lundi 1 décembre 2025

Lectures : Tiré de faits irréels, de Tonino Benacquista

 Si l'univers de la littérature, du livre, des éditeurs, des auteurs... ne vous intéresse guère ou vous fait fuir, passez votre chemin. S'il suscite votre curiosité ou un franc intérêt, le livre de Tonino Benacquista Tiré de faits irréels (Gallimard) fera votre bonheur.

"Bertrand Dumas Editeur" est en faillite. Ses banquiers, ses mécènes, ses soutiens, ses amis finissent par baisser pavillon. A la veille de faire sa déclaration de liquidation, Bertrand Dumas médite sur ce moment, ce bilan, son histoire, son parcours. Benacquista raconte les affres de l'éditeur, les travers des auteurs, l'arrivée des financiers, et (presque) toutes les turpitudes du petit monde de l'édition contemporaine. Et, même quand on connait un peu ledit monde on y apprend beaucoup.

Encore une fois, cela peut intéresser ou laisser froid. Et même intéressé on peut s'agacer du nombrilisme hypertrophié qui caractérise cet univers. Benacquista le décrit fort bien, me semble-t-il, mais n'échappe pas complètement à ce travers dans son récit. Certes, les complexités commerciales, financières, techniques, publicitaires sont d'une complexité comme les adorent la France, mais c'est vrai pour toute entreprise... Et, depuis le mitan du XXème siècle, combien de métiers qui ont disparu, combien de commerçants, d'artisans, de paysans, etc... ont mis la clé sous la porte en déplorant la fin d'un monde irremplaçable ?

Donc voilà : le monde du livre est sinistré, et il n'y est pas pour rien. Mais il est toujours bon qu'un auteur en parle avec tendresse et ce qu'il faut de férocité : ça ne changera rien, mais c'est (encore un peu) plein d'humanité.

mardi 25 novembre 2025

Jair-Nicolas, correspondance

 Ainsi donc, après notre national ex-président de la République Nicolas Sarkosy, c'est au tour de l'ancien président brésilien Jair Bolsonaro d'être écroué. Nonobstant que le nôtre, de président emprisonné a été libéré au bout de vingt jours, on se dit qu'il aurait pu y avoir, entre ces deux là, une intéressante correspondance entre détenus de haut vol. Mais la justice française n'en a pas vu l'opportunité.

La chose littéraire n'y a rien perdu, sans doute. Je ne m'illusionne pas sur la plume du brésilien. Pourtant notre ancien chef de l'Etat a mis à profit ces trois semaines d'empêchement pour écrire, tel Monte-Cristo sous la plume de Dumas, son Journal d'un prisonnier, annoncé à plus de trois cent pages. Pour quelqu'un qui a toujours fait rigoler quand il s'est piqué de littérature (les Roujon-Machart, Roland Barthez, etc...) on en est bluffé. J'en connais qui suent sang et eau pendant deux ans pour finaliser deux cent pages ; il est vrai qu'ils ne sont pas ancien président, ni emprisonnés. Et si l'intéressé devait retourner un jour en cellule pour quelque temps,, nul doute que c'est une véritable encyclopédie qui verrait le jour...

En attendant, on peut déjà annoncer un succès de librairie, qui lui payera les yaourts. Reste que cela n'effacera pas l'impression de vent mauvais qui plane sur le monde.

jeudi 20 novembre 2025

Angoulême au crépuscule

 Je me souviens, c'était en 1994. La première édition du Festival international de la BD à Angoulême était un succès. Puis les années suivantes, qui amplifiaient cette réussite. En pleine province (on ne disait pas encore territoires) un évènement culturel rencontrait un public et faisait venir du monde de loin : qu'on le voit sous l'angle de la culture, du développement local ou de la modernité, le salon était salué de toutes parts. Mais aujourd'hui nous sommes en 2025. Et la 53ème édition est très menacée, et avec elle l'avenir de la manifestation.

Voilà déjà pas mal d'années que les polémiques gangrènent le Salon. Problèmes récurrent de management, de gros sous, d'opacité et bien sûr de harcèlement. Nous ne rentrerons pas ici dans les détails, d'autant que des dossiers sont encore dans les mains de la justice. Comme dans toutes les choses qui marchent, la marchandisation est vite arrivée ; puis l'affairisme trouble ; puis le wokisme ; puis le féminisme ; puis...Bref, la modernité dans toute sa splendeur. Et à ce jour le boycott de la plupart des éditeurs et des auteurs de BD, et aujourd'hui même le coup de gueule des financeurs publics.

