dimanche 25 septembre 2022

Livre et tarif postal : une farce française

La France d'il y a quarante ans accoucha d'une bonne idée : le prix unique du livre. Celle d'aujourd'hui se prépare à en pondre une mauvaise : le prix obligatoire pour l'envoi d'un livre. En obligeant à un affranchissement minimum de trois euros, le but de la mesure est d'empêcher Amazon ou la Fnac d'offrir un envoi quasi-gratuit, ce que les libraires indépendants ne peuvent financer. Ou du moins de rétablir un peu d'équilibre, ce dont on veut bien se réjouir mais qui avec un peu de réflexion risque bien de se révéler une tartufferie.

Qui peut croire que la maneuvre ramènera en librairie l'acheteur qui commande sur internet ? Déjà il y a les ruraux qui habitent à plusieurs dizaines de kilomètres d'une librairie ; ensuite il ya les gens qui ont des soucis de mobilité, handicapés ou personnes âgées, qui n'iront pas courir le centre-ville. Sans compter les actifs dont l'agenda n'est pas extensible. Et les étudiants face à des ouvrages uniquement disponibles sur le net.  Augmenter les frais de port n'aura pas d'autre effet que de les amener à lire moins. Est-ce d'ailleurs bien sûr que ce soit le seul tarif qui a écarté une part de la clientèle des librairies ? J'ai personnellement fréquenté nombre de ces libraires : j'en ai rencontré des remarquables, des moins remarquables et des franchement imbuvables... La posture du conseiller-littéraire-qui-promeut-les-livres-super-dont-on-ne-parle-dans-le-commerce, fréquemment mis en avant, est bien souvent une supercherie ; car le libraire est fatalement soumis aux lois du commerce, et sa vitrine comme son stock est essentiellement garni par les Prix littéraires et les têtes de gondole.

Chez eux comme ailleurs, on manque de place, physiquement et financièrement, notamment pour les petits éditeurs indépendants, ceux pour qui les plate-formes susnommées et internet assurent une visibilité commerciale indispensable, en plus de leurs propres ventes directes. Car qu'on le veuille ou non, la distribution -du diffuseur au libraire- tend à les marginaliser loin des rayons... Et tout cela mis bout à bout aboutira à moins de lecteurs et de lecture, comme si la tendance actuelle ne suffisait pas, et à une pression supplémentaire sur la production de qualité. Seuls les best-seller industriels tireront leur épingle du jeu.

Bref, cette mesure corporatiste conçue entre professionnels sous l'égide de quelques fonctionnaires n'a oublié qu'une chose : l'avis des clients. Chose fréquente dans ce pays. Et comme à l'ordinaire dans la tradition française, on en mesurera bientôt la démagogie, puis l'inefficacité, et enfin les effets pervers.

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