dimanche 19 mai 2019

Valéry, Debray, l'Europe

Tout n'est pas négatif dans les élections européennes ! Ainsi est-ce l'occasion pour Régis Debray de publier simultanément "L'Europe fantôme" (Gallimard) et "Un été avec Paul Valéry" (Equateurs). Ce dernier ouvrage permet de redécouvrir Valéry le sétois, et pas seulement pour son "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.", même si ces vers donnent de plus en plus à penser. Car Valéry, hélas un peu tombé dans l'oubli, avait eu des fulgurances qui, depuis ses années 20, avaient à peu près tout prévu. Celui-ci rêvait d'une "société des esprits" à l'échelle européenne, mais son Europe à lui était celle accouchée de la Mare nostrum méditerranéenne, "là où ont conflué la géométrie grecque, le droit romain et la conscience chrétienne." Mais il a vite saisi en 1945 qu'une civilisation atlantique allait supplanter la méditerranéenne. On connait la suite.
Aujourd'hui l'Europe du nord a pris le pas sur l'Europe du sud et sa "pensée de Midi" (Valéry), pour "une Europe managériale qui parle anglais et qui pense américain" (Debray). On a pensé, naïveté ou inculture d'économiste, qu'on pouvait faire un peuple avec une monnaie ; on a juste un néolibéralisme destructeur qui produit en réaction des populismes inquiétants. Il n'y a pas de peuple sans imaginaire commun, et le seul imaginaire partagé désormais est un imaginaire venu de Californie : il n'y aura pas de peuple européen avant longtemps. Et pourtant, veut croire Régis Debray, notre vieille Europe reste encore un endroit où "l'économie ne fait pas la loi, où le politique a le pas sur le business, et le forum sur la banque".
On sait le médiologue critique vis-à-vis des Etats-Unis, et de cette forme d'Europe qui selon lui en découle. Son propos peut être critiqué. Mais celui-ci a au moins le mérite d'être plus intéressant que les discours poussifs des listes en campagne, davantage formatées pour la politique intérieure, entre démagogie populo-souverainiste et arguties techno-mondialistes. Et Debray de citer fort opportunément, au sujet des militants européistes, la définition de l'amour selon Lacan : donner ce que l'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.
 Et je me surprends à rêver, tel un Valéry, à une Europe des esprits...

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