samedi 9 décembre 2017

Jean d'O, une histoire...

L'hommage a été national, donc Jean d'Ormesson n'était pas n'importe qui. Mais m'est-il permis de dire qu'à sa disparition je ressens davantage de nostalgie que de réelle tristesse ? Il était de ces "marqueurs" qui rythmaient l'actualité depuis plus d'un demi-siècle. On oubliera vite, espérons-le, la patron du Figaro qui censura Ferrat, qui nettoya les syndicats du journal ou qui, envoyé très spécial en Afrique lors de la guerre entre Hutus et Tutsis, écrivit des choses dont on n'ose imaginer ce qu'elles déclencheraient aujourd'hui. Oublions aussi les vacheries, pas toujours très loyales, qui suintaient ça et là. Et reconnaissons à Jean d'O que ce n'était pas en service commandé qu'il donnait le meilleur de lui-même...
D'autre part, pour lui comme pour tant d'autres, séparons l’œuvre de l'homme. L’œuvre a été encensée, pour finir dans un consensus mou comme notre époque les aime. "Pour être académicien il faut être beau", assurait-il. Pour squatter les media aussi, pourrait-on ajouter, et il le faisait avec talent.
Mais venons-en à l’œuvre : je n'en parlerai qu'avec modestie, faute d'avoir jamais pu dépasser la trentaine de pages avant que le livre ne me tombe des mains. Cela ne situe rien de ladite œuvre, mais cela m'aide à comprendre bien des critiques à lui adressées ; les unes venaient de gauche, comme Bernard Franck évoquant un "Mauriac de poche" ou "un débit d'eau tiède". Ou un "Jean Poiret des belles lettres". Les autres venaient de droite, comme celles de Romaric Sangars, dans un pamphlet joliment intitulé "Suffirait-il d'aller gifler Jean d'Ormesson pour arranger un peu la gueule de la littérature française ?" (Editions Pierre-Guillaume de Roux) : "Car qu'incarne Jean d'Ormesson ? Tout compte fait presque rien. Ce qu'il a produit n'est qu'un incessant bavardage dénué du moindre style mais glaviotant avec gourmandise une érudition de surface n'ayant d'autre effet que de se donner un air philosophe et charmant à l'heure du thé, entouré de trois vieilles filles de centre-droit, sans s'apercevoir, ravi de gloussements divers, qu'à l'extérieur le monde s'écroule." Que rajouter ?
On pourra toujours dire que la réussite rend jaloux ; pourtant les thuriféraires du grand homme ont du mal à trouver des arguments forts pour saluer son écriture, autres que l'élégance, le brio, la pudeur, la drôlerie... Ferait-on de la bonne littérature avec de bons sentiments, fussent-ils d'Ancien régime ? Gide a déjà répondu.
Seulement voilà : notre époque étant ce qu'elle est, on ne peut qu'apprécier ce qu'il reste en ce monde d'élégance, de culture, d'humour et de conversation. Et d'Ormesson incarnait un reliquat de cette France du XVIIIème siècle dont chaque Français est peu ou prou orphelin... L'esprit français, en quelque sorte, clame-t-on un peu partout.
Même si la légèreté, la gaieté, l'autodérision ne lui vinrent que sur le tard, c'est ce personnage là qui sera regretté, davantage que l'auteur d'une œuvre dont on ne sait si elle lui survivra bien longtemps. Mais, rien que pour cela, il manquera.

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