mercredi 1 mars 2017

Depardon, profil paysan

J'ai revu, ces deux derniers soirs sur la chaine Histoire, deux volets de la trilogie de Raymond Depardon "Profils paysans". Mon histoire n'est pas celle d'un citadin, et si le coeur me saigne, presque joyeux, c'est d'y avoir retrouvé les émotions du monde qui m'a vu naitre.
Que dire de "Profils paysans", si ce n'est que c'est un chef d'oeuvre ? Mais comment argumenter d'un chef d'oeuvre, lorsque celui-ci est bâti à l'inverse de ces produits contemporains qu'on nous inflige, et qu'hélas on s'arrache ?
Depardon filme, sur une période de 10 ans, quelques familles paysannes de Lozère, d'Ardèche ou de Haute-Loire, petits paysans en train de mourir. De cet univers taiseux et introverti, où l'affectif ne circule guère, le citadin retiendra la rudesse, la dureté, l'entêtement, sans en voir la tendresse étouffée. Mais ces hommes et ces femmes peinent à exprimer ce que la société moderne ne peut comprendre, voire entendre. On entend la détresse sourdre à chaque image, à chaque propos ; il n'y a pas qu'en banlieue que le no futur hante les hommes : ici, c'est la mort qui rôde, autour des vieux qui trimeront jusqu'à leur dernier souffle, autour des bêtes qui se raréfient, autour des fermes sans succession, autour des villages déserts, autour de leur monde qui est définitivement d'un autre temps. Ces paysans agonisent en hiver, et le printemps ne viendra plus.
Ce vieux monde triste et quasi muet, Depardon l'écoute, l'observe et en grave les émotions avec empathie et discrétion, avec pudeur mais sans misérabilisme aucun. Les images sont magnifiques, les plans sont fixes et longs. Le film est construit de silences, entrecoupés de rares phrases, le rythme est lent, la musique (l'Elégie de G. Fauré) est lancinante : le contraire de n'importe quel film ou documentaire contemporain. Sans folklore ni cliché néo-rural, l'auteur témoigne (même si l'on est aux antipodes d'un docu sociologique) sans pathos et crée une oeuvre tout en nuances de détresse et de racines, magnifiant l'épure avec le souvenir de ses propres origines.
C'est un chef d'oeuvre, voilà tout.

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