vendredi 17 octobre 2025

Octobre, routine et contemplation

 Les romantiques l'ont montré, la contemplation ne doit rien à l'ennui ou à la passivité. Ainsi en ce mois d'octobre les couleurs du temps qu'il fait suffisent à me distraire, et le paysage vu de ma fenêtre est un vrai tableau. Mais je reconnais bien volontiers que la routine de l'actualité n'entrave en rien mes introspections.

La routine de l'actualité : d'abord celle de la rentrée littéraire. Aussi atone qu'elle puisse me paraitre, j'ai rarement vu un tel investissement communicationnel sur les trois titres à la mode, écrits par Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier et Nathacha Appanah. Ne me demandez pas les titres des livres, vous les trouverez facilement dans le premier journal venu. L'autre routine vient de la politique, quand les gouvernements culbuto de Lecornu vont et viennent, selon une tradition désormais bien établie. Seul élément de stabilité : Rachida Dati inamovible à la Culture. C'est la même Dati, autre routine, dont les frasques s'ajoutent à une longue liste de casseroles encore impunies faute de jugement. La routine, vous dis-je.

Alors je m'en retourne à ma fenêtre, vers le rouge des chênes d'Amérique et vers mes frênes langoureux dont la palette va du brun cuivré au vert émeraude, en passant par toutes les nuances de jaune citron ou orangé.

mardi 30 septembre 2025

Châteaux cathares ou forteresses royales, l'esprit ou la lettre...

 Un grand débat anime actuellement le sud du pays et en particulier le Languedoc et les Pyrénées. Pour complaire à un classement de l'Unesco, ce qu'on appelait les châteaux cathares devraient être rebaptisés forteresses royales. Mais l'enjeu dépasse le nom.

Certes, les bâtisses que l'on peut voir et visiter n'ont rien de cathare, attendu qu'elles datent du XVIème siècle, et qu'elles ont été construites par les rois de France pour se garder des Espagnols. Il n'en demeure pas moins que ces sites sont des sites cathares (XIIème et XIIIème siècles) marqués par la répression qui mit fin à "l'hérésie"... et à l'autonomie des états des comtes de Toulouse. On peut donc avoir deux lectures : celle de l'histoire cathare, capitale pour l'histoire de ces régions, et celle des bâtisses érigées trois siècles plus tard, dont l'intérêt n'est pas flagrant, autrement que sur le plan spectaculaire. Y aurait-il eu d'ailleurs des forteresses s'il n'y avait eu auparavant des châteaux cathares ? peu probable...

Donc sur ces lieux s'affrontent l'esprit (l'histoire cathare qui fait la richesse des sites) et la lettre (les constructions du XVIème siècle). J'ai personnellement toujours plaidé en faveur du premier, qui illustre bien plus que la seconde. Après tout, nombre de nos bâtiments historiques qui font la fierté de la France ont été moultes fois reconstruits, le Louvre par exemple, sans qu'on n'en modifie ni le nom ni le symbole. De la même façon, lorsqu'on restaure un tableau on ne substitue pas le nom du restaurateur à celui du peintre. Et il est généralement convenu que celui qui regarde le doigt quand on montre la lune n'est pas un aigle de la pensée.

Si ce n'est pas l'esprit et la lettre qui s'affrontent peut-être est-ce la culture et l'administratif ? Mais certains voient plus profond, ainsi les propos d'un "spécialiste" qui plaide en faveur de l'appellation forteresse au nom de raisons "scientifiques"... L'expérience montre que quand on utilise ce mot pour clore définitivement un débat c'est que les arguments font défaut.

Bref chacun se fera sa propre idée, sachant que l'Unesco commande. Pour ma part je choisis la culture et l'esprit, et la fidélité à l'histoire qui est la nôtre.

mercredi 24 septembre 2025

Lectures : Comme un père, de Christian Authier

 C'est le dernier roman de Christian Authier, dont j'avais déjà commenté sur ce blog (septembre 2018) l'excellent Des heures heureuses (Flammarion). Paru aux éditions du Rocher, Comme un père s'inscrit dans la même veine. Un fils dont le père a disparu quand il avait cinq ans voit son géniteur resurgir à l'improviste après plus de vingt ans d'absence totale. Ce père inconnu s'avère caricatural : flambeur, baratineur, squatteur, vieux beau, immature, vulgaire, beauf et on en passe. Pourtant cet insupportable ne parvient à être complètement antipathique, aussi son fils ne le rejette t-il pas d'emblée. Les mois passent autour d'une découverte réciproque, jusqu'à ce qu'une amie de la famille n'éclaire le fils sur les circonstances de la disparition du père. Mais cette révélation ne sera pas anodine...

