2019

Régis Debray et la frontière

Les hasards (un peu relatifs quand même) d'un travail littéraire m'ont amené à relire le petit Eloge des frontières de Régis Debray, publié en 2010 chez Gallimard, qui est une petite merveille de réflexion, de rhétorique et de littérature.
Ce livre d'une centaine de pages reprend le texte d'une conférence donnée à Tokyo, dans lequel le philo-médiologue aborde la question des frontières ou plutôt, fondamentalement, de la frontière. Non pas au sens douanier du terme, ni même au sens politique, mais en tant que limite et démarcation. Il fustige la commode "lâcheté" à la mode qui voudrait que l'humanité vivrait mieux sans frontières, et il démonte la vanité et la vacuité du village global fantasmé, fait d'errance et de transparence. "La frontière survit à sa métamorphose", nouvelles et anciennes frontières se créent ou se recréent, "Le trait culturel ne fait pas de bruit mais traverse le temps", le constat de Régis Debray est implacable.
Bien au delà de la "manie colonisatrice" qui transforme les frontières en affrontement potentiel, l'auteur plaide pour une idée de frontière ou limite qui permet à chacun de vivre libre sur son territoire, avec ses moeurs et sa culture. "Pour se dépasser mieux vaut commencer par s'assumer". Plutôt que de risquer un retour du refoulé, encensons la richesse et la diversité des cultures, au lieu de vouloir systématiquement les mélanger...

lundi 21 janvier 2019

Houellebecq, démon d'avant minuit......

Est-il convenable de voler au secours du succès ? Est-il nécessaire de rajouter un papier sur Houellebecq ? Chacun jugera. Pourtant c'est ce que je vais faire. A une époque où la dictature du bonheur et de l'optimisme, gros marché s'il en est, rejette toute production un peu pessimiste, le livre de Michel Houellebecq offre, comme à chaque fois et paradoxalement, une bouffée d'air pur !
Car on retrouve dans Sérotonine (Flammarion) les ingrédients habituels de doute existentiel et de sinistrose, avec peut-être un peu moins de sexe (la chute de libido du narrateur expliquant sans doute cela) et, me semble-t-il, autant de désespérance et un peu plus de noirceur. On y retrouve sa marque de fabrique, les humeurs d'un mâle blanc occidental à la dérive  incapable d'aimer et d'être aimé ; le tout se déroule, notamment, sur fond de crise de l'agriculture contemporaine, et ceux qui connaissent un peu le sujet apprécieront la perspicacité de l'ingénieur agronome Houellebecq, qui voit et écrit juste.
J'évoquais à son propos, en 2015, pour Soumission, sa vision s'une société orpheline et agonisante, acculturée et déshumanisée. Sérotonine est dans le même ton amer et douloureux. Heureusement, au milieu des larmes il y a toujours l'humour de l'auteur, qui rend possible de survivre à la lecture du livre...
Alors oui les livres de M.H. peuvent être inégaux mais ils ont fait une oeuvre. Et c'est cette oeuvre, même si l'on n'est pas un fanatique de Houellebecq, qui fait de la sortie d'un nouveau titre un vrai évènement.

samedi 12 janvier 2019

Rambaud le Magnifique

Parvenu à la grande notoriété avec le Goncourt 1997 pour La Bataille (Grasset), le graphomane Patrick Rambaud, académicien Goncourt depuis 2008, est resté au premier plan avec notamment ses Chroniques annuelles sur les présidents de la République, depuis Chronique du règne de Nicolas 1er en 2008 aussi. Nous en sommes aujourd'hui à Emmanuel le Magnifique (Grasset).
Pour qui aime la littérature (il en reste) et la politique (encore quelques uns), le travail de Patrick Rambaud est un régal. Car il connait bien la politique, son monde, ses a-côtés et ses hors-micro, et sous  l'humour sa posture critique et cultivée est celle du collaborateur du Canard Enchainé qu'il est. Son regard est incisif et mesuré, il ne prétend jamais à l'objectivité, au contraire, mais à l'honnêteté. Vis-à-vis de Macron il  en est de même : sa plume est souvent féroce vis-à-vis du Manager maximo, mais en même temps non dénuée de tendresse pour un personnage, au sens théâtral du terme, qui est lui-même cynique mais aussi parfois trop cultivé pour ne pas être maladroit sinon naïf, et trop seul pour ne pas être vulnérable. Rambaud y voit un effet de l'éducation chez les Jésuites...
Patrick Rambaud n'a pas la réputation d'être consensuel ni mondain, ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas sympathique. Il n'est pas toujours tendre avec les choix du Jury auquel il appartient, qui selon lui privilégie des options "grand public", ni flatteur envers ses collègues : voir dans l'Obs du 3 janvier comment il exécute l'enflure Eric-Emmanuel Schmidt.
Reconnaissons à Rambaud, en sus de son talent littéraire, d'avoir entretenu une certaine intégrité, chose de plus en plus difficile et donc rare. Dans ses attitudes comme dans ses divers écrits, il est un homme honnête.