jeudi 16 janvier 2020

Matzneff, symptôme d'une époque

Les jeunes générations seront sûrement surprises de ce qu'elles apprennent sur les années 70 et 80, dans l'affaire Matzneff. Ou de ce qu'on leur en dit. J'étais en ce temps-là un jeune provincial bien éloigné de certaines intelligentsia culturelles, mais j'ai connu ces années... Et je suis assez à l'aise vis-à-vis de GM : ses goûts affichés m'avaient alors choqué (il suffisait de lire la presse pour les connaitre, bien avant l'émoi de Denise Bombardier) et j'avais illico décidé d'ignorer les autres écrits de Matzneff. Je n'en tire ni honte ni gloire, j'ai juste réagi alors en fonction de mes sensations.
Cela dit, il semble me souvenir que l'époque surjouait beaucoup ses postures, en provocations soixante-huitardes destinées à effrayer le bourgeois : c'est ainsi que des idiots utiles, au demeurant gens tout à fait honorables, ont signé bien des pétitions stupides. En ce temps-là la quête de liberté criait sus à l'interdit, quand notre XXIème siècle le réclame, à cor et à cri, à tous les niveaux. Il n'empêche que d'authentiques pervers, pédophiles en l'occurrence, et pas que des anonymes, se sont engouffrés dans le mouvement et c'est une responsabilité qu'il convient aujourd'hui d'assumer.
Quel bilan en fera-t-on ? l'éducation soixante-huitarde, comme on dit, a fait des dégâts, faciles à constater a posteriori ; rappelons que l'éducation traditionnelle en commettait aussi, Mauiac, Bazin et bien d'autres en ont témoigné. Quant à savoir ce qu'on pensera de notre aujourd'hui dans un demi-siècle, je ne me hasarderai à croire qu'on l'encensera.
Si le cas Matzneff est désolant, c'est aussi qu'il est le symptôme de toute la société d'alors. Car s'il est une chose qu'on peut lui reprocher, ce n'est pas de s'être caché : que penser de la tartufferie de la Justice, qui vole au secours des media et qui s'auto-saisit aujourd'hui, après avoir fermé les yeux pendant 40 ans sur les écrits de GM étalés en vitrine ? Que penser de la police qui se met à perquisitionner ? Que penser des mea-culpa de tous ceux, journalistes ou critiques, qui ont à l'époque juste fait leur travail de journaliste et de critique ? Que penser des éditeurs ou des administrations (CNL par exemple) qui coupent aujourd'hui les vivres de l'écrivain en retirant de la vente tous ses livres, y compris ceux (de loin les plus nombreux) qui n'ont rien de scabreux ? Que penser du courage de ceux qui, après avoir profité de l'auteur, ne savent que piétiner les gens à terre ?
L'affaire est lamentable, car à travers le livre de V. Springora c'est toute une culture (plus marginale que dominante) qui se révèle aujourd'hui perverse : l'irresponsabilité parentale, l'irresponsabilité médicale, l'irresponsabilité des institutions, dont celle, la Justice, qui aurait dû être fondamentale. C'est la collusion entre les politiques de tout bord, les élites culturelles et médiatiques, et le pouvoir du business qui en résulte.
Une fois cela dit, quel en est l'enjeu aujourd'hui, dans ce qui ne pourra être qu'un règlement de compte vis-à-vis d'un vieillard de 83 ans, par qui le scandale éclate enfin ? Je comprends très bien la position de V. Springora, sa quête et ses arguments quant au consentement : elle est la seule à pouvoir parler ou écrire légitimement. Pour le reste, on n'effacera pas Matzneff et ses oeuvres, les meilleures et les pires. Lui couper les vivres ? quel courage ! Retirer ses livres de la vente : c'est juste de la censure sur fond de moraline et de dictature de réseaux sociaux.
GM est un homme, et un écrivain. En temps qu'homme, il a à rendre des comptes. Qu'il ait été écrivain, célèbre et célébré, n'est ni un élément à charge ni une circonstance atténuante. Point. Mais quoi qu'il arrive il restera le symptôme durable d'un dysfonctionnement collectif et d'une hypocrisie tout aussi systémique.






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