dimanche 29 décembre 2024

Michel del Castillo, romancier et bretteur

 C'est à 91 ans que Michel del Castillo s'est éteint le 17 décembre dernier, au bout d'une longue carrière couronnée, entre autres distinctions, par le Renaudot et le Fémina. C'est en 1957 que paraissait son premier roman, Tanguy, qui racontait la pauvre vie d'un enfant maltraité par l'Histoire et par son ascendance. Abandonné par son père à l'âge de deux ans, interné avec sa mère dans un camp de concentration pour républicains espagnols près de Mende, échangé par sa mère en échange de sa propre liberté, envoyé en camp de travail en Allemagne puis en rééducation dans l'Espagne franquiste, il vécut une enfance et une adolescence dramatiques.

De nombreux romans ont succédé à Tanguy, qui reprenaient la même histoire avec juste le changement d'angle nécessaire, et qui procuraient à chaque fois le même plaisir de lecture, grâce à un style impeccable, une lucidité courageuse, à l'absence de pathos dans une trame pourtant pathétique. Mais del Castillo c'était aussi des biographies et des essais, et le hasard a voulu que je relise ces jours-ci son admirable Droit d'auteur, paru en 2000 autour d'une polémique d'alors portant sur le prêt payant en bibliothèque.

Je n'évoquerai pas ici le fond du débat de l'époque, mais la forme de la riposte de Michel del Castillo contre le catéchisme démagogue d'une certaine caste et des professionnels de la compassion. Droit d'auteur est un vrai pamphlet, c'est-à-dire féroce et bien écrit, et pourtant argumenté avec objectivité. Le propos n'a rien de brutal mais le style à fleuret moucheté touche juste, avec une élégance cinglante qui est le propre d'un grand écrivain. Et c'est ainsi que Jean-Marie Laclavetine ou Daniel Pennac se retrouvent habillés pour l'hiver. Est également exécuté dans quelques pages jubilatoires un jeune "philosophe" d'extrême-gauche (nous sommes en 2000), un dénommé Michel Onfray...

C'est aussi pour cela que Michel del Castillo, sa sensibilité, son regard et son style nous manquerons désormais.

vendredi 20 décembre 2024

Pass-Culture, cet outil si français...

 Que l'enfer soit pavé de bonnes intentions, nul n'en disconviendra. Ainsi en va t-il du Pass-Culture, dont j'ai ici à maintes reprises souligné les errances (le dernier billet remontant à juillet 2023). C'est, une fois de plus, la Cour des comptes qui livre son avis sur ce machin qui coûtera en 2024 la somme de 244 millions d'euros, auxquels s'ajoute le coût du Pass-Culture "collectif", et qu'administrent près de 200 personnes.

Il ressort de l'étude que c'est le livre, puis le cinéma et la musique, qui ont le plus profité du dispositif, loin devant l'Art, les Musées ou le spectacle vivant. Pourquoi pas, si ce n'est que quand on dit Livre il s'agit à 75% de mangas, ou quand on dit Cinéma il s'agit essentiellement de blockbusters, et idem pour la musique. Le Pass-Culture apparait avant tout comme une méga subvention aux industries productrices et distributrices.

Le Pass-Culture est accessible à tous les jeunes sans conditions de revenus, ce qui déjà pourrait faire débat, et s'avère comme un effet d'aubaine. 84% des jeunes l'utilisent, d'où "l'intensification des pratiques culturelles déjà bien établies", pour reprendre les termes de la Cour des comptes. Et ceux qui ne l'utilisent pas sont précisément ceux à qui il était destiné, "les plus éloignés de la culture"... Et rien n'empêche de revendre ce que le Pass a permis d'avoir gratuitement, ajouteront les cyniques.

On va découvrir, pour la énième fois, que les distributeurs de billets profitent à ceux qui ont déjà une carte bancaire. Peut-être conviendrait-il plutôt de renforcer le volet "collectif", encadré par des enseignants, pour des pratiques plus accompagnées, plus exigeantes et moins commerciales ?

Pour faire en sorte que cet outil, sympathique et ambitieux, soit valorisé plus sérieusement.


vendredi 13 décembre 2024

Amnesty sélective ou Amnésie internationale ?

 Est-il encore possible dans ce pays de dire sereinement qu'un écrivain n'a rien à faire en prison du fait de ses écrits, sans se faire aussitôt taxer de complice dudit écrivain ? Je parle, on l'aura compris, de l'affaire Boualem Sansal, où l'indignation et les atermoiements sont toujours aussi sélectifs. Peux t-on revendiquer que l'instrumentalisation de l'écrivain par la droite ou l'extrême-droite, qu'elle soit ou non assumée par l'intéressé, ne fait pas pour autant de ses défenseurs face à la justice d'Etat algérienne des fascistes invétérés ?  En arriver là en dit long sur la déliquescence intellectuelle de notre temps.

Et pendant ce temps Amnesty International, qu'on a connu mieux inspirée, manie la litote. Les statues de la famille Assad en Syrie n'étaient pas encore tombées que l'ONG proclamait avec une réactivité des plus optimistes que "le peuple syrien a enfin une possibilité de vivre sans crainte et de voir ses droits respectés". Par contre, pour justifier sa tardive réaction face à l'incarcération et à la privation d'avocat français de Sansal (au même titre que ses consœurs Human Right Watch ou Open Society) et ses tergiversations sur le fonds, elle affirme vouloir "vérifier de manière indépendante les informations", alors même que celles-ci sont confirmées de manière officielle par l'Algérie...

Et oui, même Amnesty en est là. On l'avait connu plus respectable du temps de Soljenitsyne et de tant d'autres, quand on ne marchandait pas un soutien en fonction des opinions supposées de la victime.

On pourra lire un article intéressant à ce sujet sur le Canard Enchainé de cette semaine.