J'ignore ce qu'il va advenir de cette 53ème édition, très mal engagée. Les pronostics de la fin du Festival d'Angoulême se multiplient. Le lieu de culture, de vulgarisation et d'émancipation est devenu la foire d'empoigne entre l'opacité financière et le militantisme de cour de récré. Les adultes font du pognon et les gamins qui se chamaillent en appellent à un Etat qu'ils conchient volontiers. Nous vivons une époque moderne.

jeudi 6 novembre 2025

Goncourt et itinérances

 Vous avez sans doute constaté que, dans de plus en plus de domaines, avoir un ancrage territorial est devenu vendeur. Cela prend souvent des formes douteuses, folkloriques dans le meilleur des cas, consuméro-franchouillardes souvent, intéressantes parfois. Mais peu importe, dans notre monde il faut bien vendre et tous les moyens sont bons.  Les auteurs n'échappent pas à la règle, sommés pour doper des ventes de plus en plus maigres de courir les salons et les librairies de province pour de laborieuses dédicaces. Cela permet de rencontrer quelques lecteurs, dont certains achètent le livre, et d'assurer une promotion via les médias locaux qui se félicitent des attaches locales de l'impétrant, qui a tout intérêt à multiplier celles-ci. Ainsi peut-il être accueilli comme un enfant du pays dans moult endroits : celui où il est né, celui où il vit, celui où il a vécu, voire celui où il vivra. Plus les éventuelles résidences secondaires et le berceau de ses ancêtres. Et n'oublions pas les conjoints, qui offre encore d'autres possibilités de connexions supplémentaires.

Dernier exemple en date, notre Prix Goncourt 2025, Laurent Mauvignier, que l'on célèbre un peu partout : en Touraine, légitimement, puisqu'il est né à Tours ; à Toulouse, où il a vécu longtemps après y avoir atterri en suivant sa compagne d'alors ; à Rennes, où réside et travaille désormais celle-ci et où il vit peut-être encore. On parle aussi de Paris, je ne sais plus pourquoi.

Tout cela est juste amusant, et n'a d'ailleurs pas que des mauvais côtés. Sauf que, symptôme de notre époque, à être de partout on est de nulle part. Je me souviens de ce que disait Mauvignier à propos de Toulouse voilà quelques années ; sa critique était intéressante, ambivalente mais pas méchante, mais laissait transparaitre une méconnaissance de la dimension historique et culturelle de la cité mondine.

Mais tout cela est du passé, et on lui souhaite désormais un bon Goncourt.

jeudi 30 octobre 2025

Les sévices publics font Bloch

 Voilà quelques jours, l'ancienne directrice de France Inter, Laurence Bloch, venait assurer la promotion de son livre (Radioactive, chez Stock) sur... France Inter. Autant dire qu'elle y fut bien accueillie. Je n'entrerai pas dans le détail des sujets traités, que ne comprendraient que les gens et les corporations du sérail et qui fleurent cet entre-soi si souvent reproché à l'audiovisuel public. Mais on retiendra que Laurence Bloch a eu beau jeu d'affirmer, à juste titre, que le groupe Bolloré se faisait de la pub en diabolisant ce service public, omettant de dire que l'inverse est vrai aussi et qu'en l'occurrence l'hôpital et la charité se foutent mutuellement de leurs gueules. Il y a eu les problèmes évoqués (les soucis internes, la réorganisation des divers medias publics,...) et ceux oubliés (la gestion calamiteuse, l'entre-soi parisiano-jacobin, etc...).

Pourquoi n'y a t-il pas plus de grandes voix pour défendre ce service public ? lui a t-on demandé. A cause de la paresse, de la lâcheté des politiques, des intellectuels et du monde culturel, fût-il répondu. Rien que cela. Il fallait oser. Pas sûr que l'argument convainque grand monde. Comment retrouver les auditeurs et téléspectateurs partis sur les chaines et la radio de ce groupe qu'elle refuse de nommer ? Il faut "rattraper les CSP-, ces gens qui n'ont pas un patrimoine culturel suffisant pour être en tranquillité avec ce monde". En latin de cuisine, ce mépris désigne les ploucs, les provinciaux, trop cons et pas assez modernes. On reste sidéré devant de tels mots de la part de quelqu'un qui a eu les responsabilités évoquées plus haut et qui manifestement n'a pas appris qu'un client ne doit jamais être méprisé...

Avec de tels propos, qu'il faut quand même oser tenir, on comprend que cette reconquête n'est pas gagnée et que l'extrême-droite a encore de beaux jours devant elle. Je me souviens de ces plateaux de télévision, durant la crise des gilets jaunes, où de doctes toutologues s'arrachaient les cheveux faute de comprendre le pourquoi de ce désarroi social... Ramener un public populaire vers des medias plus intelligents et vers davantage de pluralité ne sera certes pas une mince affaire. On rappellera au passage que si Laurence Bloch a quelque peu secoué le cocotier de la vieille maison c'est aussi elle qui a viré, entre autres noms, Yvan Levaï, Frédéric Lodéon ou Philippe Meyer...