Au delà du pitch, on retrouve sous la plume de Christian Authier la magie de Toulouse, d'excellents portraits au scalpel, et la férocité dans la satyre d'une certaine bourgeoisie. Et toujours la même flamboyance du vin, dont l'auteur parvient à faire un authentique personnage dans la narration. On retrouve également beaucoup de tendresse pour les deux personnages principaux, un certain désenchantement propre à l'auteur et finalement beaucoup de nostalgie pour une ville et pour une époque.

Je ne sais pas si le livre passera à la postérité, dans le flux de livres qui balaie notre époque, mais c'est assurément un livre sympa.

jeudi 18 septembre 2025

Lecture : Langues régionales, idées fausses et vraies questions

 Au commencement était Benjamin Morel, le jeune et sémillant constitutionaliste qui squatte les plateaux de chaines d'info. En 2023, il avait publié aux éditions du Cerf son livre La France en miettes (reprenant curieusement un titre de Philippe Bilger paru chez Fayard dix ans plus tôt) finement sous-titré Régionalismes, l'autre séparatisme. Le livre de Morel m'avait à l'époque exaspéré, non pas tant pour son jacobinisme pseudo-républicain qe par son ramassis de propos de comptoir, indigne du brillant universitaire qu'il me paraissait être. Il me semble peu probable que Morel ait trouvé le temps d'écrire ce pamphlet mais il l'a signé et endosse ainsi la responsabilité d'une publication aussi caricaturale que médiocre.

Je n'ai pas été le seul à être surpris et heurté par ces écrits, puisque voilà quelques mois deux chercheurs réagissaient et publiaient en réponse Langues régionales, idées fausses et vraies questions, aux éditions Héliopoles. Rozenn Milin est bretonne, Philippe Blanchet Lunati est provençal, et tous deux ont connu et connaissent la réalité et la place des langues régionales. Leur propos n'est ni militant ni littéraire et reste un travail de chercheur et de scientifique, qui entend répondre factuellement à tout un tas d'a priori en déconstruisant idées reçues, propos de bistrot et fausses données, et de ce point de vue le livre de Morel est un punching-ball parfait. Ils se posent certes en défenseurs de ces langues régionales, et leur ouvrage est un excellent argumentaire en leur faveur, mais dans une démarche constructive et apaisée. Ils démontrent au  passage qu'une politique linguistique équilibrée respectueuse des langues et de la diversité n'est en rien hostile à la langue française, langue commune mais pas unique. Au contraire même, pourrait-on ajouter, à une époque où cette langue française subit à son tour la voracité de l'anglais...

Et, contrairement à Benjamin Morel, Milin et Blanchet connaissent le sujet.

vendredi 29 août 2025

Rentrée à mères

 L'été ayant fait son œuvre, c'est l'heure de la rentrée littéraire, avec son cortège de favoris, ses tendances, et son déchainement des attaché(e)s de presse. Ainsi trouve-t-on en première ligne l'inévitable Amélie Nothomb (avec cette année Tant mieux, un roman sur sa mère), Emmanuel Carrère (avec Kolkhoze, un récit autour de sa mère), mais aussi Raphaël Enthoven (avec un livre L'Albatros à propos de sa mère), Régis Jauffret (Maman, ça parle de sa mère) ou Justine Lévy, qui n'est pas qu'une fille à papa puisque elle évoque sa mère dans Au grand jamais... La liste n'est pas exhaustive. Quant au bilan, selon les critiques qui disent avoir lu ces titres, il va de touchant à pleurnichard.

J'en déduis que l'espionnage industriel fonctionne bien du côté de Saint-Germain des Près, ou que le marketing littéraire tourne à plein régime. Il y a quelques décennies, le personnage de la mère était la star des cabinets psy. Puis l'évolution de l'idée de maternité et le néo-féminisme ambiant ont contribué à détourner le regard et à  enfumer l'introspection, et l'expression contemporaine des névroses classiques a fait passer la mode. Mais la destruction d'un thermomètre n'ayant jamais fait baisser la moindre fièvre ou guéri la moindre maladie, le refoulé semble revenir aujourd'hui sous des formes plus hystérisées.

