lundi 18 mars 2019

Delbourg, fils de chamaille

Le dernier titre de Patrice Delbourg, Fils de chamaille (Le Castor astral) est un ouvrage comme on en fait peu : il n'est pas bâti sur l'idée sirupeuse du consensus moderne. C'est même l'image d'un ring, posé sur une couverture de livre, qui décore celle-ci. Et la suite est un long combat de poids lourds.
A ma gauche, Aimé Ratichaud, à ma droite Gaetan Malinois. L'un est un vieil auteur has-been, d'origine prolo, amateur combatif de langue et de littérature. L'autre est un jeune économiste promu éditeur, fils de bonne famille, genre start-uper, qui ne jure que par les chiffres. Pas forcément original comme pitch, mais ça le devient lorsque s'opposent les caractères. Au pragmatisme cynique du jeune blanc-bec se heurte la misanthropie atrabilaire, grincheuse et lyrique du vieil auteur pour qui, disons-le, le lecteur a plutôt tendance à prendre partie. Et on s'embarque pour 300 pages de franche engueulade.
Vieil auteur à la dérive qui a hérité de sa mère (la "chamaille") un caractère de cochon, et qui mène le bal d'un pugilat verbal picaresque et d'un dialogue de haute volée. Dialogues outranciers, hystériques, déjantés, d'une parfaite mauvaise foi, dignes d'un capitaine Haddock des meilleurs jours, dans un déluge de vocabulaire comme on n'en trouve plus... Il se trouvera bien quelque pisse-froid pour regretter qu'il faille souvent avoir recours au dictionnaire (et un bon), qu'on y trouve quelques ficelles houellebecquiennes, ou que sur 300 pages c'est longuet. Mais le numéro de Delbourg est une virtuosité d'écriture, de style et d'érudition, qualités d'une littérature en perdition.
Au delà de l'écriture on appréciera, du moins pour ceux qui connaissent un peu le milieu, la peinture un rien pamphlétaire du monde de l'édition et du livre, ses difficultés, ses travers et ses hypocrisies ; du narcissisme des auteurs jusqu'au consumérisme du lecteur en passant par le double, ou triple, ou... des professionnels ou des critiques, personne n'en sort indemne, sans que le moindre jugement ne soit prononcé, même si le fond de la pensée de l'auteur ne laisse guère de doute...
Pour en revenir à la littérature, le livre de Patrice Delbourg, qui ne cache pas ses références à Flaubert, brasse large et vise juste. Loin d'être facile à consommer, il s'appuie sur l'humour, l'érudition et... l'expérience. C'est un objet littéraire difficilement classable, mais qui réconforte par sa dimension profondément humaine, loin du consensus et de ce qu'on nomme objectivité.

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