 Il me revient pourtant de vieux souvenirs, quand France-Inter s'honorait de diffuser Radioscopie, ou la deuxième chaine de proposer régulièrement le Grand Echiquier. C'était le temps de Jacques Chancel. Aujourd'hui pour affronter Hanouna nous avons Léa Salamé.

vendredi 17 octobre 2025

Octobre, routine et contemplation

 Les romantiques l'ont montré, la contemplation ne doit rien à l'ennui ou à la passivité. Ainsi en ce mois d'octobre les couleurs du temps qu'il fait suffisent à me distraire, et le paysage vu de ma fenêtre est un vrai tableau. Mais je reconnais bien volontiers que la routine de l'actualité n'entrave en rien mes introspections.

La routine de l'actualité : d'abord celle de la rentrée littéraire. Aussi atone qu'elle puisse me paraitre, j'ai rarement vu un tel investissement communicationnel sur les trois titres à la mode, écrits par Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier et Nathacha Appanah. Ne me demandez pas les titres des livres, vous les trouverez facilement dans le premier journal venu. L'autre routine vient de la politique, quand les gouvernements culbuto de Lecornu vont et viennent, selon une tradition désormais bien établie. Seul élément de stabilité : Rachida Dati inamovible à la Culture. C'est la même Dati, autre routine, dont les frasques s'ajoutent à une longue liste de casseroles encore impunies faute de jugement. La routine, vous dis-je.

Alors je m'en retourne à ma fenêtre, vers le rouge des chênes d'Amérique et vers mes frênes langoureux dont la palette va du brun cuivré au vert émeraude, en passant par toutes les nuances de jaune citron ou orangé.

mardi 30 septembre 2025

Châteaux cathares ou forteresses royales, l'esprit ou la lettre...

 Un grand débat anime actuellement le sud du pays et en particulier le Languedoc et les Pyrénées. Pour complaire à un classement de l'Unesco, ce qu'on appelait les châteaux cathares devraient être rebaptisés forteresses royales. Mais l'enjeu dépasse le nom.

Certes, les bâtisses que l'on peut voir et visiter n'ont rien de cathare, attendu qu'elles datent du XVIème siècle, et qu'elles ont été construites par les rois de France pour se garder des Espagnols. Il n'en demeure pas moins que ces sites sont des sites cathares (XIIème et XIIIème siècles) marqués par la répression qui mit fin à "l'hérésie"... et à l'autonomie des états des comtes de Toulouse. On peut donc avoir deux lectures : celle de l'histoire cathare, capitale pour l'histoire de ces régions, ou celle des bâtisses érigées trois siècles plus tard, dont l'intérêt n'est pas flagrant, autrement que sur le plan spectaculaire. Y aurait-il eu d'ailleurs des forteresses s'il n'y avait eu auparavant des châteaux cathares ? peu probable...

Donc sur ces lieux s'affrontent l'esprit (l'histoire cathare qui fait la richesse des sites) et la lettre (les constructions du XVIème siècle). J'ai personnellement toujours plaidé en faveur du premier, qui illustre bien plus que la seconde. Après tout, nombre de nos bâtiments historiques qui font la fierté de la France ont été moultes fois reconstruits, le Louvre par exemple, sans qu'on n'en modifie ni le nom ni le symbole. De la même façon, lorsqu'on restaure un tableau on ne substitue pas le nom du restaurateur à celui du peintre. Et il est généralement convenu que celui qui regarde le doigt quand on montre la lune n'est pas un aigle de la pensée.

Si ce n'est pas l'esprit et la lettre qui s'affrontent peut-être est-ce la culture et l'administratif ? Mais certains voient plus profond, ainsi les propos d'un "spécialiste" qui plaide en faveur de l'appellation forteresse au nom de raisons "scientifiques"... L'expérience montre que quand on utilise ce mot pour clore définitivement un débat c'est que les arguments font défaut.

Bref chacun se fera sa propre idée, sachant que l'Unesco commande. Pour ma part je choisis la culture et l'esprit, et la fidélité à l'histoire qui est la nôtre.

mercredi 24 septembre 2025

Lectures : Comme un père, de Christian Authier

 C'est le dernier roman de Christian Authier, dont j'avais déjà commenté sur ce blog (septembre 2018) l'excellent Des heures heureuses (Flammarion). Paru aux éditions du Rocher, Comme un père s'inscrit dans la même veine. Un fils dont le père a disparu quand il avait cinq ans voit son géniteur resurgir à l'improviste après plus de vingt ans d'absence totale. Ce père inconnu s'avère caricatural : flambeur, baratineur, squatteur, vieux beau, immature, vulgaire, beauf et on en passe. Pourtant cet insupportable ne parvient à être complètement antipathique, aussi son fils ne le rejette t-il pas d'emblée. Les mois passent autour d'une découverte réciproque, jusqu'à ce qu'une amie de la famille n'éclaire le fils sur les circonstances de la disparition du père. Mais cette révélation ne sera pas anodine...

