vendredi 9 juin 2017

Effroyables transparences

La loi à venir s'appellera donc "Loi de confiance dans notre vie démocratique". L'intitulé ne manque pas d'ambition, ce qui pourrait donner de la force au boomerang. Reconnaissons-lui le mérite de s'être substitué au calamiteux terme de "moralisation", mais à quel fantasme répond cette mise en avant obsessionnelle du nouveau régime, et dans quel délire s'inscrit-elle ?
Entendons-nous : s'il s'agit de limiter les rentes de situation, les emplois familiaux fictifs ou les trafics d'influence, il est en effet bien temps d'avancer. Personne d'ailleurs ne peut soutenir le contraire, et c'est pour cela qu'on met la chose en avant en cette période électorale. Mais sur le fond, politique et historique ?
On sait comment Orwel, avec Big Brother, a illustré la dictature, insidieuse, qui peut s'abattre sur l'individu ; le remarquable film "La vie des autres"a montré comment les totalitarismes exigent la transparence. Peu à peu, d'une façon plus perverse, se dessine la dictature du "on". Cette primauté du collectif (par définition irresponsable, y compris juridiquement) sur l'individu, même informelle, porte en elle tous les germes d'un fascisme soft.
J'avais déjà noté dans "La branloire pérenne" (Elytis 2002) la propension des impuissants à donner des leçons de vertu : c'est la revanche des losers. Plus grave, le fantasme -au sens freudien- que le contrôle des autres permettra aux pulsions individuelles de s'assouvir, dès lors qu'il n'y aura plus de mystère, plus d'interdit, plus d'obstacle. Chacun doit tout dire et tout montrer ; ce n'est, ni plus ni moins, que le déni de l'altérité. Mais alors pourquoi, en démocratie, le vote est-il secret, si ce n'est pour protéger l'électeur ? Si le vote était public, qui peut croire que les résultats seraient les mêmes ?
La dictature du "on" se met en place ; les gens, comme dit l'autre, se doivent de penser comme "on" pense. La conformité est un des piliers de la société de consommation, où l'uniformité des profils et des produits (Coca, MacDo) peuple les rêves des publicitaires.
Au delà de la Loi évoquée plus haut, l'affaiblissement du pouvoir politique sera sinon l'objectif du moins la conséquence de l'exigence de transparence forcenée qui monte année après année ; on notera que la vox populi se montre plus exigeante vis-à-vis des hommes politiques qu'elle ne l'est pour les chefs d'entreprise ou pour les hauts fonctionnaires (et pourtant...) : c'est sans doute le signe, pour ceux qui l'ignoreraient encore, que le pouvoir n'est plus chez les politiques...
Comme l'a analysé Paul Virilio, nous en arriverons au délire d'une démocratie impérative, et à l'industrialisation de la délation (déjà bien avancée). La Stasi ne sera plus qu'un souvenir, mais chacun sera devenu Big Brother, et les peigne-culs moralisateurs auront gagné leur paradis.

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