Alors certes, même littérairement le sujet est inépuisable et la veine pourrait durer, jusqu'à ce que notre marketing du livre capte un nouveau filon porteur. Mais d'ici là, néanmoins, n'est pas Romain Gary qui veut.

lundi 11 août 2025

Grande Sirène et petit pompier

 Le Danemark est la patrie des sirènes, on le sait depuis Amundsen. La petite Sirène de celui-ci est donc immortalisée par une statue dans le port de Copenhague : trop petite aux yeux des touristes. On en a donc érigé une autre plus grande dans le port de Dragor, voilà vingt ans. Et c'est celle-ci qui fait aujourd'hui polémique.

Car le sculpteur s'était fait plaisir à doter sa création d'une poitrine monumentale, opulente et généreuse, pleine et arrogante. Et c'est là que convergent les critiques névrotiques de notre époque si moderne et si sensible à l'exposition du corps féminin dans l'espace public, selon la formule consacrée. On aurait pu s'en tenir à une critique artistique de la chose, et constater que la petite sirène est plus belle que la grande. Mais non, l'Agence danoise de la Culture envisage de la faire disparaitre, sous une triple pression. Celle de droite, réac, qui dénonce une immoralité pornographique ; celle des religieux, qui y trouvent une atteinte vulgaire au puritanisme protestant ; celle de gauche, d'inspiration wokiste, qui y voit le symbole du désir masculin patriarcal. Où l'on voit que l'Art peut cristalliser bien des névroses, même aujourd'hui. Avec cet argument définitif : la poitrine de la Grande Sirène de Dragor serait discriminante pour toutes les femmes, et elles sont nombreuses, qui sont moins bien loties.

On ne peut que s'incliner, et il n'y a pas de raison que les hommes ne puissent prendre le même chemin. Je propose donc que désormais les rôles de James Bond soient réservés aux acteurs de type Bourvil ou de Funès, Jugnot à la rigueur. Et que les Bond girls se cantonnent à des profils Balasko ou Robin. Il devrait y avoir beaucoup moins de discriminés.

Et c'est ainsi qu'Allah est grand, aurait conclu Vialatte.

Pour terminer, un mot sur la France estivale : on s'y écharpe pour savoir si la fellation sur Patrick Sébastien pendant un concert (?) dans un camping du Cap d'Agde était simulée ou non. On s'en fout, me direz-vous non sans raison : ça n'a aucune importance et aucun rapport avec le sujet des sirènes. Mais c'était pour justifier le titre de ce billet.

mardi 5 août 2025

Déjà parus

 Au cœur de l'été un petit rappel de mes publications...


     . L'âme des chemins creux, mémoires d'un sud - Elytis 2021

     . Les saints des derniers jours - l'Harmattan 2018

     . Le répountchou qu'es aquò - Vent Terral 2017 (avec AM Rantet-Poux)

     . Mona Lisa ou la clé des champs - L'Harmattan 2014

     . Passeport pour le Pays de Cocagne - Elytis 2012 (avec AM Rantet-Poux)

     . Aveyron Croatie, la nuit - L'Harmattan 2011

     . Histoires peu ordinaires à Toulouse - Elytis 2007

     . Histoires peu ordinaires au Cap Ferret - Elytis 2006

     . Week-end à Schizoland - Elytis 2005

     . La Branloire pérenne - Elytis 2002

En vente dans toutes les librairies, chez l'éditeur ou chez l'auteur. Et en e-book pour les titres parus chez l'Harmattan.

mardi 29 juillet 2025

Bananes

 Ces derniers jours ont été prolixes en références bananières. Il y eut tout d'abord  celle de Maurizio Cattelan qui s'est faite bouffée une nouvelle fois, au Centre-Pompidou de Metz. Cette fameuse banane scotchée contre un mur vaut, rappelons le, plus de six millions de dollars à la bourse de l'art contemporain. Mais je m'arrête là, j'ai honte d'avoir parlé de ce machin.