Au delà du pitch, on retrouve sous la plume de Christian Authier la magie de Toulouse, d'excellents portraits au scalpel, et la férocité dans la satyre d'une certaine bourgeoisie. Et toujours la même flamboyance du vin, dont l'auteur parvient à faire un authentique personnage dans la narration. On retrouve également beaucoup de tendresse pour les deux personnages principaux, un certain désenchantement propre à l'auteur et finalement beaucoup de nostalgie pour une ville et pour une époque.

Je ne sais pas si le livre passera à la postérité, dans le flux de livres qui balaie notre époque, mais c'est assurément un livre sympa.

jeudi 18 septembre 2025

Lecture : Langues régionales, idées fausses et vraies questions

 Au commencement était Benjamin Morel, le jeune et sémillant constitutionaliste qui squatte les plateaux de chaines d'info. En 2023, il avait publié aux éditions du Cerf son livre La France en miettes (reprenant curieusement un titre de Philippe Bilger paru chez Fayard dix ans plus tôt) finement sous-titré Régionalismes, l'autre séparatisme. Le livre de Morel m'avait à l'époque exaspéré, non pas tant pour son jacobinisme pseudo-républicain qe par son ramassis de propos de comptoir, indigne du brillant universitaire qu'il me paraissait être. Il me semble peu probable que Morel ait trouvé le temps d'écrire ce pamphlet mais il l'a signé et endosse ainsi la responsabilité d'une publication aussi caricaturale que médiocre.

Je n'ai pas été le seul à être surpris et heurté par ces écrits, puisque voilà quelques mois deux chercheurs réagissaient et publiaient en réponse Langues régionales, idées fausses et vraies questions, aux éditions Héliopoles. Rozenn Milin est bretonne, Philippe Blanchet Lunati est provençal, et tous deux ont connu et connaissent la réalité et la place des langues régionales. Leur propos n'est ni militant ni littéraire et reste un travail de chercheur et de scientifique, qui entend répondre factuellement à tout un tas d'a priori en déconstruisant idées reçues, propos de bistrot et fausses données, et de ce point de vue le livre de Morel est un punching-ball parfait. Ils se posent certes en défenseurs de ces langues régionales, et leur ouvrage est un excellent argumentaire en leur faveur, mais dans une démarche constructive et apaisée. Ils démontrent au  passage qu'une politique linguistique équilibrée respectueuse des langues et de la diversité n'est en rien hostile à la langue française, langue commune mais pas unique. Au contraire même, pourrait-on ajouter, à une époque où cette langue française subit à son tour la voracité de l'anglais...

Et, contrairement à Benjamin Morel, Milin et Blanchet connaissent le sujet.

vendredi 29 août 2025

Rentrée à mères

 L'été ayant fait son œuvre, c'est l'heure de la rentrée littéraire, avec son cortège de favoris, ses tendances, et son déchainement des attaché(e)s de presse. Ainsi trouve-t-on en première ligne l'inévitable Amélie Nothomb (avec cette année Tant mieux, un roman sur sa mère), Emmanuel Carrère (avec Kolkhoze, un récit autour de sa mère), mais aussi Raphaël Enthoven (avec un livre L'Albatros à propos de sa mère), Régis Jauffret (Maman, ça parle de sa mère) ou Justine Lévy, qui n'est pas qu'une fille à papa puisque elle évoque sa mère dans Au grand jamais... La liste n'est pas exhaustive. Quant au bilan, selon les critiques qui disent avoir lu ces titres, il va de touchant à pleurnichard.

J'en déduis que l'espionnage industriel fonctionne bien du côté de Saint-Germain des Près, ou que le marketing littéraire tourne à plein régime. Il y a quelques décennies, le personnage de la mère était la star des cabinets psy. Puis l'évolution de l'idée de maternité et le néo-féminisme ambiant ont contribué à détourner le regard et à  enfumer l'introspection, et l'expression contemporaine des névroses classiques a fait passer la mode. Mais la destruction d'un thermomètre n'ayant jamais fait baisser la moindre fièvre ou guéri la moindre maladie, le refoulé semble revenir aujourd'hui sous des formes plus hystérisées.

Alors certes, même littérairement le sujet est inépuisable et la veine pourrait durer, jusqu'à ce que notre marketing du livre capte un nouveau filon porteur. Mais d'ici là, néanmoins, n'est pas Romain Gary qui veut.