lundi 3 décembre 2018

Mélange des genres, confusion des esprits

La mode, on le sait, est au mélange. Des idées, des races, des générations, des genres, ou du genre, on ne sait plus trop... Ici même, voila quelques années, je m'interrogeais sur la pertinence de l'attribution du Prix Nobel de Littérature à Bob Dylan au titre de sa qualité "poétique". Non que je critique le chanteur, dont le talent se passe de commentaire, ou que je doute de son évidente dimension poétique, mais outre que le Nobel me semblait se redorer le blason avec un prix grand public, il m'apparaissait incongru et risqué de mélanger les genres : aux chanteurs les récompenses pour chanteurs, aux écrivains les honneurs littéraires...Et le silence assourdissant que Dylan offrit en réponse à un Prix qu'il n'allât même pas recevoir situait bien le quiproquo.
Un débat de même nature a agité récemment le landerneau littéraire hexagonal, à propos de l'excellent livre de Philippe Lançon "Le lambeau" (Gallimard) dont une lourde rumeur faisait déjà, entre autres récompenses, l'incontournable Goncourt 2018. Le jury du Goncourt s'est peut-être un peu cabré sous la pression, mais il a pu rappeler que, statutairement, il ne pouvait récompenser du "Goncourt du roman" qu'une oeuvre d'imagination : c'est ce qui avait déjà écarté le Tristes tropiques de Lévi-Strauss en 1955, ou le Alias Caracalla de Daniel Cordier en 2013. Pierre Assouline s'explique d'ailleurs très bien à ce sujet dans le numéro de décembre de Service Littéraire.
Il s'est trouvé, bien sûr, nombre d'objections face à ce propos de l'institution, propos peut-être trop simple pour le consommateur-lecteur contemporain. Pourtant, peut-on considérer l'attentat contre Charlie-Hebdo comme un événement imaginaire ? la renaissance d'un blessé grave, au prix de dix-sept opérations et des mois de calvaire, comme une oeuvre de fiction ? un récit d'auto-fiction ? un témoignage de mentir-vrai ?...
Non, il est des cadeaux qu'on ne fait pas aux assassins.

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