mardi 29 octobre 2013

Brasillach, et pourtant...

On sait depuis longtemps que les intellectuels ou artistes, et les auteurs singulièrement, ont l'art de se fourvoyer en politique. On le pardonna à certains, pas à d'autres. Pas à Robert Brasillach, par exemple, qui mourut de son talent, puisque de Gaulle aurait invoqué celui-ci comme responsabilité supplémentaire pour refuser la grâce que sollicitaient Camus, Mauriac ou Dorgelès. D'autres prétendent que le général céda aux communistes qui voulait la tête de celui qui gaspilla sa vie et son talent à vomir dans Je suis partout. Quoi qu'il en soit, le talent ne justifie pas non plus automatiquement une réhabilitation.
J'ai lu récemment Les 7 couleurs, une de ses œuvres majeures parue en 1939. Derrière le talent littéraire (voir aussi dans un autre genre les poèmes de Fresnes) on comprend mieux , au travers des personnages, comment un romantisme fasciste pouvait séduire un jeune intellectuel français, brillant, homosexuel et immature. Les engagements pro-chinois ou guévaristes des années 60 ne furent pas toujours plus crédibles ni recommandables.
Mais surtout ce qui frappe, c'est la perplexité vis-à-vis de la cause ; cynique, désabusé ou lucide, Brasillach sait que cela tournera mal et n'ira nulle part. Il ne croit pas à la réussite du fascisme ni du nazisme (Mein Kampf est "le chef d'oeuvre du crétinisme excité"), peut-être même ne la souhaite-t-il pas vraiment. Et, si ses écrits collaborationnistes étaient indéfendables, on ne trouva guère d'actes concrets à lui reprocher.
Le romantisme adolescent a souvent conduit à la potence, quand nombre de procureurs cachaient leurs mains sales. On nous commande aujourd'hui de nous indigner et de nous engager. Certes. Encore faudrait-il s'assurer de posséder une part de maturité ou de lucidité, sous peine de gaspiller le meilleur de soi dans des causes aujourd'hui sympathiques, demain mortelles.