Autre régime, celui qui ondulait autour des hanches de Joséphine Baker, disparue voilà cinquante ans. Sur l'œuvre et les bananes de JB, chacun peut avoir un avis ; sur JB elle-même, qui fut une vraie résistante, l'Histoire retiendra qu'elle valait mieux que sa carrière de vedette, aussi talentueuse soit-elle, ou du moins qu'un grand respect s'impose de par son engagement.

A propos d'engagement, il n'est pas de jour qu'une célébrité, ou semi-célébrité, ne twitte quelque chose en soutien à Gaza, et l'actualité déborde de drapeaux palestiniens, de déprogrammations, de slogans. Que ces artistes soient sincères, c'est possible ; que leur prise de position soit efficace et utile aux gazaouis, c'est plus douteux. Mais l'occasion apparait trop belle d'avancer des banalités qui, comme chantait Brassens, vous valent à coup sûr les honneurs des gazettes. Et le peuple palestinien, dont les malheurs n'ont pas commencé en octobre2023, mérite mieux que cette instrumentalisation.

Et on se dit que la banane de Cattelan aurait été plus utile à Gaza.

lundi 7 juillet 2025

Revues : Les Moments Littéraires

 A moins d'en être un spécialiste, il n'est pas toujours simple d'appréhender les revues littéraires. Il y en a beaucoup, on les connait mal, on les craint pédantes ou nombriliques, bref on en lit peu. Cela étant, diverses motivations ont mis dans mes mains le n° 54  des Moments littéraires, "la revue de l'écrit intime".

On y trouve, on l'aura compris, des textes -journal, aphorismes, vécus divers- touchant à l'intime chez l'écrivain ; textes signés Denis Grozdanovitch, Marcel Cohen, Christian Garcin, Daniel Arsand, Wenjue Zhang, Anne Coudreuse et Alphonse Daudet. C'est ce dernier auteur qui m'intéressait en premier lieu, pour son texte La Doulou (la douleur, en provençal) relatant le ressenti de sa souffrance liée à une maladie de la moelle épinière.

Ces textes, extraits, fragments, aphorismes sont faciles à lire ; ils sont très bien écrits et témoignent tous d'une belle subtilité dans l'auto-analyse, genre qui caractérise une partie importante de la littérature et de ses plus beaux fleurons. Chacun appréciera les différents écrits et les différentes plumes selon ses propres sources d'intérêt et sa propre sensibilité. Il n'en demeure pas moins que pour moi ce numéro des Moments littéraires a été une heureuse découverte.

www.les momentslittéraires.fr

jeudi 26 juin 2025

Lectures : L'armée des ombres, de J. Kessel, à l'épreuve du temps

 L'armée des ombres, pour beaucoup, c'est l'admirable film de Melville, ou la lancinante musique rythmant le générique des Dossiers de l'écran. Mais c'est aussi et avant tout le roman éponyme de Joseph Kessel paru en Afrique du nord en 1943. Cet hymne à la résistance allie la gravité de la période et le talent de Kessel, dans un récit fort et poignant. Mais qu'en est-il trois quart de siècle après sa parution ?

Le livre s'inscrit dans le récit national gaulliste, ou gaullo-communiste, véhiculant l'image d'une France unanimement résistante qui se serait libérée seule, à peu de choses près, du joug de la barbarie nazie. De ce point de vue, force est de constater que l'ouvrage, écrit en 43, prend de larges libertés avec la réalité historique : les français s'y pressent pour intégrer le maquis, les gendarmes sont bienveillants, le sacrifice habite les esprits... Si jusque dans les années 60 ce tableau relevait du discours officiel, le début des années 70 met à mal le cliché : Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls (récemment disparu) et surtout les travaux de l'historien Robert Paxton, qui établissent la réalité d'une France de moins en moins pétainiste au fil du temps mais longtemps attentiste. Pour critiquables qu'elles puissent être, ces œuvres ont contribué à faire émerger chez les historiens un consensus plus objectif.

Alors le livre de Kessel apparait aujourd'hui, nonobstant la beauté du récit et le talent de l'auteur, un peu comme une œuvre de propagande gaulliste. Faut-il pour autant s'en détourner ? Il y a en ces temps obscurs de beaux moments de bravoure, de courage, d'altruisme et de romantisme, comme seules les périodes de vérité en font éclore. Il n'est pas sûr que notre époque en secrèterait autant.