mercredi 29 août 2018

Petit paysan, grand film

J'ai, enfin, pu regarder hier soir le film d'Hubert Charuel, "Petit paysan", qui avait obtenu une très bonne critique à sa sortie en 2017. Mon oeil était celui d'un spectateur doublement attentif, au film et au scénario d'une part, comme tout un chacun, et d'autre part à la photographie d'un monde paysan agonisant sous la modernité : mes origines paysannes et ma jeunesse d'éleveur m'ont fait souffrir avec le héros et avec ses vaches...
Le film relate le désarroi, l'enfermement puis la dérive d'un éleveur trentenaire dont le troupeau subit une épidémie. Tous les critiques ont souligné la justesse des acteurs (récompensés) et de la description de l'univers d'un petit agriculteur ; tous ont encensé l'âpreté d'un "thriller mental". Beaucoup d'entre ces critiques ont noté la lecture affûtée de la fin de la tradition paysanne, fût-elle moderne, technicisée, connectée et toussa. Certains, enfin, pas les plus originaux, n'ont pas manqué d'y voir une victime du néolibéralisme. 
Charuel connait bien cet univers, et il a tourné le film dans la ferme où il a grandi. Ses parents, son grand-père jouent dans le film. Sa description sobre évite les effets particuliers, sans folklorisation ni règlements de compte ; il n'occulte pas les aliénations qui pèsent sur la profession et sur la ruralité, ni sur leur hétérogénéité. Ses personnages sont justes, agriculteurs ou vétérinaires, jusqu'à cet éleveur belge révolté, lui-même victime de l'épidémie, enfermé dans un délire internaute contre les moulins à vent pour dénoncer dans la virtualité "ceux qui veulent nous faire crever", et refusant le geste concret qui sauverait peut-être le troupeau de son collègue victime lui aussi...
Cela étant, et sans doute est-ce fatal, la critique me semble passer à côté d'un constat de fond : peut-être Charuel n'est-il pas assez explicite, ou bien les critiques sont-ils comme beaucoup de gens, à savoir des consommateurs urbains avant tout. On peut certes invoquer la main invisible du néolibéralisme qui voudrait faire disparaitre les "petits" ; et on ne peut que constater le zèle fonctionnaire (et fonctionnel) des services vétérinaires. Mais quid de la responsabilité du consommateur qui induit, ne lui en déplaise, la productivité pour des prix bas et des principes de précaution souvent délirants, et tellement meurtriers pour le petit producteur ? Mais on me dira que cela est une autre histoire.
Quoi qu'il en soit, et quel que soit le niveau de lecture, "Petit paysan" est un grand film...

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