mercredi 23 octobre 2019

Le Gall, la possibilité d'une île introuvable...

Jean Le Gall est apparu en littérature il y a quelques années avec Les lois de l'apogée, roman balzacien assez féroce où par le biais d'un personnage écrivain il égratignait notre société et ses faux-semblants. On  retrouve aujourd'hui Le Gall, ancien avocat d'affaires présentement éditeur, dans L'Ile introuvable (Robert Laffont), avec grand plaisir.
D'abord il y a l'humour, cette denrée si stipendiée qu'on finira bientôt par interdire, qu'il manie avec finesse et rugosité ; il y a le style, travaillé et élégant, enlevé et exigeant ; il y a la sagacité et un regard sur les quarante dernières années, et les délitements qui les structurent. Cela n'en fait pas pour autant un roman de vieux ronchon, grâce justement à cet humour et à ce style. Si la plume est acérée, les formules sont ciselées et percutantes, cinglantes mais tordantes : "Etre de gauche, c'est reprocher. Etre de droite, c'est se désoler. Etre du centre... c'est être assez con pour croire en tirer profit."
Le scénario de L'île introuvable est assez minimaliste, un peu foutraque mais perspicace autour de ses trois personnages : un écrivain raté, une éditrice marginalisée et un truand flambeur. De ce trio improbable s'ensuit un kaléidoscope qui se transforme, par la grâce de l'auteur et de son talent, en une plongée balzacienne dans le Tout-Paris germanopratin ; on y croise des célébrités de la presse et de l'édition, de celles qui font la culture de l'époque. Et c'est l'occasion d'autres formules, sur Jean d'Ormesson, par exemple : "... qui avait fabriqué le personnage désormais incontournable de grand écrivain de télévision. Longtemps il avait vendu des livres par dizaines à des amis qu'il avait par centaines. Longtemps Jean d'O s'était ému qu'une littérature si patiemment travaillée fût limitée à son quartier et confrontée ailleurs à l'engourdissement des foules. Mais un jour il imprima son style à la télévision plutôt que sur des pages blanches, et alors tout changea !"
Le propos du livre n'est pas de persifler ou de régler des comptes : l'ouvrage en dit long sur notre époque, ses moeurs et ses limites, mais surtout démontre comment derrière ces pages relatives à la littérature ou à la culture s'effrite une société et le vieux monde qui donnait du sens. "L'égalité des droits vaut l'égalité des intelligences qui vaut l'égalité des oeuvres". Derrière la financiarisation de l'édition, l'opportunisme d'élites ignares ou le consumérisme des lecteurs, derrière ces constats ou anecdotes qui fournissent la matière première aux 420 pages du roman, celui-ci est, au-delà de la plainte, un hommage à la littérature.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire