samedi 10 novembre 2018

Rioufol, le poilu ou comment s'en servir...

Le contexte historique de mes derniers romans, d'Aveyron Croatie, la nuit à Les Saints des derniers jours m'a amené à m'intéresser à l'histoire de l'extrême-droite, ou de la droite extrême, y compris contemporaine, pour la connaitre et essayer de la comprendre voire de s'y opposer. Vous connaissez peut-être Yvan Rioufol, ci-devant chroniqueur au Figaro et sur quelques chaines de télévision, et généralement connu comme pourfendeur de "l'islamo-gauchisme" et de la "bienpensance", critique parfois perspicace mais souvent paranoïde et aux accents de plus en plus belliqueux.
C'est ce ton martial qui anime son Bloc-notes du Figaro du 09 Novembre, dans un billet intitulé "Le poilu ou comment s'en débarrasser" où il affirme sans rire (d'ailleurs ne doit-il pas rire souvent) que "Le poilu faisait la guerre à un envahisseur. Il se battait pour protéger sa patrie, ses frontières. Il voulait chasser l'indésirable. Le soldat était prêt à se faire tuer au nom de l'honneur, de la grandeur, du courage. Il croyait en la force des armes."
Rioufol ose beaucoup, c'est même à cela qu'on le reconnait parfois. Ses proclamations déroulèdiennes sont d'autant plus confortables que la der des der n'est désormais qu'un lointain épisode de l'histoire de France, affranchi de l'émotionnel et qu'on peut façonner comme une pâte à modeler, à des fins d'argumentations plus contemporaines et plus spécieuses. Mais on a envie de demander à YR s'il a lu Genevoix, Dorgelès, Barbusse,... ? Qu'il parcoure par exemple "Les carnets de guerre du caporal Barthas, tonnelier" ; et il comprendra que, même dans les hystéries et les aliénations propres aux guerres, bien des poilus avaient une perception très distanciée de l'envahisseur, eux qui, souvent ruraux et à ce titre désignés comme chair à canon, ne connaissaient comme frontière que celle où la langue changeait, d'oc en oil par exemple (la grande Guerre sera après J. Ferry le grand vecteur d'uniformisation linguistique jacobine...) ; et ils ne doutaient pas que l'indésirable aurait de son côté préféré lui aussi rester chez lui. Le poilu, Monsieur Rioufol, ne faisait la guerre que parce qu'il avait été mobilisé...
Notre chroniqueur en profite pour fustiger, sans originalité, les "pacifistes de l'entre-deux guerres" : il se trouve que mon dernier roman, Les Saints des derniers jours, repose sur ce thème du pacifisme et de l'engagement, dans lequel Giono joue un rôle majeur, lui qui préférait être "un allemand vivant qu'un français mort". On peut discuter de son choix mais on notera quand même que, contrairement à Monsieur Rioufol, lui avait connu l'enfer des tranchées et pouvait s'en souvenir.
L'article d'YR plaira sans doute à quelques crânes rasés dont le niveau de culture est inversement proportionnel au niveau de frustration, et qui sauront bien trouver dans l'actualité quelque envahisseur ou quelque indésirable à affronter. Pour ma part, je relaterai juste une histoire de poilu malchanceux, celle de Casimir Farjounel, né dans le même village que moi ; mobilisé, il eût en 1915 le malheur avec quelques camarades de sauter sur trois soutes de munitions allemandes : miraculeusement survivants mais complètement hébétés, ces soldats errent sur le champ de bataille où ils tombent sur un officier, peut-être un ancêtre de Monsieur Rioufol, qui les arrête pour désertion. Farjounel et deux autres soldats seront fusillés.
Casimir Farjounel sera réhabilité douze ans plus tard. Et c'est en 2014 que sa commune inscrira son nom sur le monument au morts. Mort pour la France, y est-il écrit. Mort par la France serait ici plus juste.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire