mardi 23 juin 2020

De l'inculture et de l'actualité

On sait que notre époque moderne offre depuis longtemps une fâcheuse tendance à faire du passé table rase. Cela permet de maintenir le citoyen-consommateur dans la dictature de l'instant et dans la docilité, au cas où l'envie lui prendrait de resituer cet instant dans une perspective plus "historique", ce qui pourrait bien le désaliéner quelque peu. Mais voilà qu'arrive ces temps-ci un péril encore plus pervers : le passé accepté et... photoshopé à des fins opportunes. A grand renfort d'inculture, ce qui permet de dire généralement n'importe quoi et de promouvoir, en l'espèce, un "décolonialisme" un peu débile.
On avait pu observer, au temps des Gilets jaunes, comment l'incurie culturelle et historique avait empêché le mouvement de structurer son essence pour devenir un  interlocuteur adulte. La méconnaissance de l'Histoire, notamment politique, l'ignorance des idées, des pensées et des concepts qui accompagnent depuis toujours la marche du monde ou du pays pour y faire sens, l'absence des référents structurants, tout cela avait fait avorté ce mouvement populaire. Le dessinateur Xavier Gorce avait bien résumé la chose dans un dessin humoristique où des Gilets jaunes s'exclamaient "Nous exigeons !... et n'essayez pas de nous piéger en nous demandant quoi !"
L'inculture chez les décolonialistes est encore plus flagrante. On se souvient de l'attaque, au nom du fameux délit de blackface, contre les Suppliantes d'Eschyle, pièce des plus universalistes qui soient. Aujourd'hui dans un collimateur bien encombré le "Swing low, sweet chariot" des supporters de l'équipe d'Angleterre de rugby, chant issu de l'esclavage qu'on pourrait tout aussi bien considérer comme un hommage. L'Histoire est source d'ambivalence, tout comme l'action politique ou économique...La quasi-totalité des gens ayant détenu des responsabilités peuvent mériter des louanges ou des critiques, selon l'époque ou la lecture de celle-ci. Personnellement je ne suis pas un fan de Jules Ferry, pour de multiples raisons, mais je ne verrai pas son déboulonnement comme un bon signe... La République elle-même n'est pas vierge de tout reproche. Mais c'est tout cela qui fait aujourd'hui le socle de notre "vivre ensemble" si encensé.
Je ne nie pas la légitimité du ressentiment chez l'ancien colonisé. Encore faudrait-il savoir quel est le sens de ce que l'on entend dénoncer, et surtout le sens de son action au regard du temps long. Et manifestement la plupart de ces (jeunes) militants préfèrent les slogans au travail d'analyse.
Je ne suis pas non plus dupe de la mauvaise foi, de l'opportunisme carriériste et de l'instrumentalisation qui pilotent largement ces manifestations. Et j'ai toujours combattu toutes les formes de colonisation, y compris à l'intérieur de l'hexagone : c'est pour cela que je déplore que nos décolonialistes du XXIème siècle n'aient comme ressort que la méconnaissance, l'arbitraire, la violence et la perversité qui furent de tout temps les armes des colons. 
Car il ne suffit pas d'avoir capté quelques éructations sur les campus américains pour revendiquer une réflexion qui serait adaptée à notre vieille métropole. Ce risque de pauvre terrorisme intellectuel n'est en général que ce qui reste quand on est ignorant de sa propre culture et de son Histoire;

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