lundi 30 septembre 2024

Les librairies, l'emploi et la marche inexorable du temps

 J'avais évoqué dans mon billet du 17 juin dernier le sort des libraires et fustigé la com qui pèse autour des métiers du livre depuis quelques années. Or voilà que pas plus tard qu'hier l'actualité donne du grain à moudre à mon moulin, à travers deux infos aussi banales que révélatrices.

A la mi-journée, je tombe sur un reportage télévisé de France 3 relatant l'ouverture d'une librairie à Toulouse. Le reportage s'enthousiasme de cette bonne nouvelle, omettant d'évoquer le sort de celles qui dans le même temps baissent le rideau. Quant à la libraire ("Vingt ans de métier", quand même) elle tient des propos amphigouriques que seuls des gens rôdés à la communication littéraire peuvent faire semblant de comprendre, et qui sont lunaires pour tout commerçant un peu pragmatique. Le journaliste, lui, conclut en rappelant que malgré tout le marché du livre se casse la figure.

Dans l'après-midi, et sur le site d'Actualitté.com, on apprend que le groupe Nosoli (Furet du Nord, Decittre, Chapitre.com, ...) va licencier 80 salariés sur les 650 qu'il emploie, parce que certaines de ses boutiques n'en peuvent plus : hausse des charges, baisse des ventes, etc... ont eu raison des grandes envolées lyriques et covidesques sur le "métier essentiel". Le groupe prévoie, classiquement, une mutualisation des moyens et une homogénéisation des pratiques, ce à quoi les syndicats répondent qu'il  aurait fallu le faire plus tôt (nul doute qu'alors ils eussent applaudi), et que l'Etat doit "prendre ses responsabilités" pour sauver ce produit culturel qu'est le livre. C'est-à-dire cracher au bassinet. Bref, la banalité économique de ce pays.

Il se trouvera encore beaucoup de professionnels de la profession pour claironner que les métiers de la distribution du livre sont bien vivants, libraires compris, et que toute ouverture de boutique annonce des temps radieux, surtout dans une zone rurale dépeuplée où une demi-douzaine de néo-ruraux fait office de clientèle potentielle. En clair, plus un projet est voué à foirer, plus il est signifiant d'un besoin de culture. Cet enfumage institutionnel fait sans doute le bonheur des communicants, mais surtout masque l'incurie des instances officielles qui peuvent se prévaloir d'une utilité qui justifie leurs postes, ainsi protégés de toute réforme.

Mais au bout du compte, le réel reste fidèle à lui-même. Et c'est loin des lumières que les rideaux se baissent.

mardi 24 septembre 2024

Jean Piat, les Rois maudits, la télé

 Ce 23 septembre on aurait fêté les 100 ans de Jean Piat, s'il n'avait eu la funeste idée de nous quitter voilà sept ans. Ce nom ne dit sans doute rien aux moins de cinquante ans, pourtant ce fût l'un des comédiens français les plus talentueux de son époque, des années 60 jusqu'à la fin de sa vie, des plus talentueux et des plus populaires.

Loin des grands écrans, il consacra sa carrière au théâtre. Il fût notamment le grand Robert d'Artois des Rois maudits, en 1972. Un rôle d'exception, tonitruant, un mix de Depardieu et de Delon. Mais c'est cette série (6 épisodes) des Rois maudits qui restera un monument de la télévision française, quand elle se voulait à la fois populaire et culturelle, prestigieuse et de qualité. La réalisation était de Claude Barma, les dialogues de Marcel Jullian, et c'était du grand art. La série tournait le dos à la flamboyance des films de cape et d'épée pour s'attacher aux intrigues, aux éclairages, aux dialogues, bref faire du théâtre filmé. Et ce théâtre se révélait palpitant, sensible, sensuel et intelligent. Le temps d'une télévision que l'argent et le narcissisme n'avaient pas encore phagocité.

