dimanche 17 septembre 2017

Joan Bodon, simplement.

Je m'en vais vous parler de Joan Bodon, Jean Boudou en français. Bodon, évidemment ! diront ceux qui le connaissent. Les autres, c'est-à-dire presque tout le monde, se gratteront le crâne, submergés de perplexité... Il faut dire que Joan Bodon est un écrivain de langue occitane, né en Rouergue en 1920 et mort en Algérie en 1975.
Romancier, conteur, poète, JB n'est pas qu'un monument de la littérature d'oc, il est un des plus grands écrivains français du XXème siècle. Lointain parent de Balzac par sa mère (elle-même conteuse), sans doute nanti de quelques chromosomes communs avec Honoré, il impose une plume d'exception, faite de terroir, d'histoire, d'humanité, d'imaginaire, de fantastique.
"Parle de ton village et tu seras universel", disait l'écrivain sarde Francesco Masala... La matière première de l’œuvre de Bodon (outre une langue qui, n'en déplaise à un certain jacobinisme, est exceptionnelle) est un matériau de petit rural de la rivière Viaur qui, déployé par le talent de l'auteur, touche à l'universel. Je parle de terroir, mais on est loin de l'école de Brive ; la trame du récit de JB est celle de tout un chacun, n'importe où sur la planète : son œuvre est unique mais universelle, modeste dans son essence mais riche et sublime dans sa transcendance. Le Rouergue a été pour Bodon ce que le sud américain a été à Faulkner.
J'ai relu récemment une correspondance entre Joan Bodon et Enric Molin (Henri Mouly), figure du félibrige "moderne" du XXème siècle, et rouergat lui aussi, correspondance qui s'étend sur près de trente-cinq ans. Bodon y illustre un éternel manque d'assurance, d'estime de soi, de verticalité dirait-on aujourd'hui. Ses tâtonnements sont ceux d'un jeune auteur, d'un jeune paysan (devenu instituteur), d'un jeune aveyronnais attaché à sa langue et déjà perdu dans un siècle qui fut difficile à bien des égards. Ses lettres, depuis la guerre jusqu'à sa mort, témoignent du combat pour la langue, pour la littérature, pour une Occitanie alors moribonde. On trouve dans ses propos d'inévitables contradictions et quelques scories de l'époque : attirance pour le communisme, mais pas forcément pour les communistes, palinodies des militants minoritaires, postulats anarchistes et intérêt pour les Chantiers de jeunesse, etc... Mais il y a quelque chose de touchant, pour ne pas dire dramatique, à suivre la souffrance d'un auteur qui ne peut encore savoir la dimension que l'histoire lui reconnaitra...
On a dit à son propos que c'était lui qui aurait mérité le Prix Nobel, plutôt que Mistral ; d'abord ils ne sont pas contemporains, et plutôt que d'opposer les deux génies de la langue d'oc, il est bon de noter la complémentarité, pour cette histoire, entre le chantre de la latinité provençale et le romancier-conteur du Ségala. Mais cela situe le niveau  de l’écriture du second, qui serait aujourd'hui une célébrité s'il n'avait été marginalisé, sinon ostracisé, par sa fidélité à la langue maternelle.
Alors découvrez Joan Bodon, si vous ne le connaissiez pas, ou relisez-le. Rien à voir avec la production germanopratine d'à présent. Je préviens que je ne l'ai lu qu'en version originale occitane, et ne peux donc garantir les versions françaises. Mais même si la richesse de la langue d'oc en était absente, l’œuvre n'en demeure pas moins celle d'un des plus grands écrivains français du XXème siècle...

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