C'est l'histoire d'un malentendu, dit-on. On, c'est-à-dire l'auteur lui-même, et un monde de l'écriture (écrivains, critiques, journalistes) largement citadin. Rappelons les faits (cf sur ce blog mon billet de décembre 2012) : Pierre Jourde publie en 2003 un très beau "Pays perdu" (L'esprit des péninsules), sur un retour dans le berceau familial de Lussaud (Cantal) et son univers de rudesse ("Alcool, Hiver, Merde, Solitude"), de refoulement, de non-dit et d'avenir compromis. Le récit tenait à la fois de l'ethnologie et de la déclaration d'amour à ce monde. Las, certaines familles n'apprécièrent guère, et on sait que l'auteur, mal prénommé, et sa famille échappèrent de peu à la lapidation lorsqu'il revinrent à Lussaud, où la famille est présente depuis plusieurs siècles.
Malentendu donc, sur lequel il revient aujourd'hui avec "La première pierre" (Gallimard), dans un exercice brillant et touchant. Rude aussi, et amer. Le récit d'une catharsis, une histoire d'amour rattrapée par le réel ou par l'Autre (les autres), différent de ce que l'on croyait. Sans doute Jourde est-il sincèrement attaché à ces gens, mais il l'est comme un citadin ou un néo-rural qui court après la reconnaissance de ceux dont il n'est pas, ou plus. Son style, complexe et exigeant, n'a pas été compris par les paysans, ni ses sentiments compliqués. Un roman "régionaliste", comme il s'en commet tant, aurait fait sans doute moins de dégâts, faute d'intérêt. Mais je pense que Jourde sous-estime ce fait rural, essentiel, que ceux qui ont un jour quitté la terre ne peuvent revenir que modestes ou soumis, toute honte bue en quelque sorte, pour y retrouver une place satellite.
Peut-être n'échappe t-il pas à une problématique de fascination/répulsion, pris dans l'urgence des décès (Pays perdu) ou dans la quête d'une filiation éperdue ; sa plume a appuyé là où se nichait une douleur, sur des refoulés (celui de sa famille, celui des voisins) qui ne demandaient qu'à revenir... Le quasi-isolement dans lequel se retrouve aujourd'hui Pierre Jourde à Lussaud n'était-il pas écrit dans le destin depuis bien longtemps ?
Quoi qu'il en soit, les deux ouvrages sont à ranger parmi les monuments de la littérature de ces dix dernières années. La preuve que racines, terroirs et exigence peuvent faire de la grande littérature contemporaine. J'ai déjà eu l'occasion d'écrire en quoi ce Cantal hors d'âge me paraissait cousin avec mon Rouergue natal, paysan et ombrageux. Le mot attachement peut se lire sous différentes acceptions...
samedi 23 novembre 2013
samedi 16 novembre 2013
Depardon, de la terre sur l'objectif
Je ne surprendrai personne en confiant l'estime que je porte à Raymond Depardon, alors que celui-ci expose ces jours-ci à Paris. D'abord il y a l'admiration pour le photographe, ses photos et ses documentaires. Ensuite il y a, bien sûr, ses racines paysannes, qu'il revendique et porte en lui des quatre coins du monde jusqu'aux reconnaissances officielles.
Ses souvenirs d'un tablier bleu, d'un tracteur rouge, d'un chien berger ou d'une toile cirée n'ont rien d'unique mais ils sont les émotions communes à tous ceux qui ont connu le monde paysan, même après qu'il eût commencé à devenir agricole. Ce sont, on le sait, aussi les miens. Depardon a su capter une quintessence du quotidien de cette culture, et l'a magnifié dans la sobriété, de l'image comme du sentiment. A propos de son père, il évoque "l'élégance de l'éleveur qui m'intimidait"...
La création de Depardon repose sur une ambivalence, celle liée à la fêlure entre amour des origines et envie de les quitter. Certes il n'est pas le seul, mais je crois qu'il faut une similitude de parcours pour saisir cela pleinement, dans le cas présent, pour entendre le gargouillement d'une prise d'air qui viendrait perturber le fluide vital mais qui apporterait l'oxygène qui fait inventer.
Le récit sur cette fracture schizophrène propre au paysan-intellectuel, ou l'inverse, est au coeur d'un ouvrage, le dernier livre de Pierre Jourde. Nous en reparlerons.
Ses souvenirs d'un tablier bleu, d'un tracteur rouge, d'un chien berger ou d'une toile cirée n'ont rien d'unique mais ils sont les émotions communes à tous ceux qui ont connu le monde paysan, même après qu'il eût commencé à devenir agricole. Ce sont, on le sait, aussi les miens. Depardon a su capter une quintessence du quotidien de cette culture, et l'a magnifié dans la sobriété, de l'image comme du sentiment. A propos de son père, il évoque "l'élégance de l'éleveur qui m'intimidait"...
La création de Depardon repose sur une ambivalence, celle liée à la fêlure entre amour des origines et envie de les quitter. Certes il n'est pas le seul, mais je crois qu'il faut une similitude de parcours pour saisir cela pleinement, dans le cas présent, pour entendre le gargouillement d'une prise d'air qui viendrait perturber le fluide vital mais qui apporterait l'oxygène qui fait inventer.
Le récit sur cette fracture schizophrène propre au paysan-intellectuel, ou l'inverse, est au coeur d'un ouvrage, le dernier livre de Pierre Jourde. Nous en reparlerons.
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