Il y eût bien un remake des Rois maudits, en 2005, sous la férule de Josée Dayan. Malgré une belle distribution, on pût mesurer, de façon caricaturale, ce qu'était devenue la télévision française. Et, le vice rendant hommage à la vertu, on repensa avec nostalgie aux Rois maudits de Barma, Jullian et Jean Piat.

mercredi 11 septembre 2024

De Céline à Joann Sfar, en attendant le Voyage

 Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Voilà  quelques jours, Gallimard a cédé les droits du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline à Joann Sfar, dans le but d'une adaptation cinématographique. Est-ce que ce sera une étape supplémentaire du Céline-business enclenché depuis le décès de Lucette Destouches en 2019, ou bien le début d'une adaptation à l'écran fantasmée depuis si longtemps ? Nous verrons bien, mais le fait est que depuis la parution du roman en 1932, tous les cinéastes de talent rêvent de ce film mais qu'aucun n'a réussi à relever le défi...

Si la perplexité reste encore de mise, c'est moins la faute à Joann Sfar, qui a du talent, qu'à la complexité de l'oeuvre romanesque. Un bon scénariste parviendra peut-être à extraire du roman un pitch intéressant et à  circonvenir le fameux personnage de Bardamu. Mais quid du style célinien (qui ne se résume pas aux points de suspension), style qui participe pour beaucoup à la magie du livre, et quid du fantôme de Céline qui porte l'ensemble ?

L'avenir nous dira si le projet se concrétise, ce qui de l'avis de Sfar lui-même prendra du temps, et si le résultat est probant. Mais pour l'heure il me semble que tout cela relève encore du serpent de mer.

mardi 3 septembre 2024

Philippe Meyer : feue la conversation...

 C'est dans sa série estivale "La vie sans écran" que le Figaro du 24 août dernier publiait une interview de Philippe Meyer, notamment en sa qualité d'animateur du "Nouvel esprit public", podcast qu'il a fait succéder à son Esprit public dont France Culture l'a écarté en 2017. Il défend dans cet entretien la notion de "conversation", par opposition à ce qu'est devenu le "débat" d'aujourd'hui. Il rappelle à propos comment les débats tant désirés dans les années 60, parce que rares, ont peu à peu dérivé vers ces combats de coq où les postures adoptées par les débatteurs n'ont rien de personnel, mais expriment quelque chose qu'ils estiment devoir exprimer pour satisfaire un besoin d'appartenance ou pour plaire, par narcissisme ou par intérêt. Et de ce fait on peut aisément prédire ce qui va être dit, pour peu qu'on ait déjà entendu le débatteur et qu'on ait saisi les éléments de langage sous-jacents. Et l'organisation de l'information génère une hystérisation qui elle-même énerve le corps social et pousse à exagérer ses propres opinions plutôt qu'à écouter celles d'autrui.

La qualité de la conversation selon Meyer est "que le caractère raisonnable, amical et préparé des échanges ait une utilité collective pour alimenter la réflexion de ceux qui écoutent". On comprend par là qu'elle ne soit plus dans l'air du temps. Et Meyer de rappeler que sa génération -disons soixante-huitarde pour faire simple- rêvait de pouvoir poser toutes les questions, et qu'aujourd'hui il est beaucoup de questions qu'on n'ose plus poser, par crainte d'être soi-même trop éloigné de la pensée dominante ou d'être au contraire trop conforme à celle-ci... L'hystérisation produit la fracture, et l'échange des idées ne s'en remet pas.

Philippe Meyer, compagnon de la deuxième gauche et d'un centrisme éclairé, montre comment les impératifs de la communication et les impasses des politiques nous ont mené là où nous en sommes, quand l'injonction et la mauvaise foi sclérosent toute initiative d'échange constructif. J'ai, pour ma part et ici-même, assez vanté l'intérêt du pamphlet, un genre qui, jusque dans ses outrances adolescentes, permet de caractériser une idée ou une position, de façon excessive et donc appelant in fine comme solution pragmatique une résolution équilibrée qui génère le meilleur ou le moins mauvais possible. L'exutoire du pamphlet ne fait que préparer l'avènement du bon sens, et le vrai débat est le second oeuvre de la confrontation constructive.

Philippe Meyer cite dans son interview le phrase de Jean-François Revel "L'idéologie c'est ce qui pense à votre place". Même si les idéologies se sont effondrées, il reste encore et plus que jamais la com, les slogans et les postures. Mais espérons encore de la conversation...