vendredi 5 octobre 2018

Mort d'Aznavour, ibi deficit orbis

Charles Aznavour a passé. Comme tous ceux qui ont grandi au son de la Bohême ou de la Mamma, je mesure le temps qui fuit et contemple le vieux monde qui s'en va. Je n'étais pas alors un fan d'Aznavour, et ne le suis jamais vraiment devenu, mais avec l'âge et le recul qu'il appelle j'ai redécouvert ses textes en les écoutant de plus près, et c'est comme cela que j'admets qu'on puisse évoquer la disparition du dernier "grand".
Mes sources d'intérêt allaient, classiquement, vers le trio magique Brel-Brassens-Ferré, et quelques autres (Nougaro, Ferrat...). Aznavour visait davantage le grand public, et son avidité de reconnaissance et de sous n'a pas toujours servi le créateur qu'il était. Il fut aussi un homme d'affaires avisé, et ce n'est pas pour sa voix que son surnom d'"enroué vers l'or"a été cruel... Les grands thèmes universels ou à la mode sont les plus populaires, mais aussi les plus rentables et il ne l'oublia jamais. 
Mais c'était incontestablement un grand auteur de chansons, avec des mots simples qui le rendaient facile à entendre, mais des phrases et des sons taillés au stylet. Lisez ou écoutez par exemple les paroles de Hier encore, c'est de la belle ouvrage... Et beaucoup d'autres titres dont, à l'exception notable de l'envoûtante Mamma, il fut l'auteur. Et dans tant de phrases cultes, je vous parle d'un temps, j'habite seul avec maman, la misère moins pénible au soleil... Quoi qu'on pense de ses choix et de sa carrière, ou même de sa capacité créatrice, Aznavour était un orfèvre de génie.
Bien sûr, aujourd'hui ces textes ne trouveraient ni major ni écho. Et c'est bien en cela que la chanson française dite "à texte"est défunte. Non qu'il ne reste ici ou là un Cabrel ou quelques glorieux semi-anonymes, mais la pâte et l'exigence ne sont plus de la même essence, l'attente du public non plus, et la consommation de musique populaire contemporaine n'est pas de nature à la revigorer. Le niveau culturel "fédérateur" cher aux publicitaires est passé par là, loin des courants ascensionnels...
Alors oui, avec la mort d'Aznavour, ibi deficit orbis... Ici finit un monde.

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