mercredi 20 janvier 2021

"Poètes, fermez-là !" (signé : un poète)

On sait que les formes contemporaines de débat prennent des allures de plus en plus simplistes et de plus en plus pénales. Foin, par exemple, de l'humour et du deuxième degré, et vive la plainte victimaire. Mais il y a pire : l'appel pur et simple à la censure ; certes il n'y a là rien de bien nouveau, sauf qu'on le trouve de plus en plus présent dans des bouches où on ne l'attendait pas.

En France on se souvient, toujours par exemple, de la pétition lancée il y a quelques années par Annie Ernaux, quelques comparses et une centaine d'auteurs inconnus pour faire interdire de publication et de travail chez Gallimard Richard Millet, et le pire est qu'ils y parvinrent. On se désolait alors de voir des écrivains appeler à la censure contre d'autres écrivains... Depuis les actions s'opposant à l'expression de créateurs se sont multipliées (Suppliantes d'Eschyle,...), menées par des groupes aussi incultes que déterminés. Ainsi va le monde.

Aujourd'hui c'est aux Etats-Unis, toujours d'avant-garde et annonciateurs de ce qui nous attend, que des centaines d'acteurs du livre (écrivains, éditeurs, imprimeurs, libraires...) exigent l'interdiction de publication de Trump et des trumpistes, et refusent de collaborer à tout ouvrage de cette origine. On croyait enfin être débarrassé de Trump, à défaut de ses 75 millions d'électeurs, et retrouver un peu d'intelligence dans le débat qui anime "la plus grande démocratie du monde" : que nenni, c'est l'extrême-gauche contre l'extrême-droite, délibérément assumées, en fait deux pré-fascismes en marche qui rivalisent de brutalité stupide, leur marque de fabrique.

Il est des affrontements dont on cherche en vain les enjeux sous-jacents, pour parvenir à les comprendre tant ils nous surprennent. On ne les trouve plus. Des gens dont la parole participe de la liberté du monde veulent désormais interdire de parler à leurs alter-egos qui ne leur plaisent pas... Le nihilisme est par essence destructeur, et les lendemains s'annoncent pleins de petits matins blêmes : l'heure préférée des bourreaux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire