jeudi 28 novembre 2024

Lectures : Les intellectuels français et la guerre d'Espagne (PF Charpentier)

 Si le charme de l'horizon est de reculer au fur et à mesure que l'on avance, celui de l'actualité est de passer en même temps qu'on la découvre. C'est ainsi que l'Histoire se fabrique et qu'elle nous éclaire sur notre temps présent... et sur son actualité.

Au hasard de mes relectures, je parcours ces jours-ci Les intellectuels français et la guerre d'Espagne (Editions du Félin 2019), de l'universitaire toulousain Pierre-Frédéric Charpentier. Un pavé de 700 pages, qui n'échappe pas aux travers des historiens de sourcer en bas de page la moindre citation, ce qui alourdit souvent le propos. Cela étant, c'est un remarquable travail qui retrace l'activité de nos intellectuels pendant la guerre civile espagnole de 1936 à 1939. Le sous-titre du livre Une guerre civile par procuration mériterait à lui seul un débat, mais il témoigne de l'importance de ce que fut cet évènement chez les écrivains, les journalistes voire les artistes durant la période. On a  retenu les plus célèbres, Malraux, Chamson, R. Rolland... à gauche, Claudel, Drieu, Farrère, Brasillach... à droite, sans oublier ceux qui portèrent haut l'honnêteté intellectuelle, comme Bernanos, Mauriac ou Simone Weil. Mais derrière ceux-là il y avait une armée de journalistes et d'auteurs qui écrivirent sur le drame, chaque camp étant traversé par des contradictions ou des divisions qui annonçaient les crises à venir : fractures internes à  gauche entre pacifistes et interventionnistes, entre communistes staliniens et révolutionnaires, divergences radicales à droite entre chrétiens progressistes et conservateurs. La presse d'alors se donnait les moyens de sa mission.

Le résultat est est que l'on était loin de l'univers de nos actuels plateaux de télévision où  se pressent les commentateurs du moment. Certes l'image a remplacé l'écrit, et l'instantané ne laisse plus la place à la moindre analyse structurée, mais où est passée l'ambition ? Les drames d'antan n'étaient pas plus beaux que ceux d'aujourd'hui, mais la pensée des hommes avait davantage d'intégrité ou moins de cynisme.

lundi 25 novembre 2024

Et maintenant Boualem Sansal...

 Après Kamel Daoud, c'est à Boualem Sansal que s'attaque le régime algérien. Contre le Prix Goncourt, c'est une campagne de presse (voir billet précédent). Contre Sansal, c'est l'arrestation pure et simple, désormais officielle. Dans les deux cas, la plus élémentaire défense de la liberté d'expression appelle à s'insurger.

Il n'est pas surprenant que la droite ait été la première à "sortir" la nouvelle de l'arrestation et à voler au secours de l'écrivain : elle s'est largement servi de celui-ci, qui critiquait à la fois le régime algérien militaro-totalitaire et l'islamisme, deux entités complexes et étroitement liées depuis plusieurs décennies.

Plus regrettable, du moins à mes yeux, le relatif silence de la presse "de gauche", qui a relégué l'info dans les entrefilets, voire l'a complètement ignoré, en usant et abusant encore du conditionnel. Or la gauche, si elle a un peu de mémoire, devrait bien connaitre le fonctionnement des régimes militaires totalitaires, dont elle a souvent souffert. Au lieu de quoi (et soucieuse de ménager qui ?) elle regarde à côté...

Je me souviens de Soljenitsyne, quand dans les années 70 la gauche -hormis l'appareil du PCF- avait volé au secours de l'opposant russe, même si ses prises de position n'allaient pas dans son sens. Cinquante ans plus tard, et quelles que soient les idées de Sansal que je connais mal, la même exigence me parait s'imposer pour défendre les libertés des écrivains et des artistes. Et tout ce qu'on trouverait à dire c'est qu'il ne faut pas faire le jeu de l'extrême-droite ?

Misère de misère...

mardi 19 novembre 2024

Kamel Daoud en notre monde

 Je n'avais jamais cru que Kamel Daoud puisse décrocher le Prix Goncourt : ni le livre (Houris, Gallimard) ni l'auteur ne me paraissaient assez consensuels pour cela, selon les normes morales et commerciales germanopratines. Mais je n'ai jamais été un bon pronostiqueur et, subtilité des négociations éditoriales ou évolution du paradigme moraliste, l'auteur franco-algérien a gagné le pompon. L'interdiction du livre en Algérie ou celle faite à la présence de Gallimard au salon du Livre d'Alger n'avaient pas freiné le succès, voire l'avaient promu.

Sauf que depuis lors une machine s'est mise en route. Rappelons que le thème du livre relate l'histoire d'une rescapée d'un massacre durant la guerre civile des années 90. Et voilà que Saâda Arbane, elle-même survivante d'un carnage à cette époque, se reconnait dans l'héroïne de Daoud. Comme elle a été la patiente de Mme Daoud, psychiatre de son état, elle en déduit que l'auteur a exploité son histoire et crie à la monstruosité. C'est faire peu de cas de l'intégrité professionnelle de Mme Daoud, et Gallimard rétorque que l'intrigue et les personnages sont fictionnels.

Je ne me prononcerai pas sur le fond. Je peux comprendre le cri de douleur de Mme Arbane, s'il est sincère et spontané. A l'inverse, l'imaginaire de l'auteur -et sa liberté- s'alimente d'une multitude de détails ouïs ici ou là, parfois inconsciemment, et malheureusement Saâda Arbane n'a pas été la seule victime de ces années noires.

Ce qui m'inquiète aujourd'hui tient dans la cristallisation du débat suscité. Bien sûr, un écrivain "franco-algérien" critique vis-à-vis du pouvoir d'Alger a les faveurs de certains milieux qui ont le vent en poupe, et le soutiennent sans d'ailleurs avoir lu le livre. Mais la mécanique qui s'est mise en branle en Algérie contre Daoud, à partir de la presse pro-gouvernementale, fait froid dans le dos. Il n'est pas chez nous un site littéraire, généralement plus confidentiels, où ne fleurissent sous des pseudos féminins et arabisants un flot d'attaques outrancières. On aurait pu trouver un intérêt et une nostalgie à renouer avec les grandes polémiques d'antan. Là, manifestement, on pense moins à la bataille d'Hernani qu'à Salman Rushdie.