L'armée des ombres, pour beaucoup, c'est l'admirable film de Melville, ou la lancinante musique rythmant le générique des Dossiers de l'écran. Mais c'est aussi et avant tout le roman éponyme de Joseph Kessel paru en Afrique du nord en 1943. Cet hymne à la résistance allie la gravité de la période et le talent de Kessel, dans un récit fort et poignant. Mais qu'en est-il trois quart de siècle après sa parution ?
Le livre s'inscrit dans le récit national gaulliste, ou gaullo-communiste, véhiculant l'image d'une France unanimement résistante qui se serait libérée seule, à peu de choses près, du joug de la barbarie nazie. De ce point de vue, force est de constater que l'ouvrage, écrit en 43, prend de larges libertés avec la réalité historique : les français s'y pressent pour intégrer le maquis, les gendarmes sont bienveillants, le sacrifice habite les esprits... Si jusque dans les années 60 ce tableau relevait du discours officiel, le début des années 70 met à mal le cliché : Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls (récemment disparu) et surtout les travaux de l'historien Robert Paxton, qui établissent la réalité d'une France de moins en moins pétainiste au fil du temps mais longtemps attentiste. Pour critiquables qu'elles puissent être, ces œuvres ont contribué à faire émerger chez les historiens un consensus plus objectif.
Alors le livre de Kessel apparait aujourd'hui, nonobstant la beauté du récit et le talent de l'auteur, un peu comme une œuvre de propagande gaulliste. Faut-il pour autant s'en détourner ? Il y a en ces temps obscurs de beaux moments de bravoure, de courage, d'altruisme et de romantisme, comme seules les périodes de vérité en font éclore. Il n'est pas sûr que notre époque en secrèterait autant.
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