samedi 12 mars 2022

Ukraine, intellos engagés : du ridicule en temps de guerre...

C'est Régis Debray qui le dit : " L'intellectuel engagé, un oxymore qui cache au pire un imposteur, au mieux un comédien." 
Retour vingt ans ou trente ans en arrière, en 1990 ou 2003 : face à "la 4ème armée du monde", concept bidonné par les américains, l'occident tout entier pilonne Saddam Hussein. Une guerre qui mobilise une bonne partie de la planète, ce qui n'était plus arrivé depuis un bail. La guerre sera gagnée, la paix sera perdue et on en paiera encore longtemps les conséquences. Mais là n'est pas mon propos : ces antécédents nous ont montré alors la quasi-totalité de nos intellectuels en train de rivaliser de zèle dans le va-t-en-guerre des plateaux télé, arguant du vieux principe civis pacem para bellum...
Aujourd'hui, la situation ukrainienne nous offre un bon remake : d'un côté les bons, de l'autre les méchants. Outre que cette vision simpliste fait bon compte d'une certaine complexité, l'Histoire bégaie. Ce qui n'empêche pas nos têtes pensantes en chemise blanche de rappliquer : volontiers autoproclamés héritiers d'une tradition internationaliste et pacifique, ils redoublent d'appels au combat contre Poutine ; ils applaudissent à l'interdiction de Russia Today, ce qu'en d'autres temps ils eussent nommé censure ; ils célèbrent le sens de la nation des ukrainiens, concept qu'ils honnissent chez nous... La liste est longue. Comme chantait Brassens à propos de ses collègues qui claironnaient contre Franco bien à l'abri des Pyrénées :
S'engager par le mot,
Par le biais du micro,
Ca se fait sur une jambe,
Et ça n'engage à rien,
Et peut rapporter gros.
Quelle connerie la guerre, et quelles conneries ne fait-elle pas dire. On appelle cela la propagande, et celle-ci est aussi bien répartie que la connerie, il suffit de voir comment est traité tout ce qui est russe. Laissons de côté les menaces contre les restaurants russes, et comprenons les rétorsions vis-à-vis des représentants officiels de la Russie, comme les équipes sportives nationales par exemple. Mais est-il bien sérieux de s'en prendre aux personnes russses, sous prétexte qu'elles sont russes ? ou à la culture russe, sous prétexte que...? On déprogramme le Bolchoï à Londres, on boycotte Dostoïevski à Milan. Plus près de nous à Toulouse, on demande à Tugan Sokiev, emblématique directeur de l'Orchestre du Capitole, et qui est aussi directeur du Bolchoï, de condamner l'agression russe ou de démissionner. Il est fréquent que les politiques demandent aux autres de faire preuve de courage pour se dédouaner eux-mêmes, mais demander à un russe qui travaille aussi en Russie et dont la famille y vit, de condamner Poutine est une triste pitrerie. Résultat des courses : Sokiev a, avec un certain panache, démissionné simultanément du Bochoï et du Capitole, préférant la musique et la fidélité à ses musiciens plutôt que de choisir des petits intérêts de circonstance, et renvoyant le monde à ce qu'il est. C'est pourtant  ces acteurs culturels russes qui ont un pied dans leur pays et un autre en occident qui pourront aider à reconstruire la paix.
Alors, comme toujours en temps de crise, il reste l'intelligence et le coeur. L'intelligence pour comprendre et dépasser la complexité géopolitique du conflit, même si on sait qui est l'agresseur et qui est l'agressé. Et le coeur pour soutenir le peuple ukrainien, qui lui reçoit les bombes sur la figure. Et de la part de nos intellos engagés sur les plateaux télé, on attendra juste un peu de pudeur.

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